La Lettre de ToutEduc n° 28
Paru dans La lettre le mercredi 03 mars 2010.
Il arrive que les clichés journalistiques aient du sens, et que le silence soit, réellement, "assourdissant". Deux adolescents se sont suicidés en prison. Ce n'était, à l'évidence, pas des "enfants de chœur". Et il est légitime que la société se protège de ceux qui ne respectent pas le pacte qui la fonde. Mais pas qu'elle amène à la mort ses enfants. Ces deux décès sont-ils, comme le soutient le syndicat (FSU) des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, la conséquence logique de la "politique répressive" du gouvernement (cliquez Suicides de mineurs en prison: le SNPES-PJJ met en cause la politique répressive en cours), ou l'aboutissement malheureux de deux destins? Le SNPES-PJJ dénonce sans cesse la remise en cause de l'ordonnance de 1945, la distinction faite entre la jeunesse en danger et la jeunesse délinquante, ainsi que toute incarcération de mineurs. Notre propos n'est pas de dire qui a raison, qui a tort, mais de constater que ces deux tragédies auraient dû être l'occasion d'un débat. Il n'en a rien été. Nous avions déjà tenté de l'ouvrir dans un dossier de Quelles alternatives à l'emprisonnement des mineurs?. Sans grand succès. Nous allons le rouvrir, et nous lançons un appel à contributions, ou au moins au signalement des ressources que nous pouvons mettre à la disposition de tous ceux qui ne referment pas si facilement la page des faits divers.
En ce qui concerne la garde à vue des mineurs, le site Claris permet de faire un point sur l'existant. La réforme en cours pourrait améliorer un peu la situation si un examen médical est requis pour tous, y compris les 16-18 ans (Garde à vue des mineurs: une analyse des évolutions récentes sur le site Claris). Le Conseil constitutionnel a par ailleurs sanctionné un article de la "Loi Estrosi", et interdit la transmission aux services de police d'images qui auraient montré des jeunes rassemblés dans les halls d'immeubles. Il a validé ceux qui répriment la violence en bandes et les intrusions armées dans les collèges et lycées (Violence en bandes et intrusion dans un établissement scolaire: le Conseil constitutionnel valide).
Quant à la violence scolaire, elle a disparu avec les vacances. Eric Debarbieux, l'un des pionniers du travail universitaire sur le sujet avait noté que le pic médiatique, en janvier chaque année, ne coïncidait pas avec les pics réels…Chacun sait que la lutte contre ce phénomène, très ancien, même s'il change de formes, et s'aggrave peut-être, ne passe pas par des mesures spectaculaires, mais par le travail modeste, inscrit dans la durée, d'équipes homogènes, soucieuses au premier chef des "petites" violences entre élèves. Nous verrons si les "états généraux" annoncés par le gouvernement débouchent sur la "révolution copernicienne" dans la gestion des personnels qu'appelle de ses vœux Claude Lelièvre (Violence scolaire: quelques références contre la simplification du débat). Mais ce combat de tous les instants demande du temps, donc des personnels, donc des moyens…
Il demande aussi des partenariats, puisque l'Ecole ne sera jamais un sanctuaire, un lieu clos. Luc Chatel vient de signer des conventions avec les associations complémentaires de l'Ecole (Luc Chatel joue la carte des associations complémentaires de l'école), dont son prédécesseur avait tenté de limiter l'influence. Elles interviendront pour aider à "la responsabilisation des lycéens", à "la lutte contre les violences et les discriminations", mais aussi à "la maîtrise des savoirs fondamentaux", qui n'est donc plus de la responsabilité de la seule Education nationale. Dans le même temps d'ailleurs, l'ACSE est confirmée dans ses missions et son budget, et avec eux les PRE (programmes de réussite éducative) chers à Jean-Louis Borloo (L'ACSE confirmée dans ses missions et son budget). Il nous faut revenir à ce sujet sur un mot malheureux de la dernière livraison de la Lettre. Nous avions parlé de "l'empilement" des dispositifs de soutien éducatif et d'aide à la scolarité. Le terme est négatif. On peut tout aussi bien parler d'une richesse, d'une palette de solutions mise à la disposition des enfants et des jeunes… à condition qu'on les aide choisir le bon, et que les territoires se dotent de politiques d'éducation qui leur donnent une lisibilité. (voir à ce sujet le débat organisé par PRISME, [#1413]).
Revenons aussi un instant sur "le rapport Fourgous" dont chacun reconnaît la richesse, même si certains (voir par exemple à ce sujet le site Rapport Fourgous: l'EPI relève la critique du B2I). Il dénonce aussi, en creux, la mise en place des ENT (espaces numériques de travail, portail internet qui fait le lien, pour l'élève et ses parents, entre l'établissement scolaire et la maison). C'est un véritable enjeu pour les collectivités. Mais comme aucune n'a les moyens d'en construire un pour le premier degré, et que Régions et départements n'avancent pas au même rythme, une entreprise privée, venue de Norvège, pourrait profiter de ces incohérences et de ces lacunes pour proposer sa plate-forme, et avec elle, la pédagogie scandinave puisque la technique n'est jamais neutre (ENT: un nouvel acteur sur le marché des espaces numériques de travail).
Cette période de vacances est en effet l'occasion de s'interroger sur nos modèles: Quel est le rapport entre le temps passé à l'école et les acquis scolaires? Une étude allemande pose la question et montre que les résultats ne sont pas les mêmes pour les garçons et les filles, et selon les disciplines (Peut-on impunément augmenter la charge de travail des élèves?). Tout le monde semble d'accord pour "individualiser l'enseignement". Mais les deux termes ne sont-ils pas antinomiques? (Individualisation de l’enseignement: un projet paradoxal? (Françoise Clerc)) Tout un chacun lutte contre les addictions. Et si elles s'inscrivaient dans un processus "normal" de construction de l'identité des adolescents? (Les addictions des ados en questions (revue)) On peut aussi se demander avec François Dubet si notre système scolaire doit effectivement rechercher l'égalité des chances, une formule devenue tellement rituelle qu'on oublie de s'inquiéter de ce qu'elle implique pour ceux qui n'ont pas de chance (François Dubet: l'école prise au piège de l'égalité des chances). On peut s'interroger, avec deux sénateurs de droite, sur la pertinence pour les territoires des politiques d'Etat, notamment la suppression de la carte scolaire ([#1489]).
Elle est aussi l'occasion d'exprimer des inquiétudes: l'étude de l'Islam ferait-elle les frais de la réforme du programme d'histoire en seconde?(Le monde musulman banni du programme de seconde?) Les conseillers d'orientation vont-ils pouvoir travailler si les collectivités n'entretiennent pas les locaux, et si l'Education nationale leur confie d'autres tâches que les leurs? (Orientation: les syndicats inquiets) Le congé parental n'est-il pas trop long, et trop peu rémunéré? Que l'Etat ait renoncé à le réformer n'interdit pas de s'interroger (Congé parental: l'Etat renonce à le réformer).
Cette période nous laisse un peu de temps pour écouter la plainte d'une enseignante, sur le blog de Luc Cédelle: comment accepter la souffrance de ses élèves lorsqu'ils sont sans papiers: "Les professeurs considèrent l’éducation comme un droit absolu et tiennent aux principes écrits sur les frontons, même s’ils sont conscients de travailler dans l’illusion, tant le réel leur fournit des exemples de déni de ces principes. Mise à part cette question d’éthique, ils ressentent les avis d’OQTF (obligation de quitter le territoire français) envoyés à leurs élèves comme un échec, se sentent responsables d’eux." (Elèves sans papiers: le témoignage d'une enseignante (Blog de Luc Cédelle)) Ajoutons simplement que cette "illusion" est nécessaire, sinon aucun enseignant ne se lèverait le matin.
On peut enfin trouver des occasions de se réjouir. Un grand programme de développement des aires de jeux va être lancé. " "Les recherches montrent que le jeu aide à combattre l’obésité infantile, favorise le développement social et émotionnel de l’enfant. Il constitue par ailleurs un support de résilience pour les enfants en difficulté ainsi qu’une base d’apprentissage". Malheureusement, c'est en Angleterre que ça se passe (Grande Bretagne: Un programme national pour développer les aires de jeu pour enfants.). La Cour d'appel de Bordeaux rappelle à l'Etat qu'il doit comptabiliser les enfants de deux ans avant de supprimer un poste dans une école maternelle d'une commune en difficulté, et elle propose une définition extensive de la difficulté (La Cour d'appel de Bordeaux confirme que les enfants de 2 ans doivent pouvoir être scolarisés). Reste à savoir si le Conseil d'Etat suivra... Mais trêve d'ironie. La Fondation de France lance trois appels à projets pour lutter contre le décrochage dans les collèges, pour que les filles fassent du sport et que la culture vienne aux 6-12 ans. (La Fondation de France) La SNCF lance deux appels à projets pour la lecture et la prévention de l'illettrisme (La fondation de la SNCF lance deux appels à projets pour la lecture). Ce sont de bonnes nouvelles. Et surtout, c'est à la quasi-unanimité que la représentation nationale a voté la création du "service civique"! ([#1478]) Le Parti communiste craint qu'il ne pallie l'absence de travail et les défauts de notre système de formation. Certes, mais il faut se féliciter de voir se concrétiser un projet qui permettra aux jeunes, et aux moins jeunes, de s'engager pour le bien commun.