"Il faudrait limiter le socle commun à 6 ou 7 compétencces" (A. Bollon, expert)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le lundi 12 septembre 2011.
"Contrôler les compétences, c'est empêcher leur avènement", et c'est confondre contrôle des connaissances et évaluation des compétences. Alors que le livret de compétences au collège fait problème et que de nombreux enseignants ne savent comment le remplir, la polémique s'est enrichie du point de vue de Philippe Meirieu, qui a déclaré au "Monde" et au "Café pédagogique" son hostilité "l’idéologie des compétences". ToutEduc a demandé à Alain Bollon, expert auprès de l'UNESCO et de la Banque mondiale en matière d'évaluation, comment il comprenait cette polémique.
Alain Bollon : Elle tient à une vision réductionniste des compétences. On est resté sur le modèle qui avait cours il y a trente ans dans les entreprises, quand on faisait des "référentiels métiers" et qu'on listait les 1 242 compétences d'un ingénieur. Il s'agissait de savoir-faire techniques, qui devenaient autant d'objectifs d'apprentissage, dont on pouvait contrôler l'acquisition. Aujourd'hui, un référentiel métier compte moins d'une douzaine de compétences. Et pour les collégiens, le socle commun devrait en compter 6 ou 7!
ToutEduc : Les enseignants doivent aujourd'hui en contrôler plus d'une centaine!
Alain Bollon : Une compétence ne se contrôle pas, elle s'évalue. Le contrôle, qui est parfaitement légitime, permet à chacun de se situer par rapport à une norme. Un élève a besoin de savoir où il en est par rapport aux exigences scolaires, et s'il a 5/20 ou s'il à 15/20 à un contrôle, il a une réponse à sa question. Quand on évalue une compétence, on voit la personne faire, mais surtout, on lui demande comment elle en est arrivée là, et ce que cela représente pour elle.
ToutEduc : Soyons concrets. Au collège, comment ferait-on?
Alain Bollon : Imaginons une compétence qui aurait pour intitulé "présenter à l'oral une recherche personnelle à des gens inconnus" : le jury va écouter l'exposé du candidat, mais il va aussi lui demander pourquoi il a fait cette recherche plutôt qu'une autre, et ce qu'elle représente pour lui. Il n'y a pas de compétence sans un engagement de la personne, je dirais même sans une dimension éthique.
ToutEduc : Quelles autres compétences aimeriez-vous voir définies en fin de scolarité obligatoire?
Alain Bollon : En fin de scolarité obligatoire, certaines pourraient ressembler à "produire un message écrit qui ait du sens", "produire un objet technique", "produire un objet culturel", "présenter avec deux autres élèves un projet collectif", "présenter à des adultes deux choses apprises récemment et qui semblent essentielles..." L'important est que les compétences évaluées portent parfois sur l'écrit, parfois sur l'oral, qu'elles soient parfois présentées individuellement, parfois collectivement, et qu'elles reposent toujours sur plusieurs disciplines.
ToutEduc : Et comment les évalue-t-on ?
Alain Bollon : L'évaluation vient après le contrôle. On contrôle l'orthographe d'un élève, ou sa capacité à résoudre une équation, et c'est dans une phase ultérieure qu'on lui demande non seulement de présenter des objets ou des projets, mais qu'on lui demande des traces de l'itinéraire qui l'a conduit à ces réalisations. On pourrait d'ailleurs, tous les deux ans, tout au long de leur scolarité, demander à des enfants ce qu'ils ont appris de réellement important, et pourquoi ils considèrent que c'est important. Une évaluation n'est jamais un piège, elle est préparée, et l'élève sait ce qu'on va lui demander.
ToutEduc : Cette démarche est-elle compatible avec le livret personnel de compétences, tel qu'il existe?
Alain Bollon : J'accompagne actuellement une dizaine de collèges, essentiellement dans l'académie de Grenoble, et quelques lycées, pour le livret expérimental. Et avec les équipes, nous construisons des compétences de façon que les enseignants puissent ensuite renseigner les livrets. Donc, c'est possible. Mais ce livret est vraiment trop compliqué et pour le moment , son évaluation tient plus du champ de croix que d'un bel outil pédagogique. En réalité, la France n'a jamais voulu des compétences. Les systèmes éducatifs de type méditerranéen sont centrés sur les connaissances et le contrôle, et ils ont beaucoup de mal à passer à une autre logique. Le socle est un mélange composite de connaissances, de quelques compétences, de capacités, d'attitudes, de critères... Il procèderait de la pédagogie de projet mais doit s'inscrire dans l'actuelle logique programmatique. De plus, les enseignants n'ont pas été accompagnés dans sa mise en oeuvre. Cela aurait supposé que l'encadrement soit formé et qu'il adhère à ces principes.
ToutEduc : Que faudrait-il faire ?
Alain Bollon : Avoir le courage de refonder l'organisation et l'évaluation des apprentissages, proposer un choix limité de compétences pluridisciplinaires qui intègrent plus facilement les contenus d'enseignement.
L'interview de Ph. Meirieu pour le Café pédagogique, Meirieu - Gauchet: une "divergence très relative" (dans "Le Monde")et ici, le blog de Ph. Meirieu, ici. Plusieurs articles sur le livret personnel de compétences et sur le livret expérimental de compétences sur le site de ToutEduc.