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La PJJ va développer une approche territoriale impliquant tous les acteurs locaux. Jean-Marie Bockel (interview)

Paru dans Périscolaire, Justice le jeudi 02 septembre 2010.

Quelle place pour la PJJ dans les projets éducatifs territoriaux? Quels sont les effets de la distinction entre Jeunesse en danger et jeunesse délinquante? Comment développer une culture de l'évaluation? Les centres éducatifs fermés remplissent-ils leur mission? Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la Justice, chargé d'une mission sur la prévention de la délinquance (voir Prévention de la délinquance des mineurs: Jean-Marie Bockel prépare les assises) répond à nos questions.

ToutEduc: La distinction entre la jeunesse en danger, dont la protection a été confiée aux départements, et la jeunesse délinquante, dont la charge revient à la PJJ, date déjà de plusieurs années. Nous n'avons connaissance d'aucune thèse, d'aucun rapport, d'aucun document de "littérature grise" qui en fasse le bilan. Sommes-nous mal informés ? Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Jean-Marie Bockel : Les deux lois du 5 mars 2007 ont eu le très grand avantage d’investir pour la première fois spécifiquement les champs de la prévention de la délinquance et de la protection de l’enfance. Elles constituent une étape dans un long processus engagé auparavant.

Nous manquons sans doute encore de recul sur tous les effets de leur mise en œuvre, d’ailleurs encore inachevée, certaines dispositions étant encore au stade de l’expérimentation, de l’application marginale, comme les "Conseils pour les Droits et Devoirs des Famille" (CDDF), ou étant inégalement mis en œuvre selon les territoires, comme le "Projet Pour l’Enfant".

Sur la prévention de la délinquance, il existe néanmoins des rapports et avis très intéressants, qu’ils soient produits par des Inspections générales, le Conseil National des Villes ou des experts. Le champ de la protection de l’enfance fait aussi l’objet de nombreux travaux, notamment de l’ONED (Observatoire National de l’Enfance en Danger). La généralisation des cellules départementales de recueil d’information va aussi permettre d’avancer. Le rapport d’étape remis en février s’appuie d’ailleurs largement sur tous ces travaux.

Et n’oublions pas que depuis le 1er janvier dernier, l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et la Justice (INHESJ) a élargi son champ d’intervention, et que l’Observatoire National de la Délinquance (ONDRP) s’intéresse aussi désormais aux réponses judiciaires pénales.

Le 23 avril dernier, le Premier Ministre a d’ailleurs publié une circulaire relative à la mise en place d’une mission d’évaluation des politiques de prévention regroupant plusieurs Inspections générales qui permettra de croiser les approches.

Néanmoins, je suis d’accord avec le fait que dans le domaine du partage et du croisement des connaissances, le travail à réaliser reste encore très important et qu’il manque sans doute, dans le domaine de la délinquance juvénile, un outil dédié qui permette d’avoir du recul à la fois sur l’évolution du phénomène d’une part, et l’adaptation et les effets des réponses apportées par les pouvoirs publics et les acteurs de terrain d’autre part.

Mais avouons aussi qu’en France nous n’avons pas assez la culture de l’évaluation : or, la réflexion sur la répartition des moyens consacrés à la lutte contre l’insécurité et à la prévention de la délinquance et les priorités auxquelles ils doivent être dédiés ne peut se faire véritablement qu’à partir d’une démarche réaliste d’évaluation des actions.

En résumé, comme je l’ai évoqué, même si nous partons de loin, nous progressons dans ce sens.

Enfin, permettez-moi d’affirmer que distinction entre enfance en danger et délinquance des mineurs ne signifie pas cloisonnement, bien au contraire. Il est indispensable de développer toujours et encore le travail socio-éducatif pour des jeunes faisant l’objet de mesures au pénal, dont les situations individuelles sont souvent de plus en plus complexes et difficiles, tout en renforçant toujours l’efficacité et la réactivité de la sanction. Le modèle français de la justice des mineurs n’est pas remis en question, bien au contraire. Le futur code de la justice pénale des mineurs vise à plus de cohérence et de lisibilité.

Cette clarification déjà engagée recentre des acteurs essentiels comme la Protection Judiciaire de la Jeunesse et les Conseil généraux sur le cœur de leurs interventions, tout en consolidant leurs liens. Les Directions territoriales de la PJJ sont ainsi amenées aujourd’hui à jouer un rôle pivot en la matière.

ToutEduc: Quartiers pour mineurs, CEF : les critiques sont souvent acerbes. On peut pourtant se féliciter que les mineurs ne soient plus internés avec des majeurs. Comment comprenez-vous la violence des critiques ? Quel premier bilan tirez-vous ? Les défauts de conception que vous avez constatés à EPM: les ratés d'Orvault (20 minutes) sont-ils des défauts de jeunesse, ou les symptômes d'une difficulté à penser l'incarcération des mineurs, et notamment des jeunes filles ?

Jean-Marie Bockel : Je visite presque chaque semaine des établissements pour mineurs. Comme Maire de Mulhouse, je me suis mobilisé et battu très activement pour l’ouverture d’un Centre Educatif Fermé dans ma ville. C’était alors loin d’être évident.

Inscrire de tels établissements au cœur de la Cité, au cœur de la société, suscite souvent des réticences de riverains sur le mode du "oui, mais pas à côté de chez moi". Or ces établissements ne doivent surtout pas être des lieux de relégation sociale ou géographique qui signifieraient tout le contraire d’un travail de réinsertion.

D’autre part, on entend régulièrement des critiques sur le coût et l’efficacité d’établissements comme les CEF. Néanmoins, les critiques sont aujourd’hui moins vives que par le passé. Le coût de telles prises en charge se justifie par le nécessaire étayage éducatif à apporter à des jeunes à un moment de leur parcours de réinsertion, prise en charge limitée dans le temps.

A ce titre, la comparaison des "prix de journée" par type de prise en charge fermée, ouverte ou "semi-ouverte" a ses limites car la plupart du temps, plusieurs sont mobilisées dans le parcours d’un jeune. En la matière, il n’existe pas de mode de prise en charge qui constituerait une sorte de panacée absolue, sinon cela se saurait depuis longtemps, mais une offre qui doit encore être diversifiée et adaptée pour permettre une prise en charge "sur mesure" de chaque jeune dans une logique de parcours socio-éducatif cohérent et sans rupture, en consolidant les transitions. Ainsi, opposer tel type d’établissement ou d’accompagnement à tel autre est à mes yeux un faux débat et n’a pas de sens.

Le développement de structures qui restent encore récentes telles que les CEF, ou comme les EPM pour les mineurs incarcérés, nécessite des adaptations, c’est tout à fait normal, tant du point de vue de l’organisation physique des lieux que des modalités de fonctionnement et du contenu du projet éducatif indispensable pour prendre en charge ces jeunes, avec un enjeu accru de formation initiale et continue des professionnels, qu’ils soient du secteur public ou du secteur associatif habilité.

Ces besoins sont de mieux en mieux pris en compte par le ministère de la Justice, y compris pour la prise en charge des jeunes filles, qui restent certes largement minoritaires dans la part des mineurs suivis au pénal, mais qu’il est indispensable de mieux prendre en compte.

ToutEduc: Un nombre croissant de collectivités élabore des projets éducatifs locaux. Or les éducateurs de la PJJ ou des AEMO apparaissent rarement (pour ne pas dire jamais) comme des partenaires de l'Education nationale ou des associations d'éducation populaire. Trouvez-vous cela normal ? Souhaitable ?

Jean-Marie Bockel : C’est naturellement souhaitable. Institutionnellement, ce processus est en marche. Par exemple, la réforme de la PJJ l’amènera de plus en plus à développer une approche territoriale intégrée impliquant localement l’ensemble des acteurs de la prévention de la délinquance et de la protection de l’enfance. L’activité de jour constitue à ce titre un support d’intervention devant justement permettre de développer ces partenariats avec des acteurs en dehors du champ judiciaire. Je crois aussi beaucoup à l’implication de la société civile aux côtés de la PJJ, à l’instar des parrainages développés depuis quelques années. Le nouveau service civique offre une autre opportunité, pour ne citer que quelques exemples.

Mais tout ne peut pas venir "d’en haut". Si certains services éducatifs apparaissent encore trop "enfermés" sur eux-mêmes et peu ouverts aux partenaires, cela peut être le fait d’une difficulté à développer de nouvelles coopérations innovantes pour des services ayant "la tête dans le guidon", étant pris dans la lourdeur quotidienne des prises en charge, mais aussi le fait de réticences "idéologiques" de certains professionnels à l’égard du partenariat dans le domaine de la prévention de la délinquance.

Or nombre de rapports internationaux, comme ceux du Centre International pour la Prévention de la Criminalité (CIPC), ou encore les recommandations du Conseil de l’Europe, indiquent que de telles coopérations sont non seulement efficaces pour lutter contre l’insécurité, mais se font dans l’intérêt des jeunes et des familles.

C’est pourquoi, par exemple, je crois beaucoup au caractère positif de formations inter-métiers et interinstitutionnelles et de groupes de partage de pratiques entre professionnels de différents horizons qui restent, elles aussi, encore trop rares.

Encore une fois, le renforcement des partenariats et des coopérations entre acteurs de la prévention sur l’ensemble de notre territoire est un enjeu essentiel. Elle doit se baser sur la confiance entre intervenants et la constitution d’une base de culture commune. Cela sera encore une fois un message fort de ces Assises.

NDLR: interview écrite, photos prises lors de la conférence de presse annonçant les assises de la prévention de la délinquance.

 

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