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Elections professionnelles : une forme de résignation (André Robert, interview exclusive)

Paru dans Scolaire le dimanche 11 décembre 2022.

André Robert (U. Lyon 2) est un observateur reconnu du syndicalisme enseignant. Il commente pour ToutEduc les résultats des élections de cette année.

André Robert : Il n'y a pas de “scoop” cette année. Il faut, pour avoir des résultats surprenants, remonter à 1996, aux élections qui ont suivi l'éclatement de la FEN et la naissance de la FSU. Toute jeune encore, cette fédération avait "crevé le plafond", notamment dans le 1er degré. Cette année, on observe une stabilité globale, mais un recul de la participation qui continue d'être préoccupant (39,8 % cette année versus 42,64 % en 2018 et 41,73 % en 2014, ndlr). Le taux de participation était autrefois de l'ordre de 60 %.

ToutEduc : Peut-on parler de désaffection ?

André Robert : Ce recul ne s'explique pas seulement par des raisons idéologiques. Il est d'abord dû à des questions techniques. Le vote est maintenant électronique. La procédure est complexe, les serveurs sont souvent encombrés, et il faut compter avec les “bugs”. Celui qui a affecté le vote dans des DDI (directions départementales interministérielles) a obligé à revenir, en catastrophe au vote physique. Ailleurs, les bugs ont été moins spectaculaires, mais il y en a eu. Le recul est aussi dû à une modification du contexte : on se mobilisait, on avait une salle dédiée, on préparait l'urne, on organisait sa surveillance, autant de sujets de discussion, d'occasions pour les militants d'évoquer les enjeux de scrutin.

ToutEduc : L'objet du vote lui-même a changé...

André Robert : Effectivement, le CTM (comité technique ministériel) a été remplacé par le CSA (comité social d'administration) qui traite aussi des questions d'hygiène et de sécurité, et qui a un rôle consultatif d'examen des questions stratégiques, larges, qui mobilisent en fait peu les enseignants. Dans les anciennes commissions paritaires, chargées des questions de carrière,  les organisations syndicales avaient l'occasion de faire des déclarations préalables que les représentants du ministre et de l'administration étaient bien obligés d'entendre. Elles perdent une tribune, elles ont un sentiment de perte d'audience.

ToutEduc : Les résultats au CSA sont pourtant assez stables...

André Robert : Oui, l'UNSA perd un siège, SUD en gagne un, on voit de légères progressions.

ToutEduc : Les personnels élisaient également leurs représentants aux CAPN et aux CAP départementales.

André Robert : La comparaison avec les scrutins précédents est encore plus difficile dans ce cas. D'une part les CAP, les commissions administratives paritaires, ne traitent plus que des décisions défavorables aux agents. Autrefois, elles examinaient les mutations et les avancements, autant d'éléments concrets et mobilisateurs. D'autre part, elles étaient par corps, les agrégés, les certifiés, etc. Maintenant, c'est l'ensemble du second degré. Si on compare la CAPN de cette année à celle des certifiés d'il y a quatre ans, on peut parler de stabilité, mais on ne voit plus les mouvements spécifiques à certains corps. Quant au 1er degré, il va falloir regarder département par département, ceux où traditionnellement l'UNSA est forte, ceux où c'est la FSU..

ToutEduc : Au-delà des difficultés techniques, et des limites à la comparaison avec les précédents scrutins, il semble quand même bien y avoir une forme de désaffection pour les syndicats.

André Robert : C'est plus complexe. Les enseignants sont des citoyens comme les autres, et comme pour le reste de la population, on assiste à une forme de repli sur soi. On ne croit plus systématiquement comme jadis à la puissance du collectif. Comme me l'a dit un enseignant que j'interrogeais dans une enquête, "je ne suis pas syndiqué, mais les syndicats sont nécessaires",  ce qui signifie en quelque sorte : ils ont la capacité d'empêcher le plus négatif,  je le reconnais, je bénéficie de leur action préventive mais sans payer de cotisation. On n'observe pas de rejet massif de l'idée syndicale, mais d'une certaine manière “sans moi”. Cela dit, les enseignants restent globalement nettement plus syndiqués que d'autres catégories de la population.

ToutEduc : Il y a encore des syndicats, des militants, une expression collective...

André Robert : Oui, mais on s'engage beaucoup moins qu'auparavant en fonction d'une idéologie politico-syndicale précise. C'est plus souvent par proximité avec un militant qui vous entraîne sans vous enrôler. Par ailleurs la mise à distance du vote sous forme dématérialisée, la fin de ce moment collectif de préparation du scrutin, cette individualisation des choix politiques contribuent, pour partie, comme on l'a dit précédemment, à cette désaffection qu'on a constatée lors de cette élection

ToutEduc : Il y a quand même eu, au mois de janvier et au mois d'octobre, des mouvements sociaux d'ampleur...

André Robert : Oui, mais sur des problèmes précis, très concrètement mobilisateurs, le protocole sanitaire, les suppressions de postes qu'entrainerait l'augmentation des périodes en entreprise pour les élèves des lycées professionnels. La politique de Jean-Michel Blanquer a été massivement rejetée, elle se continue à bas bruit avec un autre ministre. On aurait pu penser que les personnels en étant conscients se mobiliseraient au moins pour le vote au CSA. Mais non. En mai, on a poussé un soupir de soulagement, Marine Le Pen n'a pas été élue. Emmanuel Macron a été reconduit, on fera avec, on est bien obligés même si les revendications notamment salariales restent très présentes ainsi que les inquiétudes sur les retraites, sans compter les préoccupations de métier, pédagogiques et autres. Je crois que c'est un sentiment qui domine malgré tout, même si les syndicats sont encore écoutés, parfois suivis et capables de mobiliser (mais un mouvement revendicatif, ça se construit).

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par A. Robert

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