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Prévention de la délinquance: Ce que le Centre d'analyse stratégique (CAS) préconise. (interview)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Justice le mardi 19 octobre 2010.

Responsabiliser les parents, une réponse à la délinquance des mineurs? Sous quelles conditions? Marine Boisson est chef du département "Questions sociales" du Centre d'analyse stratégique. Dans la continuité de son intervention aux Assises de la prévention de la délinquance des mineurs (organisées par J-M Bockel le 14 octobre 2010), elle livre pour ToutEduc les résultats des comparaisons internationales sur les dispositifs d'aide et d'accompagnement à la parentalité.

ToutEduc: Vous avez, lors des Assises de la prévention de la délinquance, insisté sur le sens d'une intervention auprès des parents. Sous quelles formes peut-elle avoir lieu?

Marine Boisson: Les dispositifs de responsabilisation des parents mis en oeuvre dans les pays de l’OCDE sont relativement peu recensés et étudiés. Ils constituent pourtant un nouvel axe fort de la prévention et du traitement de la délinquance juvénile. Depuis une quinzaine d’années, d’une stratégie de prise en charge essentiellement professionnelle et institutionnelle des difficultés de la petite enfance et de la jeunesse, on est passé à une stratégie d’aide et de soutien aux familles dans leurs tâches éducatives. En France comme dans de nombreux pays développés, les politiques publiques confèrent aux parents un rôle croissant. Elles se basent sur une conception contractuelle voire partenariale des relations entre l’État, la famille et les communautés. Les comparaisons internationales identifient différents dispositifs mis en place par les pays pour lutter contre l'absentéisme à l'école des jeunes, mais aussi les incivilités, les actes de délinquance:

-La prévention précoce auprès des parents,

-le soutien à la parentalité,

-les aides sous contraintes.

ToutEduc: Les dispositifs, basés sur la logique d"'aide contrainte" ont-ils été évalués? Avec quels résultats?

Marine Boisson: Les "parenting orders" et "parenting contracts" mis en place en Angleterre et au Pays de Galles ont fait l'objet d'évaluation, mais sur une base déclarative. Les "parenting contracts" sont destinés aux parents d’enfants signalés en risque ou ayant déjà commis un délit, désireux de s’engager volontairement pour participer à un programme parental. Les "parenting orders" reposent sur la contrainte. Depuis 2003, le juge peut prononcer un "parenting order" à l’encontre des parents de mineurs  qui risquent de tomber dans la délinquance, après avoir préalablement proposé aux parents un "parenting contract": les parents ont l’obligation de participer régulièrement, jusqu’à une fois par semaine sur une période de trois mois, à des séances visant à développer leurs compétences parentales et à leur faire prendre conscience de l’importance de leurs fonctions. Ils sont accompagnés dans la mise en oeuvre de leur autorité. Ces programmes ont fait l’objet d’évaluation entre juin 1999 et décembre 2001 : 9 parents sur 10 les recommanderaient à d’autres parents confrontés aux mêmes difficultés. Le taux de récidive des jeunes aurait également diminué de plus d’un tiers. Ce dispositif, basé sur une logique de carton jaune/main tendue aux familles, n'est pas
exactement comparable à la Loi Ciotti sur la suspension des allocations. Dans la loi Ciotti, la dimension d'"aide" n'est pas précisé à la hauteur de ce qui pourrait être attendu.

ToutEduc: En quoi le travail sur la parentalité, en amont, vous semble t-il essentiel pour lutter contre la délinquance juvénile?

Marine Boisson: Il s'agit de sortir d'une logique qui consiste à solliciter les parents dans une visée réactive, quand les problèmes avec les jeunes sont déjà apparus. L'hiatus entre le jeune et l'école, ou le jeune et la société, surgit le plus souvent quand les parents ont déjà perdu la main, ou quand le jeune est passé sous l'influence de son groupe de pairs, prédominante à l'adolescence. L'aide contrainte arrive un peu tard. L'idéal est d'offrir un service le plus précoce possible aux familles. Les recommandations internationales (ONU, Conseil de l'europe, OMS…) nous portent vers le premier registre d'aide à la parentalité: celui de l'intervention précoce. Selon les évaluations, le dispositif le plus efficace pour limiter la délinquance est la prévention précoce auprès des femmes isolées: leur accompagnement par  visites à domicile, de la fin de leur grossesse jusqu'aux 2 ans de l'enfant. L'intérêt d'un tel dispositif, en filigrane, est également de pousser les parents à savoir se faire aider, par leur entourage mais aussi des professionnels. Face à des facteurs de risques (grossesse adolescente, toxicomanie), des entretiens et visites prénatales peuvent être envisagés. Comparé au coût de la délinquance (traitement de la délinquance, dommages matériels, humains et moraux, etc.), le bénéfice à terme de l’ensemble des démarches de prévention serait de 1 pour 7 : pour un euro investi en prévention psychosociale, sept euros seraient au final économisés. Du côté des stratégies qui font appel à la sanction, les évaluations sont plus mitigées, et fortement dépendantes des pays, des contextes locaux.

ToutEduc: Les structures familiales modernes sont-elles suffisamment prises en compte par les politiques d'aide à la parentalité?

Marine Boisson: Dans une perspective élargie, le Conseil de l’Europe, dans la "Recommandation relative aux politiques visant à soutenir une parentalité positive", a tenu à souligner qu’au regard des changements sociaux actuels, "la parentalité, tout en restant liée à l’intimité familiale, devrait être considérée comme un domaine relevant aussi de politiques publiques": outre les mesures de politique familiale générale, sont préconisés des services de soutien aux parents, renforcés pour les parents à risque d’exclusion sociale (centres et services locaux, lignes téléphoniques d’aide, programmes éducatifs et de soutien pour les parents, développement de la coopération entre écoles et parents). Certaines évolutions contemporaines (l’individualisme, la monoparentalité, l’accroissement des inégalités en matière d’accès au marché de l’emploi et l’inflation des exigences scolaires, les difficultés d’intégration des personnes migrantes et de leurs enfants, l’autonomisation précoce des jeunes)  aggravent les difficultés éducatives des familles. On demande aux parents d'exercer leur parentalité dans des situations adverses, et d'accompagner scolairement leurs enfants quand les qualifications demandées au jeunes par le marché sont de plus en plus élevées. Le principe d’une intégration forte entre services à la petite enfance et parentalité est privilégié par le Royaume-Uni. Les programmes locaux Sure Start, lancés en 1999, traduisent une approche complète de la prestation aux parents depuis la grossesse jusqu’à l’entrée à l’école (crèches, éducation en âge préscolaire, protection médicale infantile, aide aux parents, antenne de Pôle emploi à destination des adultes au chômage). On réunit en un seul lieu tout ce qui peut aider les parents. Or, un parent protecteur est d'abord un parent qui va bien. Un tel dispositif serait typiquement indiqué en France pour le public bénéficiare de l'API, les mères monoparentales notamment [passées à la rentrée sous le régime du RSA, NDLR].

ToutEduc: Du point de vue des représentations sociales, n'existe t-il pas un risque à relier de manière évidente l'aide à la parentalité et la prévention de la délinquance des mineurs?

Marine Boisson: Il faudrait en effet travailler avec les parents dans une vision généraliste de la parentalité. La tendance observée chez les adultes qui sont dans des conditions défavorables est celle d'une défiance envers les services sociaux, par crainte, souvent injustifiée, du placement. Il s'agit d'un grand malentendu. Leur adhésion précoce à l'aide sociale ne peut que les aider. L'éceuil serait d'agiter trop tôt le risque de la délinquance. Voilà pourquoi il apparait impératif de proposer l'aide à la parentalité comme un service public, non comme une assistance.

En savoir plus: Le Centre d'analyse stratégique dresse un tableau des recommandations internationales et européennes en la matière et un panel des différentes stratégies d’intervention auprès des parents de mineurs délinquants ou en risque, telles qu’observées dans les différents pays étudiés : du soutien à la fonction parentale à la pénalisation en passant par la prévention précoce, la contractualisation ou les mesures restauratrices: A consulter ici.

 Une série des Notes de Veille publiées par le Centre d’analyse stratégique sur le sujet. Ces publications sont disponibles sur strategie.gouv.fr:

Note de Veille n°85 : Quelles politiques d’accompagnement des parents pour le bien être de leurs enfants ? Une perspective internationale

Note de Veille n°63 : Des pères et des mères "plus responsables", une réponse à la délinquance des mineurs ? Une perspective internationale

Sur le cadrage international de l'aide à la parentalité:

L’OMS considère les interventions précoces auprès des enfants et des familles comme une "des stratégies les plus prometteuses pour réduire sur le long terme le phénomène de la violence chez les jeunes": ces programmes visent à donner aux parents des informations sur le développement des enfants, à leur apprendre comment les discipliner, les encadrer et les surveiller efficacement, comment gérer les conflits familiaux et améliorer la communication (visites à domicile, formation au rôle de parent, thérapie familiale).

Sur le versant de la lutte contre la délinquance et la récidive, le Conseil de l’Europe s’est très clairement prononcé en faveur des mesures de responsabilisation des parents d’enfants mineurs délinquants en 2003: "il conviendrait d’encourager les parents (ou les tuteurs légaux) à prendre conscience de leurs responsabilités envers le comportement délictueux des jeunes enfants et à les assumer". Dans cette perspective, un ensemble de préconisations est délivré: présence aux audiences des tribunaux, développement d’une offre d’aide, de soutien et de conseil, obligation si besoin d’un accompagnement psychosocial ou du suivi d’une formation, respect de l’obligation scolaire, assistance des autorités dans l’exécution par le mineur des sanctions et des mesures prises à son endroit.

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