La Lettre de ToutEduc n° 33
Paru dans La lettre le mercredi 12 mai 2010.
Qui a dit que la sanction ne devait être qu'un "dernier recours", qu'il faut cesser d'exclure les élèves "pour un oui ou pour un non", et que les parents d'enfants absentéistes devaient d'abord être soutenus et aidés? Cest ... Nicolas Sarkozy (cliquez Violence scolaire: "La sanction sera le dernier recours" (N. Sarkozy)). Certes, ces quelques propos ne reflètent pas la tonalité de son discours (parsemé de quelques "cuirs") sur les violences scolaires face auxquelles il promet d'être "intraitable". Chacun peut s'interroger sur des effets de communication sans rapport avec les mesures annoncées, et plus encore sur la réalité de leur mise en oeuvre, car en matière d'éducation, la politique est plus qu'ailleurs un "art d'exécution". On peut aussi spéculer sur les luttes d'influence à l'Elysée, et se demander si Raymond Soubie, le pragmatique, ne l'a pas emporté sur Henri Guaino, l'idéologue, rédacteur d'un discours de campagne du candidat Sarkozy qui était pour une bonne part un "copié-collé" des pamphlets de Brighelli. A moins, que, tout en flattant son électorat avec des mouvements de menton, le président ne tente de recentrer son action, au risque de brouiller son image... A moins qu'il n'ait toujours entretenu une part d'ambiguïté!
Le contexte pourtant plaide pour une évolution. Dans des numéros précédents de la Lettre, nous avions noté que Luc Chatel tentait de concilier les contraires, les exigences du "parti de l'ordre" et celles des experts, souvent "de gauche" et toujours avertis des limites de la répression. Nicolas Sarkozy était intervenu (Allocations familiales: l'analyse d'E. Davidenkoff et les propositions de Rue 89) et rappeler à son ministre de quel bord il était. Mais le voici qui, quelques jours plus tard, rend hommage à Eric Debarbieux et conforte Luc Chatel. Il annonce que la réforme du droit pénal des mineurs est remise à plus tard, et il demande que la formation pédagogique des enseignants comporte une formation à la gestion des conflits et à la prévention de la violence, alors que l'idée de cadrage national de cette formation a été abandonnée... Marche arrière ou improvisation?
Certains ont parlé du retour des "maisons de correction" avec la création d'internats accueillant vingt ou trente "adolescents avec qui on a tout essayé"? Cela paraît peu vraisemblable, dans la mesure où y travailleraient des enseignants volontaires et des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse, difficilement assimilables à des "garde-chiourme" et surtout dans la mesure où ils ne pourront accueillir que des élèves dont les familles auront donné leur accord, puisqu'aucune disposition ne permet d'interner autoritairement un enfant qui n'est pas sous main de justice. Ces internats n'auront donc sans doute pas le caractère répressif annoncé.
Plus problématique encore, le propos sur les allocations familiales, qui n'est pas motivé par l'urgence puisque l'absentéisme scolaire n'a pas flambé récemment (Absentéisme scolaire: Très peu d'évolutions depuis 2003.). Bernard Toulemonde nous rappelle (Suspension des allocations familiales: retour à la situation d'avant 2004, selon B. Toulemonde) que le projet présidentiel n'est qu'un retour à la situation qui prévalait avant 2004, laquelle ne provoquait alors aucune indignation, mais pouvait être taxée "d'hypocrisie totale". Les chefs d'établissement transmettent à l'inspecteur d'académie qui transmet à la CAF… Encore faut-il que le chef d'établissement transmette, ce qu'il peut ne pas faire, soit qu'il considère que le remède serait pire que le mal (voir à ce sujet l'analyse de Bernard Defrance, lettre 32), soit que l'équipe éprouve un "lâche soulagement" lorsque le trublion s'absente, et qu'elle n'ait aucune envie de faire pression pour qu'il revienne. Quant à l'IA, à moins qu'il ne soit particulièrement brutal, ou qu'il n'ait reçu des consignes écrites d'une extrême sévérité, il ne demandera la suspension des "allocs" qu'en "dernier recours". Nous sommes donc, selon toute vraisemblance, très loin de l'automaticité proclamée pour satisfaire les imbéciles.
Parmi les éléments de contexte, il faut citer le rapport de la Cour des Comptes, sur lequel ToutEduc reviendra. Il a été rendu public ce mercredi, mais le gouvernement en avait le texte depuis plusieurs semaines, et le "Premier président", Didier Migaud, n'exclut pas qu'il en ait repris déjà à son compte certains éléments. Or plusieurs de ses constats sont très sévères pour la gestion du système scolaire. A également pu jouer un rôle l'analyse faite par l'Institut Montaigne de la situation dans l'enseignement primaire. C'est, globalement, un éloge de la loi d'orientation de 1989, la loi Jospin, et, à peu de choses près, c'est une condamnation de toutes les mesures prises par la droite, sauf le socle commun, qu'elle a institué, mais pas mis en oeuvre (lire aussi sur cette question, le travail du CRAP, Un hors-série pour penser le socle commun et le travail par compétences., et de l'INRP, Penser la notion de "curriculum" (INRP)). Or ce "think tank" créé par le patron d'Axa n'a pas la réputation d'être un repère de trotskistes! Ajoutons-y l'enquête, nuancée, mais aux conclusions sans appel du SNPDEN, le syndicat des personnels de direction, qui sont plutôt à gauche, mais plutôt favorables à l'autonomie des établissements, sur la mise en concurrence des collèges et des lycées (Carte scolaire: une "mise en concurrence latente" (SNPDEN)), et celle du CEREQ sur les injustices créées en matière d'orientation par l'homogénéisation des publics scolaires (L'orientation dépend aussi du contexte scolaire (CEREQ)). Xavier Darcos ne faisait pas mystère, lorsqu'il était placé sous l'autorité de Luc Ferry (2002-2004) de son sentiment d'échec: "la droite a raté son coup", elle n'avait pas su imposer sa vision de l'éducation, disait-il en privé. Son retour (2007-2009) lui avait permis d'agir avec beaucoup d'assurance, et à marche forcée. Le moins que l'on en puisse dire aujourd'hui est que l'heure n'est plus aux certitudes.
Il n'empêche que la question de l'autorité est posée. L'académie de Créteil a chargé Sébastien Clerc de donner des "trucs" aux enseignants pour "tenir" leurs classes, les Cahiers pédagogiques lui donnent la réplique, mais ne méconnaissent les besoins de ceux qui ont besoin, face à des adolescents pris dans des dynamiques de groupe, de quelques "ruses" (La classe, pour apprendre et vivre ensemble (interview des Cahiers Pédagogiques)). Sort ces jours-ci un livre pour apprendre à exercer l'"autorité éducative" dans sa classe (Apprendre à exercer l'"autorité éducative" dans sa classe (Publication).). Dans le Nord, on constitue, pour lutter contre les violences, des groupes mêlant les enseignants à d'autres professionnels et à des parents (Une formation des adultes à l'autorité dans un collège du Vieux-Condé (Nord)). A Montréal, on s'appuie sur les jeunes eux mêmes(Montréal: Un programme novateur de sensibilisation à la violence à l'école.), un programme que l'on devrait importer en France, où la jeunesse a mauvaise presse (Les Français négatifs face à la jeunesse. (Enquête de l'Afev)).
Tous, pourtant, ne se résignent pas. Des professionnels très divers se retrouvent pour organiser des "Etats générEux pour l’enfance" et protester contre les projets gouvernementaux ("Tu n'en peux plus de l'école?" Une réponse au décrochage (Québec)). Quant aux Finlandais, ils ont un peu de mal à comprendre nos problèmes et nos solutions (Un contrepoint finlandais à l'actualité éducative française).
Et si la solution passait par la petite enfance? Une étude nous montre que les sommes consacrées à la garde des tout petits représentent un "investissement", plus qu'un coût, même à court terme (Garde des enfants: Un "investissement" plus qu'une dépense. (Localtis)) et des écoles du Bas-Rhin ont choisi d'intégrer les parents en leur proposant des cours de français (Intégrer les parents dans l'école dès la maternelle: L'initiative d'établissements du Bas-Rhin.), une alternative à la "mallette des parents" que les pouvoirs publics présentent comme la panacée, et dont les résultats sont sans doute surévalués par des économistes un peu naïfs ("La Malette des parents", une étude vivement contestée (OZP), rappel). On sait d'ailleurs que les parents ne peuvent pas tout, et qu'il revient à la puissance publique de les aider, comme nous le dit Bruno Suchaut à propos du temps des vacances (Comment intégrer le temps des grandes vacances dans la scolarité? (Interview de Bruno Suchaut)). En Belgique, on va donner plus de moyens financiers au périscolaire et au Québec, décidément souvent cité cette quinzaine, on augmentera à l'école primaire le nombre des enseignants pour prévenir les décrochages scolaires ultérieurs (Québec: Plus d'enseignants au primaire pour prévenir le décrochage scolaire.).
Les collectivités sont bien conscientes du rôle qu'elles ont à jouer, qu'il s'agisse de Montréal qui inaugure un site municipal d'aide aux devoirs (Québec: Montréal inaugure un site municipal d'aide aux devoirs.), de Quimper qui met l'enfant au coeur de ses préoccupations (Quimper veut mettre l'enfant au coeur de ses préoccupations. ou de Grenoble qui nous dit comment elle construit sa politique scolaire (Semaine de 4 jours et politique scolaire: les réponses de Grenoble), tandis que la commune de Gennevilliers s'efforce de faire travailler ensemble étudiants, lycéens et collégiens (orientation: La commune de Gennevilliers, classée éducation prioritaire, crée un réseau pour relier étudiants, lycéens et collégiens de 3ème. (OZP)). Certaines ne jouent pas le jeu, si l'on en croit le "Collectif pour le droit des enfants roms à l'éducation" qui dénonce "l'absentéisme forcé" des enfants migrants (Le collectif pour le droit des enfants roms à l'éducation alerte le ministère sur "l'absentéisme forcé de milliers d'enfants roms".). Mais au niveau national, on peut se demander si l'investissement dans l'éducation n'est pas trop faible (France: L'investissement dans l'éducation trop "relâché"? (Alternatives économiques)), même si on compte beaucoup sur les TICE (en bon français, sur l'informatique scolaire) pour induire les réformes qu'on n'a pas le courage de faire (Le "tableau numérique" se généralise dans les écoles de France.). A noter que la Chine entend "promouvoir l'innovation et la polyvalence", même s'il est très difficile de juger de son audace réformatrice dans un secteur qu'elle considère comme une clé de son développement (Réforme de l'éducation en Chine? (Le Quotidien du Peuple)).
Tout n'est pas affaire de budgets. La puissance publique doit pouvoir s'appuyer sur la recherche. Or, il semble qu'en France, le rendez-vous entre la recherche en éducation et les politiques ait été manqué (Recherche en éducation et politiques éducatives: "Un rendez-vous manqué" (PRISME)) de longue date, et pour des raisons structurelles. Les sciences de l'éducation ont pourtant beaucoup à nous dire sur la façon dont les stéréotypes et les préjugés influencent les résultats scolaires (Comment les stéréotypes sur les capacités intellectuelles d'un élève influence-t-ils ses résultats académiques? (Thèse)). Elles nous disent aussi à quelles conditions les classes à double niveau, idéalisées ici, décriées ailleurs, favorisent les apprentissages (Les classes à cours double favorisent-elles les apprentissages des élèves? (Travail de recherche).). Une autre recherche est surprenante. Pourquoi les DVD éducatifs ralentissent-ils l'acquisition du langage chez les jeunes enfants? Parce qu'au lieu de regarder l'objet dont il parle, le personnage regarde l'enfant (L'utilisation de DVD éducatifs ralentirait l'acquisition du langage chez les jeunes enfants (Recherche).)!
La maltraitance commence-t-elle à l'instant où la machine remplace l'adulte face à l'enfant apprenant? A noter sur ce sujet une bonne nouvelle. Une assistante sociale qui dénonce une situation de maltraitance ne devrait pas pouvoir être poursuivie pour "dénonciation calomnieuse", même si le juge des enfants ne confirme pas son signalement (Une assistante sociale scolaire est-elle coupable de dénonciation calomnieuse?). Et il faut compter sur les personnels pour dénoncer les maltraitances: lorsqu'il s'agit d'inceste, seules 30% des victimes portent plainte, 16 ans plus tard en moyenne! (Inceste: seules 30% des victimes portent plainte (AIVI-IPSOS)) Attention pourtant, une étude de l'ODAS pointe les effets pervers des dispositifs de signalement des enfants en danger (Signalement des enfants en danger: Une étude de l'Odas pointe les effets pervers des dispositifs. (La Croix)).
Ce qui nous amène au dernier sujet de cette quinzaine, le recrutement des personnels. Parmi les annonces de Nicolas Sarkozy figure le recrutement d'enseignants par le chef d'établissement. L'Express nous a donné une idée du résultat là où cela se pratique déjà, pour l'internat d'excellence de Sourdun: on est très loin des critères habituels de la fonction publique (Recrutement des enseignants sur "profil": l'expérimentation de Sourdun (L'Express)). Reste à savoir ce qu'est un "bon enseignant". Une étude démontrerait que leur qualité ne se mesure pas à leur diplôme, et à peine à leur expérience (La qualité des enseignants ne se mesure pas à leur diplôme (étude américaine)). Une autre étude, contestée par un de nos lecteurs, montrerait que les bons enseignants ont effectivement de meilleurs résultats que les autres, si l'on considère qu'ils ont pour "matière première" les qualités innées de leurs élèves (Lecture: Les bons enseignants favorisent le développement des compétences innées des élèves. (Recherche)). Mais il n'y a pas que les enseignants. Le nombre de ceux qui demandent à faire valoir les acquis de leur expérience pour obtenir leur titularisation comme agent des écoles maternelles ou comme éducateur spécialisé en dit long sur la précarité qui domine dans certains secteurs (VAE: le CAP petite enfance et le diplôme d'éducateur spécialisé parmi les plus demandés).
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