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"C'est l'école qui modifie les réformes" (Colloque "Conditions de réussite des réformes en éducation")

Paru dans Scolaire le vendredi 14 juin 2019.

Malgré la diversité des expressions, plusieurs points de consensus se sont progressivement dégagés au cours des trois jours du colloque international sur les "conditions de réussite des réformes en éducation" et la boutade de Jean-Marie de Ketele qui était chargé du "cadrage scientifique" des débats, "c'est l'école qui modifie les réformes" les résume. Il n'y a d'ailleurs pas une bonne façon de réformer puisque les contextes culturels différent, confucéens, anglo-saxons, scandinave, latin, suisse... et qu'on connaît au moins deux grands types de réformes, celles qui sont planifiées en vue d'un changement et celles qui mettent en oeuvre les acteurs de terrain pour résoudre un problème, sans vouloir modifier tout le système. Il faut aussi tenir compte de toutes celles qui se font "à bas bruit", malgré les alternances politiques...

Quoi qu'il en soit, le réformateur doit travailler avec les élèves. Jean-Marie de Ketele insiste, "ni sans, ni contre, ni même pour, avec". Il donne l'exemple de la Corée du Sud qui a instauré un semestre sans évaluation, une mesure qui a amené un bien-être nouveau... Mais il faut aussi travailler avec (ni sans, ni contre, ni pour) les enseignants qui sinon "prennent l'enveloppe, pas le contenu", se contentent des aspects formels de la réforme, avec les cadres et tous ceux qui peuvent jouer les tiers médiateurs, avec les parents, avec la société civile, avec les communautés locales, avec les institutions de formation, lesquelles doivent promouvoir le développement professionnel des enseignants plutôt que la conformité à des standards, avec les chercheurs, avec les institutions internationales...

Il insiste sur le besoin qu'ont tous les acteurs d'être reconnus, acceptés, valorisés pour leurs "capacités distinctives", mais aussi de conduire des recherches longitudinales car le temps de la réforme est un temps long, et les effets produits, positifs ou négatifs, se manifestent plusieurs années après son lancement. Reste aussi à conduire des évaluations qualitatives car certaines dimensions de l'action se prêtent mal aux mesures quantitatives. La question du bien-être est en effet fondamentale, ajoute l'universitaire qui était chargé de la synthèse des ateliers.

Voici d'autres échos des débats.

Les syndicats sont-ils toujours contre les réformes ? Non, explique Nina Bascia (Institut d'études pédagogiques de l'Ontario), ils ont soutenu la réforme en Ontario dans les années 90-95, et combattu celle des années 2000 en Colombie britannique où ils ont intenté un procès au Gouvernement, qu'ils ont gagné, tandis que dans l'Alberta, ils ont commencé par s'opposer avant que ne se mette en place une stratégie démocratique. Rien à voir avec la situation mexicaine, selon Carlos Ornelas (université de Xochimilco) : le syndicat hégémonique mis en place dans les années 40 était totalement corrompu ainsi que le système scolaire lui-même puisque les enseignants, "propriétaires" de leur poste, pouvaient le léguer, le vendre, le louer...

Pour Mark Bray (université de Hong Kong), le phénomène de la "shadow education", dont la Corée est "championne du monde" et dont Acadomia est le symbole en France va grandir. Les familles des classes moyennes et supérieures "se fichent" de l'équité du système.

Sur un autre registre, Abdel Rahamane Baba-Moussa (université de Caen et d'Abomey, Confemen) voudrait voir prise en compte l'éducation non formelle, voire informelle, à côté du système scolaire qui n'arrive pas à élever le niveau général de la population.

Caroline Pascal, doyenne de l'inspection générale de l'Education nationale (avant la fusion prévue avec l'IGAENR, inspection générale de l'administration qui couvre aussi l'enseignement supérieur, l'inspection des bibliothèques et celle de Jeunesse et Sports) s'inquiète du bien-être des élèves et (elle insiste sur le "et") des enseignants. Pour elle, l'adaptation du système scolaire permettra celle des élèves à un monde changeant, mais il serait nécessaire que "le pays indique ses attentes". Se pose aussi la question de l'acceptabilité des réformes et elle parle d'une "ligne de crête".

Alioune Sall (Instituts des futurs africains) évoque un continent qui pourrait connaître trois scénarios, l'un ou rien ne change vraiment, pas de grands progrès mais pas de grande catastrophe, tandis que quelques pays émergeraient, et que d'autres seraient capables de se développer sans sacrifier leurs valeurs.

La question du rôle des gouvernements est revenue à plusieurs reprises. Pour Alioune Sall, certains ont deux visages, ils sont serviles avec les bailleurs de fonds et autoritaires avec les faibles, ce qui rend problématiques les réformes. Pour leur part, les Coréens se demandent s'ils ne pourraient pas remplacer le ministre de l'Education par un "Comité national d'éducation".

Autre question omniprésente, celle du temps de la réforme, parfois pour constater que, tout compte fait, les choses évoluent, parfois au contraire, qu'elles bougent bien peu. Au Mali, depuis la fin de l'époque coloniale, quand seuls les fils des chefs étaient scolarisés, et malgré la parenthèse des années 68 à 91 du pouvoir militaire, la scolarisation des filles progresse. Mais en France, la part des filles dans les filières scientifiques et techniques a très peu bougé, et elle est très variable selon les filières, elle est très faible en informatique notamment, fait remarquer Dominique Epiphane (Cereq) et Patrick Rayou (Paris 8) se demande si les concepts qui fondent les réformes sont "assez forts pour entraîner" les acteurs. On peut d'ailleurs "ne pas appliquer la réforme sans s'y opposer".

Jean-Marie de Ketele fait état du pessimisme de nombreux intervenants qui évoquent "la fatigue des acteurs" pour qui "plus ça change, moins ça change", ou qui voient dans les nouvelles sciences un danger mortel pour l'école, mais il fait "le pari de l'optimisme" en s'appuyant sur "la permanence des acteurs" dont les "micro résolutions de problématiques locales" peuvent, si le pouvoir central y est attentif, produire un "effet macro". Il faut, aussi bien "en haut" qu'en bas "des leaderships forts". Car, ajoute Pierre-François Mourier, le directeur du CIEP qui accueillait le colloque, à des degrés divers, "tous les pays sont confrontés à la même crise de l'école".

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