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La mission de réfléxion sur la morale laïque ne prend pas la bonne direction, estime F. Lorcerie

Paru dans Scolaire, Culture le mercredi 31 octobre 2012.

 "Vincent Peillon aurait dû confier la mission de réflexion sur l'enseignement de "morale laïque" à la Ligue de l'Enseignement, qui défend une conception inclusive de la laïcité". En marge d’une conférence sur "la question ethnique" organisée par le CNDP, Françoise Lorcerie s'est étonnée des orientations que semble prendre la proposition du ministre de l'Education. La directrice de recherche du CNRS a salué l'idée d'un tel enseignement, à condition qu'il permette de "réfléchir au concept de laïcité pour le rendre plus inclusif". "La morale laïque ne doit pas dériver vers une nouvelle forme de catéchisme", a prévenu F. Lorcerie. Elle a regretté que le ministre envisage de "l'évaluer" et qu'il ait nommé Rémi Schwartz à la tête de la Morale laïque : la mission rendra sa copie au mois de marschargée d'en définir le contenu.

R. Schwartz était le rapporteur général de la commission Stasi, dont le rapport sur la laïcité défendait "une conception nationaliste et culturaliste" de ce concept, selon F. Lorcerie. La commission "islam et laïcité" avait dénoncé début 2004 l'esprit de ce rapport, qui aurait "accepté comme allant de soi le fait que la France était l’objet d’une agression, notamment à l’école, qui [s'inscrirait] plus largement dans une 'menace islamique' mondiale."

Pour F. Lorcerie, cette définition de la religion, et plus spécifiquement de l'islam, comme une menace que l'école devrait exclure, est aujourd'hui largement répandue. "Lorsqu'on étudie l'usage que qui est fait de la catégorie de 'musulman' à l'école, on remarque qu'elle sert souvent à identifier des individus 'différents' ", observe-t-elle. Cet usage irréfléchi naturalise la séparation entre les élèves répondant au profil "musulman" et les autres. Réduit à certaines caractéristiques "typiques", l'islam symbolise "l'extériorité hostile de la République", selon l'expression de la chercheuse.

Cette conception est relayée par les usages politiques du concept de laïcité, "hérités des guerres scolaires, prudents et réducteurs vis-à-vis des religions". L'enjeu de la morale laïque serait au contraire de développer une "philosophie politique de la laïcité" afin de rapprocher son usage de sa définition juridique.

Contre vents et marées

En 2004, le Conseil d'Etat a émis un L'Ecole peut-elle répondre à "une très forte demande sociale d'enseignement religieux"? (IESR/ministère)), l'apprentissage du fait religieux est souvent délaissé par les enseignants alors qu'il figure parmi les compétences du socle commun. "La définition du conseil d'Etat n'est pas entrée dans les mœurs, ni dans celles des politiques, ni dans celle des enseignants."

C'est donc "contre vents et marées" que la ligue de l'Enseignement défend une définition de la laïcité inclusive. Elle "inclut la diversité religieuse et philosophique comme la diversité d’origines nationales", selon le texte de présentation des travaux de la Ligue. La Ligue de l'Enseignement fait ainsi "de l'accueil de l'islam un enjeu majeur d'une nouvelle définition de ce concept, qui soit à l'unisson du droit", note F. Lorcerie.

Cache-cache et tabou

La catégorie des élèves "musulmans" est actuellement considérée comme un tabou dans les établissements scolaires, selon la chercheuse. "Pour les enseignants, l'école n'a pas d'élèves musulmans, elle n'a que des élèves." Ce principe évacue des écoles des revendications identitaires bien réelles et empêche les différents acteurs de réfléchir sur leurs représentations du phénomène. Les élèves musulmans sont l'objet d'un jeu de "cache-cache" au sein de l'institution scolaire, au sens où l'entend le sociologue Fabrice Dhume: cette catégorie est considérée comme invalide, car discriminante, par l'institution scolaire, tout en étant souvent mobilisée par les acteurs eux-mêmes.

En éludant la question de l'islam, l'Ecole renforcerait les discriminations qu'elle cherche à éviter. "Les situations de discrimination ne sont pas exceptionnelles dans le système scolaire", note F. Dhume. Leur persistance interroge la responsabilité de l'institution et de ses agents. "Tous les acteurs du système éducatif affichent la volonté de travailler à la réduction des discriminations, mais des mécanismes machinaux prennent le pas sur la volonté consciente des acteurs", confirme Maryse Adam-Maillet, IA-IPR de lettres. C'est ainsi que l'école prône un usage expert et exclusif de la langue française, qui ne permet pas de mettre en valeur le plurilinguisme des élèves issus de l'immigration.

Des questions traditionnelles comme "la scolarité pour tous" ou "la scolarisation des enfants à problèmes" appellent aussi des réponses dérogatoires qui marginalisent les élèves concernés. F. Dhume a étudié la mise en place d'une classe d'adaptation sensée servir de "palier d'intégration" aux élèves gitans d'un collège du nord de l’Alsace. Ce dispositif, sensé favoriser leur inclusion, a fini par déboucher sur l'isolement des élèves concernés, associés à la classe qui leur était dédiée. Ce genre de pratique discriminatoire, qui traite les élèves en fonction de leur origine ethnique, est maintenu grâce à des arrangements locaux: " il y a une chaîne de responsabilités des uns et des autres qui permet à la situation de se stabiliser", souligne F. Dhume.

Un usage professionnel de la catégorie "musulman"

Pour combattre ces effets pervers, il faut revenir à leur origine, au niveau des représentations des acteurs, des impensés. C'est dans ce cadre que F. Lorcerie appelle les enseignants à "penser un usage professionnel de la caégorie 'musulman' pour l'utiliser dans un usage plus réfléchi que celui qui consiste à la dénier". Dans une telle perspective, l'islam ne serait plus un facteur de division mais "un moyen de permettre à chacun de s'éprouver comme concitoyen".

Pour F. Lorcerie, cette évolution est essentielle au développement d'une "laïcité d'intelligence" qui permettrait aux élèves "d'assumer les caractéristiques de la société dans laquelle ils vivent" et "donner à chacun un sentiment d'appartenance commune" au-delà des prétendues différences "ethniques". La chercheuse l'affirme: il est dans la mission de l'école d'apprendre à tous les élèves ce qu'est être religieux et, plus spécifiquement, musulman. Cela passe par une réorganisation des programmes scolaires, afin de "permettre de parler des choses délicates et faire sauter l'aspect négatif de la catégorie de l'islam".

F. Lorcerie reprend ainsi les préconisations du rapport sur l'enseignement religieux à l'école laïque, daté de 2002 et rédigé par Régis Debray - qui a par la suite participé aux travaux de la Commission Stasi. Il stipule que l'école ne doit pas ignorer les grandes religions, mais les étudier dans le cadre des disciplines scolaires existantes. 

Les interventions de F. Lorcerie, F. Dhume et M. Adam-Maillet reprenaient les points principaux de leurs contributions au numéro d'Avril 2012 de la revue "Diversité". Ce numéro, intitulé "Des différences (im)pertinentes, retour sur la question ethnique", est disponible en ligne.

Raphaël Groulez

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