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Les apprentissages informels, un enjeu pour l'école du XXIème siècle (Cahiers pédagogiques)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 20 novembre 2012.

L'école ne peut plus ignorer les "savoirs informels" des élèves. C'est le principal enseignement du 500e numéro des Cahiers pédagogiques, dont les contributeurs se demandent "comment apprendre au XXIe siècle". Une partie de ce dossier est consacrée au numérique, mais le défi de l'école contemporaine n'est pas seulement d'ordre technologique. Il est avant tout lié à une évolution de la nature des savoirs à construire, qui ne peuvent plus se limiter à un apprentissage scolaro-centré.

"L'école ne peut plus faire apprendre de la même façon qu'auparavant", affirme ainsi la chercheuse Françoise Clerc. Les enseignants ne peuvent plus ignorer "les apports des neurosciences et de l'informatique", qui permettent de mieux comprendre les phénomènes psychiques liés à l'apprentissage. "Il devient urgent d'introduire dans la formation des enseignants de sérieuses références théoriques qui les aideront à comprendre, à la lumière des avancées des sciences contemporaines, les stratégies mentales de leurs élèves".

Valoriser "l'école buissonnière"

Les enseignants devraient ainsi mieux mesurer "la double influence de l'environnement des élèves, plus ou moins favorable à l'exercice des aptitudes nouvellement apparues, et du contexte social plus ou moins riche et stimulant". Pour F. Clerc, l'école n'a pas encore intégré ces éléments. Elle rappelle que l'organisation actuelle des apprentissages ne prend pas en compte les rythmes du développement de l'enfant. Les systèmes d'évaluation des compétences ignorent que "l'expérience scolaire n'est qu'une faible part de l'expérience personnelle de l'enfant, et certainement pas la plus déterminante".

Il faudrait donc valoriser, et non combattre, "l'école buissonnière". Tirée d'un ouvrage d'Anne Barrère (voir ToutEduc L'éducation est sortie de l'école (A. Barrère)), cette expression est reprise par plusieurs contributeurs. D'après Denis Cristol, directeur des dispositifs de formation du CNFPT, elle désigne les apprentissages "informels, morcelés, fortuits, issus de l'expérience des élèves".

L'informel ne correspond pas seulement à une sphère distincte du formel, précise Aurélie Maurin, maîtresse de conférence en psychologie. C'est aussi un "prérequis essentiel à l'entrée dans les apprentissages et à la possibilité d'intérioriser les savoirs" diffusés par les institutions éducatives. Les enseignants parviennent à donner du sens aux savoirs scolaires en s'appuyant sur les apprentissages informels de leurs élèves. "Ce qui compte pour les adolescents se joue ailleurs qu'à l'école", réaffirme Anne Barrère dans sa contribution. "Il faut que l'école élargisse ses savoirs à ceux des familles, qu'elle ne les disqualifie pas, pour que l'enfant les reconnaisse à son tour", reprend Bruno Tardieu, secrétaire national d'ATD Quart Monde.

La valorisation de l'éducation informelle devrait permettre de "bousculer la forme scolaire" et "refonder cette institution", pour reprendre le titre de la contributions de François Dubet. Cette évolution est déjà en cours, si l'on en croit le sociologue Gilles Moreau. Selon lui, la valorisation du diplôme, pilier de "l'ordre éducatif" du XXème siècle, est aujourd'hui remise en cause. C'est ce dont témoigneraient la validation des acquis de l'expérience (VAE) et le développement des certificats attestant l'acquisition de compétences en-dehors du cadre scolaire (certificats de qualification professionnelle, de maîtrise de l'orthographe ou de l'informatique).

L'école, meilleure ennemie des pauvres?

Pour autant, tous les élèves ne sont pas égaux devant "l'école buissonnière". Seuls les élèves les moins en difficulté profiteraient de la valorisation des activités périscolaires, si l'on suit le philosophe Laurent Ott. "Pour les enfants et les jeunes issus de familles favorisées, l'école, réduite au minimum, en temps et en ambition, laisse beaucoup de place pour toute es activités de complément, culturelles ou prestigieuses, qui sauront apporter de la distinction à ceux qui les fréquentent." En revanche, "tout est mis en oeuvre pour que l'école devienne le centre de la vie des enfants pauvres et de leurs parents". A terme, le temps social et culturel, indispensable au développement de l'enfant et complémentaire du temps scolaire, ne bénéficierait plus "qu'aux enfants favorisés".

"L'école, qui devrait être la meilleure alliée des pauvres, devient leur meilleur ennemi lorsque l'injustice de la société devient celle de l'école", confirme Bruno Tardieu. En termes de valeurs, les élèves pauvres subissent "un conflit très fort entre la vie personnelle et l'école, un conflit de loyauté entre le savoir de la maison et le savoir de l'école".

L'école devrait au contraire éviter la fracture entre les élèves, en reconnaissant le parcours des familles les plus en difficuté. Selon B. Tardieu, cela passe par la création d'espaces parents pour qu'ils puissent parler de leur passé scolaire, de leur souffrance. ATD Quart-Monde a mené plusieurs expériences en ce sens, afin de "mettre les parents en confiance" (voir ToutEduc Maurepas : retour sur la démarche "En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir" (ID2) et ici).

Prendre en compte le milieu d'origine de chaque élève ne doit pas pour autant déboucher sur une forme de stigmatisation involontaire. En s'appuyant sur des "pédagogies différenciées" pour combattre les inégalités, l'école entretiendrait un effet pervers, si l'on suit Laurent Ott. "C'est un nouveau déterminisme qu'il nous faut combattre : celui qui assigne et sépare de plus en plus les enfants en fonction de leur milieu, au moment même où l'on prétend favoriser la mobilité, désectoriser et inclure."

Le sociologue Francis Dhume faisait récemment le même constat en analysant la mise en place d'une "classe à la cave", réservée aux enfants Roms, dans un village du nord de l'Alsace (voir ToutEduc La mission de réfléxion sur la morale laïque ne prend pas la bonne direction, estime F. Lorcerie).

"Il y a urgence à se défaire des raisonnements trop commodes, comme l'invocation des circonstances terribles de vie d'un élève pour expliquer le pourquoi d'un refus de savoir", confirme Mireille Cifali, formatrice à l'université de Genève. L'Ecole devrait ainsi réaffirmer le "principe de l'éducabilité de tous et de chacun", à partir duquel le pédagogue P. Meirieu propose de définir la question de l'apprentissage.

Des moments de grâce

Ce principe guide le dispositif de "pédagogie sociale" mis en place par l'association "Intermèdes Robinson" à Longjumeau. Des ateliers de rue permettent aux "parents, enfants, adolescents, adultes du quartier de se réapproprier les espaces et la vie publique" en expérimentant "le travail hors institution", détaille Laurent Ott. Ces pratiques se situent à mi-chemin entre "la prévention spécialisée" et "la pédagogie Freinet".

A l'image de la description de ce dispositif, les réflexions théoriques sur l'apprentissage sont indissociables des pratiques de terrain. Fidèle à l'objectif initial des Cahiers Pédagogiques - "réfléchir aux menus gestes professionnels, aux problèmes concrets des situations d'apprentissage, au ras du quotidien" selon les rédacteurs en chef actuels de la revue -, ce numéro revient sur plusieurs expériences menées au sein des classes. Loin de se limiter à des constats théoriques, des enseignants racontent "ces moments de grâce où, enfin, des élèves résistants se mobilisent à la tâche", pour reprendre l'expression d'une professeur de français. Certains décrivent leur appropriation des "pédagogies novatrices"; d'autres expliquent comment ils sont parvenus à faire travailler autour d'un projet artistique des élèves de 3e "qui ne savent ni se taire, ni obéir, ni rester attentifs", alors même "qu'aucun des ressorts psychologiques de la motivation n'était là".

Sans pour autant dévaloriser les apports de la recherche, ces expériences de terrain permettent d'éviter l'écueil des constats sans effets. "La surpsychologisation de l'enfance est un mal, l'utilisation simpliste des raisonnements psychologiques une catastrophe, car elle laisse la situation en l'état, elle ne fait qu'un constat et induit une délégation à d'autres personnels", rappelle Mireille Cifali. Faire en sorte que l'école demeure "un espace de réparation", et non seulement un cadre d'analyse sociologique, "cela prend du temps, demande de la patience, et la conjugaison de la force de tous les personnels". 

Raphaël Groulez

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