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"Rares sont les ministres de l'Education qui lancent une réforme après avoir écouté les acteurs" (M. Ndoye, Revue internationale d'éducation de Sèvres)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 17 juin 2020.

Quelles sont les conditions de réussite des réformes en éducation ? La Revue internationale d'éducation de Sèvres, après avoir organisé sur ce thème un colloque international l'an dernier (voir ToutEduc ici et ici), publie ce 17 juin un numéro spécial qui ne donne pas des actes, mais qui revisite les diverses contributions. Il était présenté ce matin à la presse et Jean-Marie de Ketele (Université catholique de Louvain et coordinateur du colloque et du numéro) en a donné, avec une formule reprise d'Antonio Novoa, la tonalité : ce ne sont pas les réformes qui changent l'école, mais l'école qui change les réformes. Si "une décision politique" peut être prise pour "produire durablement un changement", à l'inverse, les interventions d'acteurs locaux dans un contexte particulier doivent être reconnues comme des réformes.

Il évoque à ce sujet la nécessité de "développer une intelligence collective', de travailler avec tous les acteurs, y compris les élèves. Certes ceux-ci "ont une puissance d’inertie considérable lorsqu’ils sont placés en situation de subir", mais "ils peuvent développer une énergie considérable" comme ces lycéens sud-coréens à qui on a permis "d’organiser eux-mêmes entièrement le curriculum de tout un semestre". Ils ont "balayé toutes les craintes des responsables", "tant ils ont été rigoureux" et "ce semestre libre n’a pas nui et, au contraire, a même amélioré la réussite finale au lycée". Mais le chercheur met en garde, trop souvent chacun des acteurs, les instituts de formation, les chercheurs, les institutions internationales, le monde associatif, les syndicats... travaillent seuls, ou en bilatéral, et vont alors à la confrontation quand il s'agirait de construire des "récits mobilisateurs", d'ouvrir des perspectives nouvelles.

Mamoudou Ndoye (ancien ministre de l’Alphabétisation, de l'éducation de base et des Langues nationales au Sénégal) fait valoir que les organisations syndicales ont leur logique propre, puisqu'elles défendent à la fois les intérêts des personnels et ceux de l'école démocratique, mais que le responsable politique doit, sachant cela, tenir compte de leur réflexion. "Rares sont les ministres qui lancent une réforme après les avoir écoutées", et les solutions qui "tombent d'en haut", "aériennes" n'ont "rien à voir" avec les problèmes que rencontrent les personnels.

Il convient donc de "bâtir un consensus national de long terme", ce qui suppose "un dialogue démocratique authentique et ouvert à toutes les parties prenantes du système et aux différentes composantes de la société". Le risque est évidemment de favoriser des oppositions binaires et des débats qui peuvent tourner au "Café du commerce" s'ils ne sont pas éclairés par la science, comme l'a été, en Afrique, la décision de donner toute leur place aux langues premières pour les apprentissages.

L'ancien secrétaire exécutif de l’ADEA (Association pour le développement de l’éducation en Afrique) évoque alors deux autres écueils. Si le débat scientifique s'inscrit dans un cadre contraint, monolithique, il subira des influences idéologiques, s'il est organisé pour la recherche du consensus, il ne permettra pas une prise de position rapide alors que le pouvoir politique a besoin de décider tout de suite. Celui-ci doit d'ailleurs répondre à d'autres contraintes, comme le besoin de disposer d'une langue de communication internationale.

Mark Bray (Université normale de la Chine de l'Est), pour qui il est de même important de travailler avec toutes les composantes de la société, en souligne la difficulté. Cela revient pour le ministre en charge de la scolarité à partager le pouvoir, et à reconnaître que l'école n'en fait pas assez. Les apprentissages informels ont lieu "avant, après, aussi bien que pendant la scolarité", mais aucun gouvernement n'imagine "que l'éducation non formelle pût se substituer à l'éducation formelle". Toutefois les technologies de l'enseignement à distance pourraient modifier la donne. Il donne l'exemple d'entreprises chinoises de tutorat qui mobilisent leurs meilleurs enseignants en ville pour atteindre des élèves dans les zones rurales. Des caméras et un logiciel permettent d'analyser les expressions faciales des élèves et de voir s'ils s'ennuient, s'ils comprennent... "Et ces enseignants à distance n'ont pas besoin de se limiter à des partenariats avec des écoles formelles. De plus en plus de familles s'inscrivent à des formes de soutien sur internet (...). Même si la société doit s'attendre à ce que les systèmes éducatifs formels demeurent une caractéristique permanente de l'écosystème social (...), (ceux-ci) devront coexister avec de nombreux autres canaux d'apprentissage et d'enseignement, et l'évolution de ces autres canaux nécessitera des ajustements des modèles de scolarisation."

Le recteur Alain Bouvier, rédacteur en chef de la revue, rappelle que "des mécanismes de privatisation sont en marche dans tous les secteurs", y compris l'enseignement public et renvoie au précédent numéro de la revue, consacré à ce thème (voir ToutEduc ici), mais Jean-Marie de Ketele veut croire que "des formes de partenariats aux formes inédites" pourraient "mieux correspondre à l'avenir que le scénario de la forme scolaire".

A noter une contribution de Jean-Michel Blanquer titrée "Les comparaisons internationales, le science et l'expérimentation au coeur des réformes en éducation".

Exceptionnellement, ce numéro 83 de la Revue internationale d'éducation de Sèvres, "Réformer l'éducation", est immédiatement accessible gratuitement ici

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