Etablissements publics du 1er degré, le "Oui, mais" de Georges Fotinos
Paru dans Scolaire le vendredi 14 avril 2023.
Réagissant aux polémiques suscitées par le vote, au Sénat, de la proposition de loi portée par Max Brisson,"pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, Georges Fotinos* nous adresse cette tribune, titréee "L'établissement public du 1er degré, oui... mais", que nous publions bien volontiers. Selon la formule consacrée, ses propos n'engagent que leur auteur.
Mercredi 11 avril lors du débat au Sénat sur la proposition de loi portée par Max Brisson, intitulée "Pour l’Ecole de la liberté, de l’égalité de chances et de la laïcité", le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, rouvrait la réflexion sur ce sujet en répondant à la proposition d’organiser des écoles publiques en "établissements publics autonomes d’éducation" : "Je n’ai rien contre l’autonomie en tant que telle mais nous gagnerions à converser plus avant sur les modalités et le contenu de l’autonomie dont nous parlons."
Pour mieux saisir cette préoccupation et sa récurrence : une référence et des tentatives de mise en œuvre qui s’échelonnent sur plus de 50 ans.
La référence : le colloque d’Amiens de mars 1968 - soutenu par le ministre de l’éducation nationale Alain Peyrefitte -, "Pour une école nouvelle" qui porte l’idée que "c’est au niveau des établissements scolaires que se joue l’évolution réelle de la pédagogie. La classe est un cadre trop étroit pour que les innovations puissent y prendre sérieusement racines. Il importe donc d’accorder une large autonomie aux établissements scolaires."
Les tentatives de mise en œuvre, quant à elles, se retrouvent dans plusieurs lois, décrets, amendements, propositions de lois, déclarations ministérielles qui s’appuient ou non sur des rapports et études d’origine institutionnelle centrés sur l’évolution statutaire de l’Ecole (voir la tribune de G. Fotinos d'août 2021, ici).
A l’analyse de ce corpus, il apparaît nettement que ces échecs répétitifs reposent d’une part sur l’abandon dans les textes présentés des grands principes de changement ressortant du colloque d’Amiens, et d’autre part sur l’absence d’un large consensus des principaux acteurs porteurs de cette évolution : les enseignants, et les partenaires : la collectivité locale et les parents d’élèves. Le tout nous apparaissant particulièrement lié.
UN CONTEXTE NOUVEAU
La crise éducative provoquée par le Covid 19 et ses conséquences relevées par les études d’impacts, plus particulièrement, la forte prise de conscience de la nécessité d’une vraie responsabilisation des acteurs de terrain du système éducatif qui s’inscrit implicitement dans une dynamique de déconcentration et d’innovation, ouvrent de nouvelles perspectives .
Il s’agit d’abord de la prise de conscience générale par la communauté éducative de l’importance de l’école et de la nécessité de développer son identité avec l’aide et le soutien des usagers et partenaires locaux .
Ensuite le fait qu’une majorité des enseignants/directrices/directeurs considèrent que cette crise a fait évoluer leur pratiques éducatives sous la pression d’une responsabilisation accrue et a introduit pour faire face à la contingence quotidienne des "imprévus" la nécessité de créer et d’innover**.
A noter que la situation anxiogène provoquée par la crise a souvent amélioré la solidarité professionnelle et le sentiment d’appartenance des acteurs éducatifs à l’école.
Quant à l’évolution du positionnement des collectivités locales, les débats du Sénat sur le statut de directeur d’école et l’audition par ce même Sénat de l’AMF sur "le devenir de l’école de proximité" montrent un possible qui soit "dans un cadre de changement qui préserve l’école de proximité dans un maillage territorial réaliste et non concentré".
In fine deux avancées d’origine institutionnelle participent à la création de ce nouveau contexte.
- La première d’initiative parlementaire concerne d’une part la reconnaissance par la loi de "l’autorité fonctionnelle" du directeur d’école et d’une formation professionnelle adéquate pour l’exercer - mesures soutenue par les syndicats réformistes des personnels du 1er degré -, et d’autre part l’intérêt actuel porté par les sénateurs sur "l’autonomie de l’établissement public du 1er degré".
-L a seconde d’origine ministérielle qui généralise l’autoévaluation des établissements et des écoles sous l’autorité du CEE (comité d’évaluation de l’école) et promeut dans le cadre de concertations locales des initiatives nouvelles et collectives de nature à améliorer la réussite et le bien-être des élèves, ainsi qu’à réduire les inégalités.
A noter pour compléter ce cadre, la manifestation d’intérêt portée par les syndicats réformistes à ces avancées ainsi que leurs demandes insistantes et récemment renouvelées de la création d’un "Etablissement du premier degré" (conférences de presse, dépêches, publications)
Un sondage réalisé par l’IFOP pour le SE/UNSA en mars 2021 auprès des directeurs d’école indique que pour ces derniers l’évolution pour l’avenir de l’école passe en priorité (sur 4 questions) "par une évolution du statut de l’école vers un établissement du premier degré pour renforcer son autonomie sans faire du directeur le supérieur hiérarchique". A noter qu’en 2017 l’étude nationale (soutenue par l’Accord-cadre MENJS/CASDEN) "Le Moral des directeurs d’école" *** indiquait que 84% des Directeurs répondaient OUI à la question : "Pour clarifier les responsabilités et les prises de décisions , faut-il que la structure administrative de l’école évolue ?"
Enfin plusieurs exemples nationaux et internationaux montrent que l’autonomie de l’école comprise comme un principe systémique apporte - dans le respect des principes directeurs et des valeurs républicaines du système éducatif national -, tant pour les enseignants que pour les élèves, des moyens pour améliorer la réussite et le bien être scolaires. Les micro-exemples que sont les écoles fonctionnant sur les modèles de mouvements pédagogiques complémentaires de l’école publique en apportent une preuve.
OUI … MAIS
In fine cette réforme majeure qui vise à construire un nouveau cycle vertueux de réussite pour l’école française et à ancrer de façon pérenne une politique ambitieuse d’aménagement du territoire, repose sur un préalable : le développement de la confiance des acteurs envers l’institution et trois engagements interdépendants qui font largement consensus.
→ Faire évoluer la gouvernance actuelle du système éducatif centrée sur "les résultats attendus" vers les conditions nécessaires pour la réussite de leur mise en œuvre. C’est-à-dire mettre ce changement de "centre de gravité au cœur et comme moteur" de l’Education nationale.
→ Recentrer le fonctionnement du système éducatif sur sa base vitale et sa raison d’être, l’école et l’établissement, et remplacer l’organisation pyramidale nationale par une systémique horizontale territoriale inscrite dans le cadre régalien.
→ Dégager des moyens financiers et en personnels à la hauteur de l’ambition de ce changement tout en permettant et développant les mutualisations avec les organisations de collectivités locales et les ministères concernés.
* Georges Fotinos est ancien chargé d’Inspection générale (Etablissement et Vie Scolaire) , vice-président de l’Observatoire des rythmes et temps de vie des enfants et des jeunes . Il est docteur en Géographie
** Le Moral des directeurs d’école. Georges Fotinos et José-Mario Horenstein Qualité de vie au travail, burnout, avenir professionnel "Un levier majeur pour la réussite de l’école" (Casden) 2018
*** Les Impacts de la crise Covid 19 sur les directeurs d’école de Paris, Georges Fotinos et José Mario Horenstein (Ville de Paris/Casden) 2020 D