La Lettre de ToutEduc n° 25
Paru dans La lettre le mercredi 20 janvier 2010.
EDUCATION NATIONALE: Un fin manœuvrier, mais …
Le ministère de l'éducation nationale affiche fièrement sur son site un sondage qui prouverait que les Français approuvent "largement les mesures qui composent la réforme du lycée". Espérons que Luc Chatel n'est pas dupe de cette opération de propagande. Première question: Savez-vous de quoi il s'agit? Réponse: non. Deuxième question: Etes-vous d'accord pour qu'on aide tous les lycéens à réussir, grâce à des dispositifs individualisés et sur mesure? Réponde: oui. Troisième question: Et pour l'enseignement de l'Histoire, qui ne sera plus obligatoire en Terminale S? Réponse: ni oui, ni non. Quatrième question: Et maintenant que vous savez de quoi il s'agit, êtes-vous pour la réforme? Réponse: oui (à 76%). Bien sûr, les questions ont été posées sous une forme plus précise et plus subtile, mais la présentation simplifiée qui en est faite ici n'est pas une caricature (voir Réforme du lycée: le ministre estime que les Français y sont favorables (sondage) et le site du ministère) .
Pendant ce temps là, les syndicats préparent la grève du 21 janvier (cliquez Grève du 21: les sensibilités du SNES, de l'UNSA et du SGEN...). C'est peu dire qu'ils sont profondément divisés. Le SNES se fait l'écho du désarroi profond de nombreux enseignants pour qui cette réforme touche au cœur. L'Ecole "se vide de sa substance". L'expression d'un des dirigeants du syndicat est en même temps très forte, et très vague. Elle témoigne d'un malaise face à des mesures dont aucune, par elle-même, ne change radicalement le fonctionnement des classes de lycées (on peut faire confiance au "terrain" pour les "digérer", selon le bon vieux principe, "plus ça change, et plus c'est la même chose"), mais qui, réunies, modifient les équilibres. Le centre de gravité n'est plus la classe, mais l'établissement, et, au pire, le bureau du proviseur. Cette évolution vient de loin, c'est la gauche des années 81-84 qui l'a lancée avec les "projets d'établissements", mais jusqu'à présent, elle était à peu près indolore, du moins dans les lycées de type "centre-ville". Ailleurs, on est bienheureux de pouvoir s'appuyer sur la collégialité.
Pour leur part, les syndicats "réformistes", UNSA et SGEN, qui se sont toujours prononcé pour la constitution d'équipes, et donc pour l'autonomie des établissements, estiment que la réforme "va dans le bon sens", même s'ils la trouvent bien timide. Ils sont en revanche très hostiles à l'autre réforme, celle de la formation des enseignants. Viennent en effet de sortir les maquettes des concours, qui sont, comme précédemment presque exclusivement disciplinaires (cliquez CAPES et agrégation au JO) et la circulaire qui organise les masters pro, dont le contenu est, en partie, axé sur la didactique et la pédagogie (Formation des enseignants: ce que devront faire les universités). Comme le candidat ne deviendra professeur que s'il réussit les deux, concours + master, on pourrait croire que l'équilibre qu'on aurait dû trouver dans tous les IUFM a enfin été trouvé. "Mais vu le temps que représente une vraie formation professionnelle, les universités qui imposeraient effectivement à leurs étudiants ce qui est prévu les feraient échouer au concours. Donc elles ne respecteront pas les termes de qui n'est qu'une simple circulaire", explique à ToutEduc un responsable de l'UNSA. Le gouvernement aurait donc réussi à liquider la formation pédagogique, si décriée à droite, et parfois à gauche, en en "faisant porter le chapeau" aux universités. Si le pronostic se réalise, Luc Chatel est le meilleur manœuvrier que le ministère ait connu depuis longtemps. Reste à savoir s'il réussira à isoler les "désobéisseurs". Les syndicats n'aiment pas beaucoup les faits de "résistance" individuels, hors de l'action collective, mais se contenteront-ils d'un soutien de façade à un enseignant suspendu de ses fonctions comme s'il était un dangereux pédophile parce qu'il ne faisait pas passer les tests de CM2 selon la norme (Un enseignant suspendu à Limoges. Les désobéisseurs dénoncent l'illégalité du procédé)? Le pari est risqué.
En revanche, les syndicats sont unis sur un point, la dénonciation de la réduction des moyens. Le nombre des postes d'enseignants supprimés en quelques années est impressionnant. Jusqu'à présent, l'administration a taillé dans le gras (qui n'était pas très consistant), elle a pris sur les remplacements, elle va utiliser les stagiaires créés par la réforme des IUFM (au détriment de leur formation, disent les syndicats) . La réforme du lycée serait, selon le SNES, le moyen de supprimer d'autres postes en 2011. Au total, donc, la double réforme, lycée et formation des enseignants serait d'ampleur, mais elle serait en contraction avec elle-même, les "nouveaux" lycéens demandant davantage de pédagogie à des enseignants recrutés sur leur connaissance des contenus.
Lesquels pourraient bien évoluer massivement. Les éditeurs scolaires sont abasourdis par le rythme qui leur est imposé. Les nouveaux programmes ne sont pas encore écrits, les manuels encore moins, et la rentrée n'est lointaine que pour les élèves (L'édition scolaire confrontée à la réforme du lycée. Savoir-Livre fait le bilan de 25 ans de combats).
Va-t-on voir le rythme des innovations se précipiter? C'est ce qu'annonce le président de la République (cliquez Les voeux de N. Sarkozy au monde de l'éducation et de la recherche: nous avons "le devoir d'être innovants"), et c'est ce que laisse prévoir la nomination à la tête de "l'enseignement scolaire" de Jean-Michel Blanquer, l'ancien recteur de Créteil, l'homme de la "mallette des parents" ("La Malette des parents": l'étude de l'Ecole d'économie de Paris) et de la "cagnotte" pour les classes de lycées pro qui verraient baisser leur taux d'absentéisme. Certains s'inquiètent même déjà, dans son administration, d'un trop-plein d'idées, et de la difficulté de "faire suivre l'intendance". La technologie proposera ses solutions, comme on l'a vu au BETT, le grand salon londonien des nouvelles technologies (BETT: vers un bouleversement de l'économie de l'enseignement technique et professionnel?), mais ne sont-elles pas en opposition au modèle dominant (Pourquoi le numérique ne se développe pas à l'Ecole (ANAE))? Du coup, les communes, les départements et les régions, qui assurent la maintenance des équipements, deviendront les interlocuteurs naturels des enseignants.
ENNUI, PAUVRETE , FATIGUE, VIOLENCE… La mort tragique d'un lycéen poignardé par un camarade explique la publication d'une synthèse sur la question de la violence scolaire sur le blog d'E. Davidenkoff, qui montre combien les discours sont codés en fonction de l'usage politique et idéologique qui en est fait (Violence scolaire: une synthèse des débats (E. Davidenkoff)). Mais une étude canadienne, sans aucun lien avec l'actualité française, montre aussi que ni l'école, ni les parents ne peuvent tout, et que l'emportent le cumul des facteurs familiaux, l'intérêt porté aux loisirs de l'enfant, et de l'environnement (Violence des jeunes: ni l'école ni les parents ne peuvent tout (étude canadienne)).
En revanche, effet du hasard ou illusion d'optique, l'ennui scolaire intéresse à nouveau la recherche. Une thèse montre que le mot ennui change de sens selon que c'est un parent, un enseignant ou un élève qui l'emploie (Mai 68: comment se transmet l'héritage? (thèse)), tandis que la psychanalyse nous montre que l'ennui n'est pas nécessairement provoqué par l'école (L’ennui à l’école est le résultat d’un vide relationnel. (entretien avec Jean-Pierre Durif-Varembont, psychanalyste.)).
Deux autres thèses illustrent la relation entre enfants et parents. L'une nous montre avec un sens de la nuance qu'on ne trouve pas toujours sur le sujet comment les "soixante-huitards" ont transmis leurs valeurs en héritage. Une étude finlandaise établit un lien entre le "burn-out", le sentiment d'épuisement des parents écrasés par la vie, et ce même sentiment chez leurs enfants d'âge scolaire (L'épuisement des enfants et des parents: une étude finlandaise). Une inspection académique fait au même moment le point sur les élèves touchés par la grande pauvreté (L'Ecole face à la grande précarité: un vade mecum (IA de l'Aube)).
APPRENTISSAGE. La solution est-elle dans l'apprentissage, que nous vantent les hommes politiques de droite, comme de gauche? Le ministre, Laurent Wauquiez ouvre un site participatif pour identifier les freins (Apprentissage: L. Wauquiez ouvre un site participatif). Car il n'y a pas de miracles. Depuis des années, l'apprentissage ne progresse que parce qu'il s'adresse aussi aux bacheliers, voire aux futurs ingénieurs. Il ne décolle pas pour les élèves de niveau V, ceux qui visent un CAP. Les faits sont têtus et l'apprentissage n'est pas la panacée qui permettra de résoudre la question de l'échec scolaire...
PEDAGOGIE. Les Cahiers pédagogiques nous offrent, cette quinzaine, deux dossiers qui remettent en cause des idées reçues. Tout le monde parle d'écologie et d'éducation au développement durable. Comment éviter que les bons sentiments ne se substituent à l'acquisition de connaissances (Education au développement durable: éviter le moralisme et redonner une place aux savoirs (Cahiers pédagogiques))? Tout un chacun se félicite de voir, grâce au cadre européen d'enseignement des langues, l'oral y prendre toute sa place (Enseigner les langues vivantes avec le cadre européen: Quels gains?). Mais l'enseignant ne risque-t-il pas de privilégier les interactions entre élèves plutôt que l'enseignement lui-même?
MONDE. L'UNESCO sonne l'alarme. Il manque 16 milliards par an pour que tous les enfants du monde aillent à l'école. Et il faudra encore s'assurer qu'ils y apprennent quelque chose. Dans certains pays, 40% des élèves sont analphabètes lorsqu'ils en sortent (4% en France) (Education pour tous: il manque 16 milliards par an pour que tous les enfants aillent à l'école). L'UNICEF propose aux enseignants des façons de montrer leur solidarité avec leurs collègues d'Haïti (Haïti: le blog de l'UNICEF donne des informations utilisables avec les jeunes et les élèves et ici).
A lire par ailleurs
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