Pourquoi lire des albums aux tout-petits (ouvrage)
Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Culture le dimanche 28 janvier 2018.
"Il ne fait désormais plus aucun doute qu'un tout petit s'intéresse aux livres et aux histoires dès sa venue au monde", écrivent les responsables de l'association "Lire à voix Haute-Normandie" qui, depuis près de 20 ans, "propose des lectures individualisées dans les différents lieux que fréquentent les enfants et leurs familles (salles d'attente PMI, centres de loisirs en milieu rural, terrains d'accueil des gens du voyage)" et elles donnent, à l'appui de leur dire, plusieurs observations, très précises, de bébés qui savent très bien montrer aux lectrices quel album les intéresse, et quelle page, quelle image, est pour eux importante.
Ils ne comprennent pas tout ? Qu'importe, "les tout petits enfants accèdent à la langue par le rythme et la prosodie", répond Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, pour qui "lire un livre avec un bébé, c'est faire cette expérience singulière, déroutante, d'une alchimie secrète entre livre, texte, voix, corps, désir, temps..." tandis que l'enfant "veut comprendre ces correspondances intimes qui lient les mots sur le papier à vos lèvres qui remuent, à votre voix, au récit". L'enfant n'a pas encore "la conscience de son activité symbolisante débutante"? Mais ce sont "les germes de la narrativité ultérieure" qui se mettent en place, explique Bernard Golse, également pédopsychiatre, ou, comme l'ajoute Sylviane Giampino, psychologue et psychanalyste, "on parle au bébé avant qu'il ne nous parle, et si on ne lui parlait pas, il ne viendrait pas nous parler". C'est pourquoi "un livre lu avec un petit enfant n'est pas que des mots, n'est pas que des images, n'est pas qu'un objet (...) Il donne corps et présence, et sens, au langage parce qu'il est porté par un autre humain qui vit lui aussi quelque chose de particulier avec le livre et l'enfant à ce moment là."
Lutter contre les troubles des apprentissages ... dans la gratuité du plaisir
L'auteure du rapport sur les modes d'accueil du jeune enfant (voir ToutEduc ici et ici) précise quels sont les enjeux de cet ouvrage collectif : "Il est important de ne pas seulement argumenter qu'on doit fournir des livres aux enfants pour lutter contre les troubles des apprentissages, pour plus de réussite scolaire, et même pour lutter contre les inégalités (...) Le livre est une parenthèse ouverte, une autre scène ouvrant à d'autres temps, d'autres lieux, d'autres identités (...) Les livres sont bénéfiques quand ils font rêver, respirer, se poser, métaboliser les conflits, et dépasser les peurs dans la gratuité du plaisir"...
Et c'est ce plaisir que nous proposent les éditeurs et les auteurs d'albums qui évoquent dans cet ouvrage ce qui les motive, mais aussi Isabelle Sagnet (associations Lis avec moi et La Sauvegarde du Nord) qui évoque toutes ses "premières fois" de lectrice : "La première fois que j'ai lu en PMI, le brouhaha de la salle [d'attente] s'est arrêté net et la puéricultrice est sortie de son bureau en disant : que se passe-t-il ? (...) Une fois, j'ai entendu une petite de 2 ans raconter tout le texte des Trois boucs sans changer un seul mot (...) La première fois qu'une maman a refusé que je lise à son bébé, j'ai essayé la fois suivante et c'était la bonne (...) A chaque fois que je lis à un bébés, c'est toujours la première fois."
"Les tout-petis, le monde et les albums", ouvrage collectif de "L'Agence quand les livres relient", Erès, collection 1001 BB; 269 p., 13,50 €
P. Bouchard, journaliste, président de "Lire à voix Haute-Normandie"