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Violence scolaire. Eric Debarbieux: où est la réflexion sur la sanction? (entretien exclusif)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 05 mars 2010.

Eric Debarbieux, professeur de sciences de l'éducation (Bordeaux-II), directeur de l'observatoire européen de la violence scolaire, vient de se voir confier  par Luc Chatel, "la mission de présider un conseil scientifique chargé d’apporter une expertise de haut niveau dans le cadre de la préparation et du suivi des états généraux de la sécurité à l’École". Il répond aux questions de ToutEduc

ToutEduc: Nous venons de connaître une vague de violence scolaire ... dans la presse. Correspond-elle à la réalité? 

Eric Debarbieux:  Janvier est depuis 1991 "le mois de la violence à l'école", même si d'autres "pics" médiatiques sont atteints lors d'événements dramatiques. Cela ne correspond pas forcément à la plus grande occurrence d'événements. Bien souvent ce sont les fins de trimestre, surtout la fin du premier trimestre qui sont les plus difficiles.

ToutEduc: Peut-on dire que tout le monde sait ce qu'il faut faire pour lutter contre la violence scolaire: des équipes stables d'adultes engagés dans un projet commun et une lutte de tous les instants contre les "petites violences" entre élèves?

Eric Debarbieux: Cela devient difficile de l'ignorer! Cela fait près de 20 ans que je le martèle sur tous les tons. Plus sérieusement il faut reprendre l'ensemble de la littérature qui analyse les "facteurs de risque" en tenant compte des variables contextuelles. Par exemple pour Denise Gottfredson et son équipe du Maryland, après plus de 35 ans d'enquêtes régulières, ce facteur de stabilité est plus important que tout autre facteur, même socio-économique (ce qui ne veut pas dire que la lutte contre l'exclusion sociale n'est pas essentielle!). Le problème est bien sûr, et particulièrement en France, que c'est aussi dans les zones les plus défavorisées que cette stabilité est la moins grande. Sans doute ne faut-il pas "obliger" à rester mais "inciter à rester". Cela ne se fera pas non plus sans une réflexion en profondeur sur le mode de nomination des enseignants du second degré. Ceci dit, la stabilité n'est pas une "solution" c'est une condition pour que les politiques et programmes de prévention soient efficaces! Une trop grande stabilité peut aussi être contreproductive....

ToutEduc: La violence scolaire a toujours existé, mais elle change de forme: quels sont les traits actuels qui te surprennent le plus (à moins que la surprise soit qu'il n'y ait pas de surprise)?

Eric Debarbieux: J'avais fait un rapport au ministère il y a 12 ans (oui, en 1998) indiquant que le plus préoccupant était la montée d'une violence à l'école liée à la délinquance d'exclusion. Deux traits principaux: ces violences sont plus collectives (agression par des groupes, loi du plus fort) et plus clairement tournées vers l'institution et les personnels. C'est pour moi le plus préoccupant. Alors non, il n'y pas là de surprise mais l'impression de beaucoup de temps perdu. Ceci dit ce qui surprend tout le monde, et qui est moins marqué sociologiquement, c'est la montée de ce qu'on appelle le cyberharcèlement: sms et mails injurieux... C'est une des études en cours dans notre observatoire. Catherine Blaya en est chargée et réalise un gros travail de terrain dont les résultats sortiront dans quelques mois.

ToutEduc: Quels sont dans la formation des chefs d'établissement les éléments qui manquent le plus?

Eric Debarbieux: C'est plutôt la formation des enseignants qui me préoccupe - la formation des chefs d'établissements progresse réellement depuis plus de dix ans. Mais dans l'ensemble tout ce qui touche à la gestion du stress, au travail de groupe, au travail en équipe est largement sous-estimé (quand il existe).

ToutEduc: Même question pour les CPE?

Eric Debarbieux: Comme pour tous les personnel, où est la réflexion concrète sur la sanction, sa légitimité, sa gradation? Il ne s'agit pas de faire des CPE des continuateurs des "surveillants généraux" d'antan bien sur mais il y a des actes éducatifs ordinaires qu'on se cache bien pudiquement.

ToutEduc: Avez-vous constaté une différence en fonction des politiques territoriales: présence ou non d'un PEL (projet éducatif local), d'un PRE (programme de réussite éducative), d'un partenariat Ecole-Police, etc.?

Eric Debarbieux: Pour ces  questions je renverrai volontiers au modèle Flamand développé dans un excellent article de Johan Deklerk qui développe les domaines respectifs de l'action de l'Etat et des différents niveaux. Cet article peut se télécharger sur le site du journal de notre observatoire (www.ijvs.org, n°10).

ToutEduc: S'il y a une erreur à ne pas commettre, laquelle?

Eric Debarbieux: A tout problème complexe il y a une solution simple: la mauvaise.

ToutEduc: La revue du CIEP, dans sa dernière livraison (voir "Un seul monde, une seule école?" (Revue du CIEP)), évoque une possible modification, dans de nombreux pays de l'OCDE, du sentiment à l'égard de l'Ecole. On n'attendrait plus qu'elle corrige, en quoi que ce soit, les inégalités sociales. Elle serait plutôt là pour les justifier, ce que semble dire aussi François François Dubet: l'école prise au piège de l'égalité des chances. L'observatoire international constate-t-il de même une perte du sentiment de confiance et de respect à l'égard de l'institution dans d'autres pays? Cela contribuerait-il à expliquer les formes actuelles de la violence scolaire dans d'autres pays de l'OCDE?

Eric Debarbieux: Il est difficile et ce serait ridicule de faire un hit parade. Cependant il est vrai que depuis longtemps ce "désamour" qui accompagne la violence scolaire est noté, et pas seulement en France. Allez voir le panorama dressé dans les deux derniers numéros de l'IJVS pour l'Europe, où souvent on retrouve la même tendance. Cependant elle me semble plus exacérbée en France, peut être en partie à cause de l'éloignement de l'école, lié à plusieurs causes dont le turn over des équipes éducatives marqué (en lien avec le mouvement national), plus forte centration sur les contenus (ce qui n'est pas un gage de meilleur succès dans les apprentissages), mais aussi bien sûr difficultés contextuelles et culturelles (statut des minorités par exemple, crise de la fonction publique etc.). Curieusement je ne retrouve pas du tout ce problème dans les pays du "Sud" où l'école est encore investie comme un vrai "capital social", du moins en ce qui concerne l'école élémentaire. Je renvoie ici à ce que j'ai écrit dans "Violence à l'école: un défi mondial?" (Armand Colin) ou dans les "Dix commandements contre la violence à l'école" (Odile Jacob).
 

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