Orientation » Actualité

Mouvement contre la "constante macabre" : "faire partager à grande échelle le projet d’une évaluation plus juste" (interview)

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 29 mai 2023.

Un an presque jour pour jour après le décès de son charismatique fondateur, André Antibi, ToutEduc a voulu savoir où en était le MCLCM, le Mouvement contre la constante macabre. Gérard Lauton, maître de conférences et chargé de mission honoraire à l'Université Paris-Est Créteil (UPEC), en assure la présidence.

ToutEduc : Où se situe actuellement le mouvement pour la constante macabre, comment évolue votre projet ?

Gérard Lauton : Pour rappel, la constante macabre est cette “figure imposée“ dans les pratiques des enseignants, qui veut que le résultat d'un examen comporte une part notable de mauvais résultats. Mon ami André Antibi, le fondateur du mouvement qui l'a mise en relief et combattue, évoquait un problème d’ordre culturel, un phénomène de société.

Aujourd'hui 60 organisations très diverses, ont apporté leur soutien à notre démarche qui vise une évaluation plus juste. Notre projet pour y parvenir passe par des modalités conçues pour s’affranchir de la constante macabre. C’est le cas de l’évaluation par contrat de confiance (EPCC) qui repose sur un protocole : au lieu que les attendus d'un contrôle en temps limité ˮtombentˮ d'en haut, une phase interactive se déroule 8 à 10 jours avant. L'enseignant fournit aux élèves une liste d'éléments qui constituent un périmètre de révision, composé d’exercices traités et corrigés en cours. Il s'engage à ce qu’environ les trois quarts du sujet de l’épreuve soient pris dans ce périmètre. De plus, il accompagne les élèves en amont du contrôle. Pour cela, il organise une séance de questions-réponses ou des échanges à distance en vue de gommer les incompréhensions qui s'expriment sur des exercices de la liste. Dès lors les élèves ne sont pas stressés, car ils ont une idée de ce qui sera posé, ils s’y sont entraînés et ont une chance de bien réussir.

J’ajoute que ce protocole n'est pas une recette gravée dans le marbre, intangible telle un vademecum. Car il prend tout son sens en étant adapté au contexte : secteur scolaire, profil de la classe, matière concernée, territoire de l’établissement, … Des liens peuvent aussi s’établir entre ce protocole et les autres innovations pédagogiques comme la classe inversée, l’évaluation par les pairs ou en mode numérique. Mais surtout, il s'agit de contextualiser le protocole, de l'enrichir, de l’assortir de variantes en gardant le cap sur la confiance, de promouvoir aussi la modalité du projet encadré. Un autre axe que nous souhaitons travailler est de ne pas considérer l'évaluation (formative/sommative) comme une activité à part, mais d’approfondir les synergies positives entre apprentissages et évaluation, au bénéfice de la motivation et du climat scolaire.

ToutEduc : Quelle est votre relation actuelle avec l'institution ?

Gérard Lauton : Nous sommes en contact depuis 2002 avec les ministres de l'éducation qui ont tous apporté leur soutien explicite à notre démarche. Actuellement, nous avons une relation contractuelle avec la direction générale de l’Enseignement scolaire (DGESCO). Ce partenariat est fondé sur une convention annuelle MCLCM - MENJ, bureau de l'innovation pédagogique) (ici) . Elle mentionne nos axes de travail visant l'innovation : chacune de nos équipes, dans les académies, formule en début d'année scolaire un projet de recherche-action (étude d'impact, témoignages, …) à propos des pratiques en classe, et de la façon de les faire évoluer pour améliorer motivation et acquisitions.

Cette année, la demande a pris un tour plus exigeant sur le plan des “livrables“. Ainsi, nos équipes réalisent des clips vidéo pour montrer comment élèves, enseignants et familles envisagent et vivent le contrat de confiance, comment ils le ressentent. À Rodez ou à Rouen, un sondage à grande échelle est réalisé dans le 1er degré sur les pratiques en classe et sur l’intérêt pour les professeurs d’avoir un recul critique sur leurs pratiques et de les faire évoluer. En contrepartie, le ministère octroie des contingents d'heures de travail, afin que les intervenants soient dédommagés pour leur investissement.

ToutEduc : Votre démarche concernant l'évaluation est-elle intégrée dans les processus de formation initiale et continue des enseignants ?

Gérard Lauton : Dans le plan académique de formation (PAF) de certaines académies, il y a des sessions formulées autour de la démarche de l'EPCC. Nous militons pour que dans les formations des enseignants, l'évaluation ait beaucoup plus d'importance qu'aujourd'hui. Nous comptons pour cela sur le soutien des acteurs des INSPE (maîtres-formateurs, directeurs, …). Une démarche inter-partenaires peut concourir à faire partager à grande échelle le projet d’une évaluation plus juste. Un autre axe de travail porte sur la motivation : comment faire que l’élève trouve un sens dans les contenus enseignés, comment faire évoluer leurs modes de présentation en classe ? Cela passe par des échanges avec les acteurs concernés (niveau scolaire, discipline, contexte social).

Nous avons pris contact avec des organismes comme “Le choix de l'école“, une association soutenue par le ministère, qui convertit aux métiers de l'enseignement des salariés d'autres secteurs en leur délivrant des sessions de formation. Elle nous a invités à son prochain campus d'été pour y exposer notre démarche. Et le think tank “Éducation au cœur“ vient à son tour de signer l’Appel du MCLCM.

ToutEduc : Avec la mise en place du contrôle continu pour l'obtention du baccalauréat, et la compétition qu'impose Parcoursup, le combat pour une évaluation plus juste et sereine n'est-il pas perdu ?

Gérard Lauton : Il y a eu beaucoup d'échanges avec les partenaires du système éducatif lors de la réforme du bac. Nous souhaitions un cadrage des E3C (épreuves communes de contrôle continu, ndlr), voire un protocole du type EPCC par académie avec des listes ouvertes de questions pouvant être posées, donc un périmètre de révision partagé, dans un esprit d’équité.

Mais la pandémie de covid-19 a bousculé ces dispositions, et les épreuves communes ont été abandonnées au profit d’un contrôle continu en classe. D’où un risque d'hétérogénéité et de disparité (classes, établissements), de balkanisation (pratiques, résultats). Ce risque est réel aujourd’hui, et seul un cadrage approprié peut faire converger les pratiques. D’où l’initiative ministérielle d’instances de concertation et d’harmonisation. Le MCLCM peut y contribuer, avec son expérience d’épreuves composées à partir d’une banque de sujets. Tout en sachant que certains enseignants n’aiment guère que des dispositions cadrent leurs prérogatives sur l’évaluation en classe …

Sans un cadrage suffisant, il y a des stratégies de contournement, des échelles de difficulté et de notes tantôt à la hausse, tantôt à la baisse, faussant les termes de l’orientation vers le postbac. Des parades doivent pouvoir être trouvées dans l’échange entre la communauté éducative et les deux ministères (MENJ - MESR), en vue d’une sortie par le haut.

S’agissant de Parcoursup, des avancées passent aussi par la manière dont on accueille les bacheliers dans le supérieur (Gérard Lauton a exercé à l'UPEC, ndlr). Il faut partir du lycéen tel qu'il arrive dans le postbac, et c’est à ses acteurs de lui indiquer des voies lui permettant de suivre avec profit le cursus conforme à son projet. La question de l’accueil et de l’orientation à l’université est primordiale : entretiens avec l’étudiant, accompagnement dans l’ajustement de son projet, création dans une même licence de parcours adaptés aux différents profils de bacheliers. Cela va aussi de pair avec une évaluation plus juste dans le postbac. Ce sont des choix que j’ai eu l’honneur de faire prévaloir à l’UPEC.

Sur le MCLCM, voir notamment ToutEduc ici, ici, ici, ici...

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →