La recherche "translationnelle" a toute sa place en éducation, estiment S. Dehaene et E. Pasquinelli ("L'école éclairée par la science")
Paru dans Scolaire le dimanche 27 juin 2021.
"La recherche en éducation requiert un effort de sagesse collective et de connaissance réciproque", estiment le Conseil scientifique de l'Education nationale et plus particulièrement Stanislas Dehaene et Elena Pasquinelli qui signent le premier chapitre de "L'Ecole éclairée par la science". Ce volume fait suite à "La Science au service de l'Ecole" qui recensait les premiers textes du CSEN. Celui-ci en donne à lire quatre, une contribution sur "la scolarisation des élèves sourds", une autre sur l'éducation à l'esprit critique (voir ToutEduc ici), des "recommandations pédagogiques pour accompagner l'enseignement à distance" (voir ToutEduc ici), et donc, en tête de l'ouvrage, un manifeste en faveur de "la recherche translationnelle en éducation".
Les deux auteurs proposent "de renforcer, en éducation, la place d'une recherche à la fois rigoureuse et capable de répondre aux besoins réels des enseignants, des parents et bien sûr des élèves". Ils appellent "cette recherche 'translationnelle'. Ce terme trouve son origine en médecine, où il indique le mariage de la recherche fondamentale avec celle du terrain : la labo au lit du patient, et du lit du patient au labo." Pour E. Pasquinelli et S. Dehaene, la possibilité d'user en éducation des méthodes de la recherche en médecine ne pose pas question, d'ailleurs "la pratique de l'éducation est tout aussi difficile que la pratique de la médecine". Et comme le médecin considère chaque malade dans sa singularité, "le système éducatif doit s'adapter aux apprenants, à leur âge, à leurs spécificités individuelles, à leurs rythmes, à leurs besoins", "créer pour chaque élève les conditions optimales à son épanouissement et à sa réussite personnelle".
Cette diversité des situations risque de masquer l'existence de "lois fondamentales de l'apprentissage" tandis que de "mauvaises rencontres entre science et éducation" peuvent générer des "idées fausses". Seule la recherche permet de "trier le bon grain de l'ivraie", mais "ses résultats demandent à être stabilisés" et le temps long de la science peut sembler incompatible avec celui du praticien. D'où la nécessité que "les deux marchent ensemble" pour s'assurer que les améliorations que les enseignants apportent à leur pratique "sont bien réelles". Les deux auteurs définissent alors les conditions qui doivent être réunies pour une expérimentation "bien conçue", telle qu'elle puisse être évaluée rigoureusement et décrivent précisément la technique de la randomisation (utilisée en médecine pour évaluer les avantages d'un traitement en comparant ses effets sur des patients qui le reçoivent, des patients qui reçoivent un placebo et des patients qui ne le reçoivent pas, les trois groupes étant constitués de manière aléatoire, "at random", ndlr). Ils évoquent encore les questions éthiques que posent les essais randomisés, sur lesquelles s'est prononcé le Conseil consultatif national d'éthique. "Ce qui ne serait pas éthique, ce serait de ne pas utiliser les connaissances dont nous disposons déjà, ou de ne pas expérimenter afin d'améliorer ces connaissances."
"L'Ecole éclairée par la science", sous la direction de S. Dehaene, Odile Jacob, 380 p., 18,90€
Sur la transférabilité des méthodes utilisées en médecine à l'éducation, sur la pertinence des "preuves scientifiques en éducation" et sur les pédagogies de la découverte (dénoncées par S. Dehaene dans "Apprendre", ToutEduc ici), voir notamment les analyses d'E. Gentaz (ToutEduc ici, ici, ici) et celle de Françoise Cros (ici)