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PJJ: un nouveau regard sur les mineurs délinquants? (Dominique Youf)

Paru dans Justice le jeudi 28 octobre 2010.

Rôle des collectivités, fin de l'Etat providence, centres éducatifs fermés... les Assises de la prévention de la délinquance juvénile ont été l'occasion d'interroger le fonctionnement de la Protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi les principes qui guident son action. ToutEduc a demandé à Dominique Youf, philosophe (Paris-IV) et bon connaisseur de la PJJ comment il voyait évoluer le regard de la société et des professionnels sur ces jeunes.

ToutEduc : Une récente circulaire du ministère de la Justice et des Libertés (10 juin 2010) précise le rôle et les missions de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance. Comment l'avez-vous reçue?

Dominique Youf : Au niveau de la PJJ, une grande partie du personnel vit difficilement la sortie de l'enfance en danger de leurs compétences. L'un des arguments est celui d'un désengagement de l'État. C'est une réalité, mais il faut également souligner que dans la plupart des pays européens, ce sont les autorités locales qui ont la prérogative de l'enfance en danger. La France s'aligne donc sur ce qui est pratiqué ailleurs, c'est-à-dire sur le principe de subsidiarité. Avec le processus de décentralisation, les conseils généraux se voient déléguer de plus en plus de compétences; l'enfance en danger relève du conseil général, l'enfance délinquante de la Protection judiciaire de la jeunesse. La circulaire semble, pour autant, moins viser la séparation des services que la meilleure coordination des principaux organismes. Ses orientations renforcent les directeurs territoriaux de la PJJ dans leur rôle politique, notamment au sein des observatoires départementaux de la protection de l'enfance, qui ont vocation à constituer un lieu de concertation avec les conseils généraux et les associations. Par ailleurs, on peut noter que la circulaire indique que le traitement éducatif de la délinquance des mineurs s'inscrit dans le champ de la protection de l'enfance.

ToutEduc : Comment comprendre cette réticence à la réorientation vers le pénal de la PJJ?

Dominique Youf : Ceci est lié à deux héritages dans la culture française: l'attachement très fort à l'État providence, et l'idée, issue de l'après-guerre, selon laquelle un enfant coupable est avant tout un enfant victime. En clair, après l'adoption de l'ordonnance de 1945, et surtout à partir des années soixante-dix on perçoit la délinquance comme le symptôme d’un dysfonctionnement global de la société, dont il faudrait protéger les jeunes, fussent-ils en faute. L’ordonnance de 1958 sur la protection judiciaire de l'enfance en danger a renforcé la volonté politique de réguler la délinquance par l’assistance éducative. Ce modèle s'est déployé véritablement dans les années 1960/70, période où le délit du mineur est perçu davantage comme un symptôme à analyser et à traiter que comme une faute à punir. Cependant, la focalisation de l’institution judiciaire et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sur la cible des mineurs en danger a entraîné un abandon des mineurs délinquants les plus difficiles dans les années 60/70. Le nombre de ces mineurs placés en prison a augmenté de manière considérable. Comme la PJJ fonctionnait sur l’adhésion du mineur considéré comme victime, ceux qui n'adhéraient pas se retrouvaient soumis au régime pénal ordinaire des adultes, c'est-à-dire à la prison. Le recentrage de la PJJ sur sa mission essentielle, à savoir la prise en charge éducative des mineurs délinquants, en particulier les récidivistes, m'apparait une bonne chose.

ToutEduc : Le nombre de centres éducatifs fermés est en augmentation ces dernières années. Que pensez-vous de cette évolution dans la prise en charge de la délinquance?

Dominique Youf : L'objectif de la PJJ reste celui de sortir les mineurs des prisons. Je suis ainsi favorable aux initiatives qui visent à l'accueil des mineurs les plus difficiles par des mesures éducatives, le développement des CER (Centre d’éducation renforcée) depuis 1999, la création des CEF (Centre éducatifs fermés) en 2002, etc.. Voilà autant d’éléments positifs capables d'incarner une justice éducative responsable pour les jeunes les plus difficiles. Il existe un large éventail de mesures et de sanctions éducatives (liberté surveillée, placement éducatif..) permettant de faire face à la diversité des situations et de prendre en charge la grande majorité des mineurs délinquants. Depuis une vingtaine d'années les nouvelles mesures ou sanctions pénales à caractère éducatif qui ont été créées (réparation, stages de citoyenneté, TIG, mesures d'activité de jours etc) m'apparaissent intéressantes, mais supposent le consentement du jeune et une certaine discipline, ne serait-ce que pour se lever le matin. C'est la raison pour laquelle l'éducation renforcée ou en milieu contraint s'impose pour les mineurs en rupture avec les règles sociales.

ToutEduc : Comment se passe, dans ces centres, la prise en charge thérapeutique des mineurs?

Dominique Youf : Les mineurs récidivistes représenteraient 1/3 des actes de délinquance. Leur prise en charge est parfois complexe: Philippe Jeammet, psychanalyste (Société psychanalytique de Paris) et professeur de psychiatrie, montre que le face à face entre les adolescents les plus difficiles et les thérapeutes ne fonctionne pas. Pour un adolescent en difficulté, accepter d'être pris en charge, sous entend qu'il a accepté son problème. La contrainte peut constituer un médium pour établir une relation avec ces jeunes en refus de prise en charge, une manière d'aboutir à leur coopération sans leur faire perdre la face. En bref, la contrainte libère le jeune de son adhésion. Toute l'histoire de la PJJ de 1945 à la fin des années 1990 est marquée par une volonté de rupture avec l'administration pénitentiaire et l'abandon de toute contrainte en éducation. Je fais l'hypothèse d'un certain angélisme. Or, nombre de mineurs placés sous décision de justice font souvent preuve d'actes de violence à l'égard de l'éducateur, qui a longtemps dû faire face seul à cette violence. Rétablir une idée de contrainte c'est aussi décomplexer certains éducateurs sur le terrain tout en restant fidèle à l'éthique de la sollicitude propre à la culture professionnelle de la PJJ.

ToutEduc : Observe t-on une nouvelle manière de travailler chez la jeune génération d'éducateurs?

Dominique Youf : A la PJJ, un recrutement important d'éducateurs a cours depuis 10/12 ans. Les plus jeunes d'entre eux sont moins dans une approche idéologique que les plus anciens professionnels, plus imprégnés de l'opposition éducation/répression. Leur approche semble également plus pragmatique, avec parfois, il est vrai, une perte. Si l'ancienne génération (années 70/80) était ancrée dans modèle thérapeutique et a notamment mis en pratique la clinique éducative, les nouveaux éducateurs mettent l'accent sur une vision plus comportementaliste de l'action éducative. En un mot, l'acte du jeune délinquant est moins interprété comme le symptôme d’une causalité sociale, psychologique et familiale. Il s'agit avant tout d'amener le jeune à intégrer les règles sociales, à s'insérer professionnellement, à maitriser les bons gestes: se lever, s'asseoir à table, travailler 1 heure ou 2 heures, prendre le train. La nécessité de structurer l'action d'éducation par des activités de jour est mise en avant, plus précisément l'idée qu'il ne faut pas qu'un jeune soit sans activités. Tout l'enjeu pour la PJJ est de ne pas opposer les deux visions à l'œuvre: une vision clinique chez les anciens éducateurs qui passe par une investigation de la personnalité des délinquants, une vision plus pédagogique chez les nouveaux. Il faut réussir cette synthèse entre clinique et pédagogie.

ToutEduc : Des enquêtes montrent que la prise en charge des filles délinquantes, dont le nombre ne cesserait d'augmenter, selon certains médias , reste problématique…

Dominique Youf : Il faut souligner que les filles restent très minoritaires dans les maisons d'arrêt et qu'elles sont beaucoup moins touchées par la récidive. Au niveau de la direction de la PJJ, je ne pense pas que ce thème constitue une question prioritaire. Pour résumer brièvement, ce qui semble actuellement préoccuper la PJJ est la violence dans les institutions. L'opportunité de la présence de vigiles dans des centres éducatifs a été envisagée pour être finalement rejetée. C'était effectivement une mauvaise solution à un vrai problème qu'il faudra traiter en profondeur.

Dominique Youf. Juger et éduquer les mineurs délinquants, Paris, Dunod, 2009, 240 p., 22 €

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