La Lettre de ToutEduc n° 29
Paru dans La lettre le mercredi 17 mars 2010.
Vers un aggiornamento?
Luc Chatel demande à Eric Debarbieux de l'aider à définir une politique de lutte contre les violences scolaires (cliquez Violence scolaire: le Comité "Debarbieux" pour une réponse "structurelle"). Si on ne connaît pas les détails, on sait déjà quelles seront les grandes lignes des préconisations du Conseil scientifique que réunit l'universitaire (Violence scolaire. Eric Debarbieux: où est la réflexion sur la sanction? (entretien exclusif)): la fin des illusions de la "sanctuarisation", la stabilisation des équipes pédagogiques et la formation des enseignants, que la "masterisation" va supprimer de fait, pour ne rien dire de la formation continue, qui suppose des moyens de remplacement déjà insuffisants. On peut aussi imaginer que la suppression de la carte scolaire, et la "ghettoïsation" des établissements qui en résulte, seront pointées du doigt. Deux éléments seront peut-être de nature à rassurer à droite: la remise en cause du mode de nomination des enseignants et du principe qui veut que les plus jeunes aillent sur les postes que fuient leurs aînés, apparaîtront, à tort d'ailleurs, comme une condamnation du "pouvoir syndical". La réflexion sur les sanctions disciplinaires sera présentée comme la fin de "l'angélisme" supposé "de gauche". Au total, les Etats généraux des 7 et 8 avril prochains ont toutes les chances de remettre sérieusement en cause la politique suivie depuis 2007, même si les politiques antérieures ne sont pas épargnées. Luc Chatel le sait, il a déjà annoncé qu'il souhaite répondre "de manière structurelle", à cette question lancinante. Quelles "structures" compte-t-il bousculer? Il ne l'a pas dit, et il est difficile d'anticiper. Mais il prévient son administration et son camp, il pourrait bien y avoir des surprises. La réponse sera de plus "interministérielle et transversale": l'Education nationale n'est plus une forteresse isolée, indépendante des autres administrations. Le successeur de Xavier Darcos, qui semblait au départ un peu falot et perdu dans ses dossiers, aurait-il de grandes ambitions? A tout le moins, il marque la "rupture".
Ajoutons un détail qui peut paraître anecdotique, il a reçu les mécènes de l'APFEE (Accompagnement: Luc Chatel reçoit les financeurs de l'APFEE), qui cherchaient en vain à le rencontrer depuis 6 mois. L'Association pour favoriser l'égalité des chances à l'école, agit en marge du système scolaire, après la classe, et l'animateur des "Coups de pouce CLE" qui accueille les enfants n'est jamais leur enseignant. Nous avons vu (Lettre 28, utilisez les onglets en bas de page pour passer d'une lettre à l'autre), que le ministre a récemment signé avec les associations complémentaires de l'école, une convention qui garantit leur financement pour 5 ans. Il a lancé la semaine de "La Jeunesse au plein air" dans la ville dont il est le maire. On ne saurait trouver signes plus tangibles de sa volonté de conforter ces associations, dont Xavier Darcos aurait bien voulu pouvoir se passer.
Serait-ce une tendance générale? Martin Hirsch, de visite au Québec, a dit tout le bien qu'il pensait d'un programme de prévention du décrochage et de la délinquance qui suppose une collaboration de l'Education nationale avec les municipalités (Prévention du décrochage et de la délinquance: Martin Hirsch intéressé par un programme québécois). Au même moment, les Villes demandent une meilleure définition des zones d'intervention de l'ensemble des acteurs de la prévention et de la répression de la violence des jeunes (Délinquance: redéfinir des zones géographiques pour assurer la cohérence des interventions (CNV)). Les sénateurs s'emparent des conclusions d'un rapport de la Cour des comptes: "Les inquiétudes récentes soulevées par l'assouplissement de la carte scolaire dans [certains] quartiers, ou l'aggravation de la violence scolaire dans un nombre limité d'établissements, conduisent à s'interroger sur la pertinence des politiques menées." ([#1489]).
Luc Chatel n'est pas seulement ministre de l'Education nationale, il est aussi porte-parole du Gouvernement. Faut-il comprendre tous ces signes comme l'annonce d'un "aggiornamento" qui inclurait la Ville, la vie associative, la Jeunesse, la Justice, voire la Police? Les journalistes ne lisent pas dans le marc de café, et nous attendrons d'avoir vu plus d'une hirondelle avant d'affirmer que nous changeons de saison… et que c'est un dégel qui s'amorce, sachant que le printemps des uns est l'hiver des autres! Dans l'immédiat, nous voyons que rien n'est réglé, que le calendrier de la "sécurisation" des établissements scolaires est publié (Sécurisation des établissements: le calendrier est publié) et que les collèges situés en zone difficile se demandent comment être "attractifs", pour retenir leurs bons élèves (ici).
Si aggiornamento il y a, il n'inclurait pas les politiques "petite enfance". La foule des professionnel(le)s qui se pressaient au "Forum" organisé par nos confrères d' "InfoCrèche" témoigne de leurs inquiétudes. Elles ne sont pas seulement dues au projet de décret sur les lieux d'accueil, lequel augmenterait le nombre des enfants et diminuerait la qualification des personnels (Modes de garde: mobilisation contre le projet de décret (Localtis)) . Il a permis que s'expriment les angoisses d'une profession à qui les gouvernements successifs demandent de changer sans que les municipalités leur apportent toujours le soutien, ne serait-ce que méthodologique, qu'elle est en droit d'attendre (Forum petite enfance: un succès impressionnant).
Autre secteur où l'inquiétude est palpable, la Protection judiciaire de la Jeunesse, qui défilait avec les autres professionnels de la Justice mardi dernier. La conférence de presse qui annonçait ces manifestations a montré des hommes et des femmes au bord de l'asphyxie. Si la réforme du code de procédure pénale est remise à plus tard, et que magistrats et avocats retrouvent un peu d'air, qu'en sera-t-il des éducateurs, débordés par les urgences (PJJ: les syndicats appellent à la manifestation du 9 mars) et en pleine réorganisation territoriale (Réorganisation de la PJJ: une analyse du décret du 2 mars sur Localtis)?
Ni angoisse ni manque d'air en revanche au Syndicat des enseignants (UNSA) qui prépare son congrès (Vers un bouleversement du regard sur l'enseignement scolaire (SE-UNSA)) et voit venir les nouvelles règles du jeu de la représentativité, assimilées à un joyeux "Big Bang". Pour son secrétaire général en effet, seuls l'UNSA, la FSU, et le SGEN-CFDT devraient passer la barre des 8% et avoir la parole au niveau ministériel. "Nous allons vers un paysage bipolaire", ajoute-t-il. Faut-il comprendre qu'UNSA et SGEN pourraient faire listes communes? Sans doute pas à court terme. En revanche, contrairement à ce que nous pensions, les syndicats de fonctionnaires et les syndicats des salariés du privé ne seront pas appelés à siéger ensemble pour débattre de grands dossiers, comme celui des retraites. Ils ne seront donc pas contraints de passer des alliances, et les enseignants ne discuteront avec les ouvriers de la CGT, lesquels auraient pu monnayer leur soutien contre l'acceptation de pédagogies plus favorables à leurs enfants.
Deuxième principe de ce projet de loi: les accords devront être majoritaires. Pas question pour une organisation d'empocher le bénéfice d'une augmentation de salaire tout en s'abstenant de signer. Le regard du secrétaire général brille alors de malice. Le SNES, le grand rival devra choisir: s'il n'approuve pas un compromis passé avec le ministère, donc ne signe pas, et si il n'est pas capable d'en imposer un autre, plus favorable à ses mandants, ceux-ci pourraient bien lui reprocher trop de gourmandise, sur le mode "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras!". La loi devrait donc être favorable au clan des "réformistes", débarrassés de la concurrence d'organisations corporatistes, dans un climat qui favorisera la négociation plutôt que l'affrontement.
Tout n'est pas rose pour autant. Le "tiers-temps" que les jeunes enseignants auraient dû consacrer, durant leur première année d'exercice, à leur formation professionnelle, se réduit comme peau de chagrin au fur et à mesure que l'administration lâche des informations sur son organisation. Le ministère comptait par ailleurs sur les stagiaires pour compenser la faiblesse des recrutements, il semble acquis que les candidats ne se bousculeront pas (Formation des enseignants: peu de candidats pour les stages (L Cédelle)). Deuxième sujet d'inquiétude pour le SE, qui avait soutenu, avec des réserves, la réforme du lycée: il estime que, comme on pouvait s'y attendre, de nombreux chefs d'établissement s'arrangent avec les textes pour que la rentrée 2010 ressemble le plus possible à la rentrée 2009. La réforme n'aura lieu que là où les proviseurs ont su créé de véritables équipes, animées par de vrais projets… Parions sur 10% des établissements, ce sera généreux.
Et si l'une des raisons des difficultés du lycée était à chercher dans le cerveau des adolescents, qui n'est pas fait comme celui des adultes (Conflits entre ados et parents: Et si tout venait du cerveau?)? Ou dans celui des adultes, qui sont ambivalents face à la jeunesse (Entre adophilie et adophobie: L'adulte ambivalent? (revue))? D'autres débats peuvent intéresser les lecteurs de cette lettre: Peut-on en appeler à l'éthique des fonctionnaires ([#1524])? Pourra-t-on remplacer les manuels scolaires par des "kindle" ou des "e-pad" (Manuels scolaires: expérimentation du Kindle à Seattle (Actualitté))? La carrière d'un chef d'établissement peut-elle dépendre des résultats de ses élèves (Angleterre: La carrière des chefs d'établissements suspendue aux bonnes performances des élèves.)? Faut-il proposer systématiquement dans le pays Basque un enseignement en basque (Enseignement en basque: une possibilité, pas un droit (Cour d'appel de Bordeaux))? N'avons-nous pas de nouveaux moyens de communiquer avec les enfants autistes, comme avec les tout petits (L’imitation: Un pas vers la communication avec les enfants autistes?)? Les assistantes maternelles sont-elles agréées selon les mêmes règles dans tous les départements (Assistantes maternelles: comment sont-elles agréées?)? Le "bac pro" vient de faire l'objet d'une réforme, qui généralise l'accès en 3 ans. Mais ne recouvre-t-il pas des réalités très différentes (Bac pro: des réalités très diverses sous un même nom (CEREQ))? Comment peut-on, et doit-on évaluer les pratiques de tous ceux qui travaillent sur l'humain ([#1537])? Comment éviter que les politiques n'exploitent, ou passent sous silence, les évaluations, selon qu'elles les gênent ou les confortent (Evaluation des systèmes scolaires: Lutter contre l’instrumentalisation politique des enquêtes. (colloque Education et Devenir))?
Nos lecteurs peuvent aussi trouver quelques ressources, pour aider les enfants à apprendre à parler (Aider les enfants qui apprennent à parler (un livre gratuit)), pour améliorer les conditions de l'efficacité de l'accompagnement scolaire et éducatif (Accompagnement éducatif, accompagnement scolaire: les conditions de l'efficacité), pour apprécier les efforts accomplis en France pour la scolarisation des enfants handicapés (Scolarisation des enfants handicapés: un dossier de l'INRP fait le point à l'international), pour mieux comprendre ce qu'est une résidence d'artiste (Résidences d'artistes dans les établissements scolaires: une charte (Bulletin officiel)), pour lutter contre les poux (Quelles réponses aux poux dans les écoles), ou pour suivre les "états généraux de l'enfance" ([#1508]). Ils peuvent se désoler de voir s'appauvrir la ressource lorsqu'il s'agit de comprendre ce qui se passe dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP: quels élèves, quels enseignants, quelles statistiques?). Mais ils peuvent se réjouir de voir la Ville d'Auch créer un service juridique qui vient aider les jeunes à faire valoir leurs droits, ou au moins à les connaître ([#1508]) et plus encore de constater qu'une école plutôt défavorisée, reprenant la vieille technique du "Journal" cher à Freinet, a récolté 2 500 € pour venir en aide aux enfants de Haïti (Haïti: les enfants d'une école récoltent 2500 euros avec leur journal).