Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Légitimer le métier d'enseignant documentalise pour combattre une "imposture intellectuelle" (F. Chapron)

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 27 mars 2012.

"Prétendre qu'enseigner la culture de l'information fait partie des compétences de tout professeur, c'est une imposture intellectuelle." A l'issue du 9e Congrès des enseignants documentalistes, Françoise Chapron, maître de conférences en sciences de l'éducation, a corroboré l’analyse d'Ivina Ivana Ballarini-Santonocito vice-présidente de la FADBEN (voir ToutEduc Les documentalistes veulent un programme pour l'enseignement d'une culture documentaire à l'heure du numérique). Elle a voulu "réaffirmer le rôle spécifique des documentalistes dans les nouveaux environnements numériques". En effet, "les enseignants disciplinaires n'ont ni le temps ni les capacités de s'occuper de la culture de l'information". Si un professeur peut s'intéresser aux applications du numérique dans sa matière, il faut compléter ces pratiques didactiques par "une réflexion sur les usages", à même de fournir aux élèves "une compréhension globale" du phénomène numérique.

L'accès à l'information numérique doit devenir "un objet d'apprentissage en tant que tel", confirme Divina Frau Meigs, sociologue des médias et grand témoin du Congrès. Cet apprentissage correspond au "principe directeur" qui devrait guider l'introduction des technologies numériques à l'école, si l’on suit Julien Gautier et Guillaume Vergne, fondateurs de la revue skhole.fr: "L'école ne doit pas seulement faire du numérique un moyen d'enseignement, mais d'abord et avant tout des objets d'enseignements", écrivent-ils dans L'Ecole numérique et la société qui vient (Mille et une nuits, 2012, voir ToutEduc Meirieu, Kambouchner, Stiegler : l'Ecole, lieu de culture, même à l'heure du numérique). Or ce type d'enseignement fait partie des compétences des documentalistes. "Demander au professeur de français de l'assurer, c'est un crime", s’emporte D. Frau Meigs.

Contre les "learning centers"

En amenant à définir de nouveaux "objets d'enseignement", le développement du numérique a permis de spécifier la fonction des documentalistes. "Il était important de sortir d'un modèle axé sur une méthodologie transversale, sans contenu", note Françoise Chapron. L'information-documentation est devenue la "quatrième culture à acquérir, à la suite des humanités, des sciences et du domaine économique, juridique et social. " L’auteure de CDI des lycées et des collèges (PUF, 2001, édition refondue et augmentée en 2012) dénonce donc la tendance actuelle qui vise à "recentrer le profil professionnel des documentalistes vers une gestion de dispositifs et d'accès", sans évoquer un contenu d'enseignement. Les professeurs documentalistes sont "hostiles à l'évolution du CDI en learning center voulue par l'inspection générale" parce que ces learning centers "présupposent l'autonomie des jeune" en matière de numérique et d'acquisition de l'information.

La culture de l'information devrait être considérée comme une discipline à part entière. "Il faut inscrire ces savoirs dans le cursus des élèves. Il faut les inscrire dans le socle commun des compétences à acquérir à l'école, en allant plus loin que le 4e pilier", insiste F. Chapron. Ce pilier fait des "techniques usuelles de l'information et de la communication" l'un des domaines qu'il est "indispensabe de maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire". Même s'il insiste sur l'acquisition d'une "attitude critique vis-à-vis des informations récoltées", le texte reste vague quant à la spécificité de cet enseignement. Alors qu'il date de 2006, très peu d'inititatives ont permis de clarifier cet objectif et les moyens de le mettre en oeuvre. Françoise Chapron a fait plusieurs propositions en ce sens, dont "une heure de cours hebdomadaire consacrée à l'analyse de l'actualité, pris en charge par un professeur-documentaliste". Ce n'est qu'une solution parmi d'autres: l'objectif est avant tout de "légitimer le métier des professionnels de l'information-communication", martelle D. Frau Meigs.

Médiateurs, ralentisseurs

Dans ce but, les professeurs-documentalistes devraient mettre en avant leur proximité avec le monde des élèves. Comme l'a montré Anne Barrère dans L'Education Buissonnière (A. Colin, 2011, voir ToutEduc L'éducation est sortie de l'école (A. Barrère)), le numérique est l'objet d'une "auto-formation" des jeunes, en-dehors du cadre scolaire. La prise en compte de cette dynamique informelle est indispensable. Or, comme le remarque Françoise Chapron, "les documentalistes sont les mieux placés pour connaître les pratiques quotidiennes des élèves, s'appuyer sur elles ou les dénouer pour mieux les formaliser". Les documentalistes jouent un rôle d'interface entre les "pratiques médiatiques ordinaires" des jeunes et l'enseignement scolaire. "C'est aux documentalistes de faire le lien entre la culture mosaîque des élèves et leur formalisation par l'Ecole." Cette position privilégiée les distinguerait des enseignants disciplinaires, plus dépendants du "programme" de leur matière."Les professeurs parviennent plus difficilement à faire le lien entre savoirs scolaires et lecture critique du monde. La mutation du métier d'enseignant devra pourtant le prendre en compte, et les professeurs seront moins formés que nous sur ces questions."

Les professeurs documentalistes seraient finalement les plus aptes à incarner "la posture pédagogique de l'ère cybériste" qu'a cherché à définir D. Frau Meigs. En donnant du sens aux pratiques électives des jeunes, ils réussiraient à "faire la guerre à l'ennui" en trouvant de nouvelles manières d'intéresser les élèves. Ce regain d'intensité serait pardoxalement associé au rôle de "ralentisseur" des professeurs documentalistes. Ils invitent les élèves à s'arrêter sur leurs propres usages du numérique, instaurant ainsi des périodes de réflexion dans une "ère du zapping".

A travers le rôle des "profs docs", c'est la "posture traditionnelle" de l'Ecole dans son son ensemble qui est en jeu. Comme le rappelle D. Frau Meigs, "nous ne survivrions pas sans institutions de ralentissement. Il faut redonner au ralentissement ses lettres de noblesse." Elle rejoint les analyses de Philippe Meirieu, qui fait du "ralentissement" l'une des conditions essentielles de l'introduction des technologies numériques à l'école. Dans un chapitre de L'Ecole numérique et la société qui vient, le pédagogue affirme que "l'école doit se saisir du numérique et travailler sur ses usages; elle doit s'instituer à leur égard comme espace de décélération, sans lequel le nouvel ordre informatique ne laissera guère de place pour le tâtonnement proprement humain de la pensée".

Divina Frau Meigs a récemment publié “Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages” (Presses de la Sorbonne nouvelle) et “Socialisation des jeunes et éducation aux médias” (Erès)

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →