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La coéducation, c'est possible, mais à parité d’estime (ouvrage)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 15 décembre 2016.

Avec "La coéducation à l’école, c’est possible !", Catherine Hurtig-Delattre signe un ouvrage qui aurait pu tout aussi bien s’intituler…Tout ce que vous voulez savoir sur la coéducation et n’avez jamais osé demandé . "Ma posture sur la coéducation s’est construite peu à peu, en trente ans" confie-t-elle en fin d’ouvrage. Comme le relève Frédéric Jésu dans sa préface, "Enfin un ouvrage sur la coéducation rédigé par un enseignant !". L’auteure explore les complexités de son double positionnement d’enseignante (maternelle et élémentaire) et de parent, et propose un véritable guide pratique : tableau chronologique de la coéducation, dispositifs pédagogiques comme cette carte d’identité linguistique de la famille, nombreuses études de cas, schéma des outils en interaction, charte des lieux-accueil-parents (LAP) de la ville de Lyon, bibliographie,...

Trois témoignages

Elle donne les témoignages de trois parents. "C’est la maîtresse de ma fille qui m’a parlé du LAP pour la première fois (…) C’est là que j’ai pu tisser mes premiers liens avec des parents du quartier.(…) A chaque fois que j’y suis venue j’ai été frappée par la richesse des échanges. J’ai compris que c’était un vrai lieu de communication, de partage et d’intégration. J’y ai vu une maman, professeur de FLE expliquer ce qu’était la laïcité en France à une autre maman qui souhaitait acquérir la nationalité française. J’y ai entendu une femme raconter avec émotion ses souvenirs d’enfance dans un village marocain auprès de sa grand-mère.(..) J’y ai vu la vraie vie, celle qui donne et qui reçoit, discrètement."

"C’est au LAP que j’ai appris à parler français ! Je me suis sentie plus forte, je me suis fait des amis. Plus tard, avec mon deuxième fils, je suis devenue parent élue. J’ai participé à beaucoup de réunions. Pour moi le LAP, c’est quelque chose de très important qui m’a beaucoup aidée." "Je suis la maman de trois petites filles, dont deux scolarisées. Mes enfants sont bien intégrées à l’école. Je fréquente le LAP régulièrement. Cela m’a permis de retrouver la confiance en les autres que j’avais perdue (…). Grâce au LAP, j’ai appris à comprendre comment les choses fonctionnent : les transports, l’école, la bibliothèque, le centre social (…)".

Histoire de la coéducation

La notion de coéducation existe dès les années 1920-30 chez les promoteurs de l’Éducation nouvelle, centrée sur la mixité garçons-filles et "l’apport des relations entre pairs de sexes différents". "Ce concept s’est ensuite déplacé du côté de la relation coéducative entre parents et professionnels, d’abord dans le domaine de la petite enfance, de l’éducation populaire et de l’éducation spécialisée." L’auteure cite les mouvements d’éducation populaire tels que CEMEA, Francas, AROEVEN, mais aussi les nombreux réseaux tels que les REAPP (Réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents), les RASED et des mouvements pédagogiques tels que l’ICEM Pédagogie Freinet, le GFEN, le CRAP, les Réseaux d’échanges réciproques des savoirs, l’École des parents et des éducateurs... A partir des années 90, le concept se développe dans les projets des associations de parents d’élèves, FCPE d’abord, puis PEEP et UNAPEL.

C’est dans le cadre de la Refondation de l’École (juillet 2013) qu'est publiée la circulaire du 15 octobre 2013 : "Renforcer la coopération entre les parents et l’école dans les territoires." Avec les nouveaux programmes de Maternelle (2015) "on parle d’accueil, d’information, de dialogue, de confiance, de réciprocité". Comme on peut le lire dans un dossier de veille de l’IFE (voir ToutEduc ici), la relation école-famille a été désignée par plusieurs vocables : "partenariat, collaboration, coopération et récemment seulement coéducation". On est passé "d’une école sanctuaire du savoir à une école-ouverte sur la société". 

Une tension féconde

Pourtant, un rapport remis à l’Assemblé nationale en 2014 identifie "sept points de friction" autour desquels le manque de dialogue prédomine : la carte scolaire, le handicap, la violence et le harcèlement, les devoirs à la maison, la discipline et les sanctions, la pédagogie, les relations avec les parents séparés. Et Carole Asdith montre dans une recherche de 2012 que "les enseignants méconnaissent les conditions de vie et la culture des familles défavorisées".

Pour Catherine Hurtig-Delattre, nul angélisme en matière de coéducation. Elle cite Stéphane Hessel : "Ce qui est premier, c’est la diversité, c’est l’opposition; et ce qui sort de l’opposition peut être l’harmonie. Dans le dépassement des contraires se construit ce déploiement merveilleux…" Pour elle, "la coéducation est toujours en tension et la clé de la réussite à l’école est le deuil d’une pseudo entente cordiale.(…) Cette tension, si elle est assumée, sera féconde et porteuse de sens." Elle tension repose sur des paradoxes puisque l’école "institue à la fois la porosité et la séparation de territoires entre instruction et éducation, entre sphère scolaire et sphère familiale". Elle pense que ce sont des "perspectives de confrontation à l’altérité qui transforment nos manières de voir le monde.". 

Dans ce contexte, le cadre juridique est d’autant plus nécessaire, de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant (1989) au Règlement intérieur de l’école ou de l’établissement. Pour l’auteure, "le cadre des lois est un garde-fou indispensable".

Parité d’estime et bienveillance institutionnelle

La coéducation doit faire le deuil "du mythe de ce parent 'idéal' qui est ni trop loin ni trop près" et "la confiance dans l’école n’est pas livrée en kit" ! La coéducation doit être "collective, volontariste, pensée et constante". Elle "passe par l’invention d’une relation définie comme "asymétrie avec parité d’estime", une "alliance sans allégeance"". Elle affirme que "la bienveillance est une posture relationnelle génératrice de non-violence" surtout en s’appuyant sur "un guidage éthique" et elle propose quelques pistes pour "une meilleure bienveillance institutionnelle" :

- penser des modalités de concertation entre les partenaires dans un même établissement (enseignants, ATSEM, équipes périscolaires,..) ;

- prendre en compte de manière significative, dans le temps de travail des enseignants, le temps passé à la relation avec les parents ;

- proposer des réseaux d’échanges, d’analyse de pratiques et de réflexion entre pairs et partenaires à l’échelle d’un territoire ;

- organiser des modules de formation initiale et continue, communs à plusieurs métiers, sur la question de la coéducation.

Mais l’auteure repère aussi plusieurs limites : des abus dans les attitudes parentales, trop de dialogue qui peut générer paradoxalement des éloignements, le risque d’illusion et d’oubli du contexte, l’empêchement d’agir par manque de temps, la confusion liée à l’abaissement des frontières entre professionnels et parents, un excès d’empathie qui peut générer des glissements vers des postures non professionnelles, le principe de non-jugement des personnes qui ne doit pas devenir un aveuglement, le risque de catégoriser socialement et enfin une sentiment de toute puissance, la situation d’ouverture générant une forme de jubilation….

Le "postulat coéducatif" et la solidarité

Convaincue que "la diversité des modèles éducatifs et pédagogiques doit être prise en compte" de part et d’autre, Catherine Hurtig Delattre avance ce qu’elle désigne comme le postulat coéducatif : "il considère comme une richesse une complexité qui caractérise l’être humain – ici l’enfant, le parent, l’enseignant – comme un être apprenant, de sa naissance à sa mort. En effet, l’enfant est éduqué dans sa famille et à l’école et il apprend à l’école et dans sa famille : c’est très bien comme ça !  (..) C’est pour moi le pari de la coéducation à l’école, qui tentera de passer d’un éclairage mutuel à une construction commune."

Elle donne l'exemple de Nadia, une mère venue seule d’Italie avec ses trois enfants, dont un bébé, il y a deux ans. "Après plusieurs mois de galère, elle a pu obtenir un logement provisoire, une place en crèche, des petits boulots. Ses enfants se sont intégrés, l’un au CM2 puis au collège, l’autre à l’école maternelle. La première année, ce n’était pas facile pour la petite fille qui ne comprenait sans doute pas bien ce voyage. Elle était souvent agitée, avait besoin d’être rassurée. Peu à peu on l’a vue devenir plus sûre d’elle, entrer dans les apprentissages. Pour sa deuxième année de présence à l’école, Nadia a souhaité intégrer l’équipe des parents élus, où elle a toute sa place. Dans le comité de soutien, elle revendique aujourd’hui une posture d’accueil et d’aide des nouveaux arrivants. "Je veux aider comme j’ai été aidée… chacun son tour." Et Catherine Hurtig-Delattre de conclure son chapitre : "Le sourire de Nadia m’accompagne, sa force me donne de la force".

"La Coéducation à l'école, c'est possible !", Chronique sociale, novembre 2016, 296 pages, 14,90 €, préface de Frédéric Jésu

 

Claude Baudoin

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