La Lettre de ToutEduc n° 762
Paru dans La lettre le mercredi 11 juin 2025.
La lettre du 11 juin 2025
Difficile de dire qu'il ne se passe rien quand un enfant poignarde à mort une surveillante. Toute notre compassion à la famille de la victime, à l'équipe du collège et aux autres élèves, mais aussi à la famille du meurtrier qui subit elle aussi un choc d'une extrême violence. ToutEduc ne participera pas à l'agitation médiatique autour des portiques de sécurité et autres gadgets.
Difficile de le dire donc, et pourtant, il y a bien une pause dans l'actualité éducative. Celle-ci nous donne l'opportunité de commencer notre série, "Histoire secrète du ministère Blanquer". Nous prendrons chacune des réformes par niveaux, en commençant par la maternelle, pour en retracer l'origine et en évoquer le bilan.
Premier épisode, la maternelle obligatoire
"J'ai décidé de rentre obligatoire, dès la rentrée 2019, l'instruction à 3 ans", a déclaré Emmanuel Macron le 27 mars 2018. Le président de la République intervenait en ouverture des "Assises de la maternelle". Il précise que cette obligation peut sembler inutile quand 97 % des enfants sont déjà scolarisés, mais il ajoute que cette moyenne couvre des inégalités territoriales, notamment dans les DOM, et "dans la journée", puisque certains enfants ne vont à l'école que le matin. Il ajoute qu'il ne rend pas obligatoire l'école maternelle à 2 ans, mais il s'engage à "donner les moyens" de cette scolarisation partout où elle apparaîtra "utile".
L'information avait fuité, et l'effet de surprise est gâché. L'annonce est plutôt bien reçue. Elle répond d'ailleurs à d'anciennes revendications, notamment de gauche. Najat Vallaud-Belkacem y pensait. Le caractère scolaire de la maternelle est inscrit dans les textes. La "loi Jospin" de 1989 prévoit (article 4) que "la scolarité est organisée en cycle" et que "la scolarité de l'école maternelle à la fin de l'école élémentaire comporte trois cycles". Dès lors qu'elle est une école, avec des programmes, des connaissances et des compétences à acquérir, il est logique que la maternelle soit obligatoire.
Mais tous les Gouvernements, de Gauche comme de Droite, ont reculé pour une raison simple, les maternelles privées pourront demander leur alignement sur le public. Dans les couloirs, juste après cette annonce, deux journalistes, François Jarraud du Café pédagogique et moi-même posons, à quelques instants d'intervalle, la question du coût de cette mesure à Jean-Michel Blanquer. Deux fois il répond "ce n'est pas un sujet". Autrement dit, le coût est dérisoire. Je croise, quelques instants plus tard, Damien Berthilier, président du RFVE (le réseau des "villes éducatrices"), adjoint à l'éducation à Villeurbanne. Il estime en première approximation à 1 M€ le coût pour sa commune. En effet, dès lors que l'école est obligatoire, la collectivité doit en financer les coûts de fonctionnement, ce qu'on appelle le forfait d'externat.
Je dois avouer que je pensais plutôt au surcoût pour l'Etat du salaire des enseignant.e.s. En réalité, la plupart des classes de maternelles étaient déjà sous contrat et les enseignant.e.s salarié.e.s par l'Etat. Le surcoût correspond pour l'essentiel au "forfait d'externat". Les collectivités doivent verser pour chaque élève des classes sous contrat une somme équivalente à ce qu'elles dépensent pour les élèves du public en chauffage, éclairage et surtout personnel d'entretien, les ATSEM en maternelle. Bien qu'elles n'y soient pas obligées, beaucoup de communes, y compris de gauche, versent aux écoles maternelles privées une subvention correspondant à tout ou partie du forfait d'externat. Pour celles qui versent la totalité du "forfait", ça ne change rien, mais pour celles, nombreuses qui n'en versent qu'une part, la différence est importante. Comment Jean-Michel Blanquer peut-il nous dire que "ce n'est pas un sujet" ?
Les commentateurs ont vu dans cette disposition "un cadeau au privé" et beaucoup de cynisme. Les sommes en jeu ne sont pas négligeables. Le RFVE les évalue à une centaine de millions, le Secrétariat général de l'enseignement catholique à une soixantaine de millions, 45M€ sont inscrits au budget de l'Etat. Mais il faut plutôt utiliser ici "le rasoir de Hanlon" : "Never attribute to malice that which is adequately explained by stupidity" (Ne jamais attribuer à la malveillance ce que l'ignorance ou la sottise suffit à expliquer). J'ai eu, quelques années plus tard, une longue conversation avec l'adjoint.e au maire d'une ville-préfecture qui avait eu le ministre au téléphone. Celui-ci savait que certaines communes refusaient toute subvention au privé, mais il était convaincu que la loi les obligeait, à partir du moment où elles contribuaient au financement du privé, à leur verser la totalité du forfait. Le "gap" ne portait donc, dans l'esprit du ministre que sur quelques communes, alors que c'est vraisemblablement plus de la moitié de celles qui comptent une école privée sur leur territoire qui étaient concernées. Au salon les maires en novembre 2019, il parle d'une "conséquence financière inévitable et indirecte" de cette mesure, une sorte d'effet collatéral. Reste à voir ce qui la justifiait.
C'est ce que nous verrons à l'occasion d'une prochaine pause dans l'actualité.
LES DEPÊCHES
Le système scolaire - les personnels
Infirmier.e.s scolaires : les parlementaires créent une spécialité et un diplôme à bac+5 (la dépêche)
Alsace-Moselle : des DDEN dans les trois départements concordataires (exclusif) (la dépêche)
Privé sous contrat : une note de service pour en encadrer le contrôle par les finances publiques et l'Education nationale (la dépêche)
Orientation - Insertion
Orientation : vers une normalisation des relations entre l'Etat et les Régions ? (la dépêche)
Le Défenseur des droits pointe "les carences actuelles du service public de l’orientation" (la dépêche)
Orientation : la plate-forme Avenir(s) confortée (la dépêche)
Pédagogie - Enseignements
L' "Education nouvelle" n'est pas une "méthode" et ne peut être évaluée avec les moyens (illusoires) des "evidence based policies" (Revue) (la dépêche)
Langues vivantes : triomphe de l'anglais, recul généralisé des autres langues (DEPP) (la dépêche)
Les élèves - les parents
Baccalauréat 2025, quelques chiffres (la dépêche)
FCPE : continuité au bureau national (la dépêche)
La revue des débats
Opinions sur l’École et l’éducation, semaine du 1er au 7 juin 2025 (P. Watrelot) (la dépêche)
Officiel
Au JO du 6 au 8 juin, au BOAMP. Un DASEN, le vote électronique... (la dépêche)
Au JO du 3 au 5, au BO. Le privé sous contrat, le DGRH, deux recteurs, Wallis et Futuna, Barsacq (la dépêche)
A l'agenda
Le 18 juin - Nanterre - Etats généraux de l'éducation "à Nanterre"
Du 19 au 20 juin - Paris et visio - Assises nationales de la protection de l’Enfance
Du 25 au 28 juin - Malakoff - 38ème congrès de la FNAREN
Du 27 au 29 juin - Paris - Premier salon de la rentrée scolaire
Du 7 au 9 juillet - Liège - Congrès international de l’AREF (Actualité de la Recherche en Éducation et Formation)
Du 19 au 22 août - Précieux (Loire) - Congrès de l'ICEM
Du 25 au 28 août - Ax-les-Thermes - 22ème édition de LUDOVIA (Université d’été du numérique éducatif)
Le 14 octobre - Dijon - Choisir, orienter et réussir dans le nouveau lycée général (IREDU)
Du 2 au 6 décembre - Evreux - Festival international du film d'éducation
Les 4 et 5 décembre - Aubervilliers - L’éducation et la formation des jeunes migrants au XXème et XXIème siècle (colloque international)
Du 22 au 24 avril 2026 - Paris - Biennale internationale de l'éducation, de la formation et des pratiques professionnelles