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Refonte d'Affelnet à Paris : plus qu'une question technique, une question de société (G. Morvan-Dubois, interview)

Paru dans Scolaire le dimanche 21 février 2021.

La refonte de la procédure Affelnet d'affectation en lycée général et technologique des élèves parisiens, actuellement en cours, pose des problèmes techniques délicats et qui sont révélateurs de choix de société pour Ghislaine Morvan-Dubois, présidente de la FCPE 75.

ToutEduc : Savez-vous où en est le travail de l'académie de Paris ?

Ghislaine Morvan-Dubois : Nous en connaissons les grandes lignes. Nous faisons part à l’Académie de nos constats et objectifs, mais nous ignorons jusqu'à quel point elles sont prises en compte pour les derniers ajustements, bien que nous ayons des échanges fournis. L'essentiel des éléments, c’est à dire les lycées préférentiellement affiliés à un collège, seront connus début mars.

ToutEduc : Pourquoi fallait-il remettre le système à plat ?

Ghislaine Morvan-Dubois : Au fil des ans, nous avions constaté que, en termes d'absence de mixité scolaire, la situation s'aggravait. La division de Paris en quatre districts avait provoqué la constitution d'une hiérarchie des établissements dans chacun d'entre eux, comme par exemple Janson de Sailly ou Charlemagne, les plus connus nationalement comme Henri-IV ou Louis-le-Grand étant, de toute façon à part, tout comme les sections internationales ou les classes à horaires aménagés, qui recrutent sur dossier (cursus à recrutement spécifiques). Le système était complexe, les initiés, qui savaient comment établir leur liste, étaient avantagés, et nous voyions chaque année des situations de stress de plus en plus graves, générées par un dispositif anxiogène. Les parents avaient le sentiment que c'était tout l'avenir de leurs enfants qui se jouait. Au début de l’été, parfois jusqu’à la rentrée, beaucoup d'élèves étaient sans affectation.

Nous avons organisé une consultation parmi nos adhérents qui témoigne d'une grande diversité des demandes. Il fallait casser le système des "lycées de niveau", permettre aux élèves de sortir de leur quartier, mais les parents des établissements de centre-ville se satisfaisaient mieux de la situation, ayant un grand nombre d’établissement à proximité. Les familles se rendaient cependant compte qu'il fallait que leurs enfants aient un excellent dossier pour intégrer un lycée près de chez eux et certains auraient souhaité revenir à un lycée de quartier. A l'inverse, nos adhérents des établissements de la périphérie se sentaient assignés à résidence, avec toutefois une inquiétude, sans doute due à la pandémie, face à des trajets en métro trop longs. Nous avons alerté le rectorat sur ces éléments depuis plusieurs années, et cette année, la direction de l'académie a décidé de le remettre à plat.

ToutEduc : Que savez-vous des intentions de l'académie ?

Ghislaine Morvan-Dubois : Elle envisage la création de listes de lycées préférentiels, qui sont donc "affiliés" au collège de sectorisation de l'élève (et non pas au collège où il a effectué sa scolarité, notamment s'il a contourné la carte scolaire). La “liste 1”, rassemble les 5 lycées ouvrant droit à un bonus maximum (dit de “secteur”), la “liste 2”, rassemble une vingtaine d’établissements permettant de bénéficier d’un bonus intermédiaire. Chaque collégien pourra candidater pour 10 lycées parmi ceux figurant dans ses listes 1et 2 (cursus à recrutement spécifiques compris).

Contrairement à ce que nous avions initialement compris, il ne s'agit pas d'un cercle tracé autour du collège, mais d'une série de lycées, plus ou moins “cotés” par les parents et enseignants, et accessibles en moins de 25 par les transports en commun pour la “liste1” et 35 min pour la “liste 2”. Par exemple, des élèves domiciliés du côté de la gare du Nord pourraient candidater pour le lycée Lavoisier ou le Lycée Montaigne, situés tout en haut du quartier latin, mais à 15' en RER. Les élèves pourront également demander un établissement de leur “liste 2”, mais n’auront pas la priorité par rapport à des élèves qui auraient ce lycée dans leur “liste1”. ...

ToutEduc : Qu'en pensez-vous ?

Ghislaine Morvan-Dubois : C'est un système intéressant, mais difficile à expliquer aux parents, surtout s'ils voient qu'un lycée situé tout près de chez eux n'est pas dans leur secteur. Les parents sont dans une réelle angoisse dans l’attente de la publication des listes 1 et 2 pour tous les collèges. D'autre part, de nombreuses questions techniques se posent et l'académie n'a prévu aucun garde-fou en cas d’engouement trop important pour un lycée.

ToutEduc : Quels sont les problèmes qui vous inquiètent ?

Ghislaine Morvan-Dubois : L'académie a remplacé le "bonus REP ou REP+" par un bonus IPS, (indicateur de position sociale) des parents pour déterminer le niveau du collège. Celui-ci est déclaratif, avec les problèmes d'interprétation qu'on imagine, mais surtout, il serait fondé sur les métiers et non pas sur les revenus des parents. Or, à Paris, pour un même métier, on a des situations sociales très différentes. Je connais des médecins qui gagnent très bien leur vie et d'autres, dans la fonction publique, qui sont en difficulté et dont les rythmes de vie ne leur permettent pas de s'occuper de leurs enfants comme ils le souhaiteraient... Nous allons essayer de monter un groupe de travail au sein de la FCPE pour y voir plus clair sur cette question.

ToutEduc : Pourquoi le rectorat diminue-t-il le bonus aux élèves boursiers ?

Ghislaine Morvan-Dubois : Le rectorat a prévu de changer le système et de rendre inopérant le bonus boursier quel qu’en soit le montant. En d’autres termes, 5 ou 50 000 points ne feraient aucune différence. Le bonus boursier a déjà montré ses limites par le passé, ce système avait abouti à une concentration extrême d'élèves boursiers dans un même établissements et reproduit la ségrégation sociale par d’autres biais.

Depuis cet épisode, les boursiers et non boursiers sont affectés par deux procédures parallèles, chacune sur des taux cibles, ou quotas. Nous attendons la publication par le rectorat des taux cibles par lycées, qui devrait être compris entre 15% et 30%. L’année dernière, le taux cible académique était pénalisant pour les élèves boursiers du district Est, nous serons donc très attentifs à cet élément.

ToutEduc : Et comment le système va-t-il être adapté pour les élèves venus de l'enseignement privé ?

Ghislaine Morvan-Dubois : Jusqu'à présent, ils étaient traités exactement comme les élèves du public. Mais avec la création d'un IPS par établissement, la situation va changer puisque seuls 11 collèges privés ont un IPS "indicateur de position sociale" intermédiaire, tous les autres étant favorisés. Parmi ces collèges, la majeure partie d’entre eux, scolarisent leurs élèves de 3eme dans des établissements privés. Cela peut changer la donne, puisque le système actuel profite aux établissements privés élitistes, du moins pour ceux de leurs élèves qui veulent continuer leur scolarité dans l'enseignement public et arrivent avec de très bons dossiers scolaires. Il reste cependant près d’un quart des collèges publics parisiens, les plus favorisés socialement, qui n’auront aucun avantage par rapport aux élèves du privé et pour lesquels le système ne change rien.

ToutEduc : Cette affaire secoue votre fédération...

Ghislaine Morvan-Dubois : Une fédération comme la nôtre, qui réunit plus de 6000 adhérents à Paris, est régulièrement traversée par des débats internes, lesquels peuvent parfois être vifs, c’est l’essence même de toute vie démocratique. Mais notre force réside dans notre capacité à garantir l’existence à la fois du débat et de la convergence des points de vue autour de revendication communes (au moins pour une majorité d’adhérents). C’est justement pour cela que la FCPE Paris ne peut parler que d’une seule voix et ne pas laisser quiconque exprimer ses propres idées en tirant parti de son appartenance à notre association pour faire croire qu’il ou elle représente la FCPE.

Le problème que nous rencontrons aujourd’hui réside dans l’instrumentalisation que font certaines personnes de nos débats internes à des fins politiques. Nous faisons face à des individus qui n’hésitent pas à recourir à des pratiques très éloignées de notre univers de parents d’élèves. Certains ont recours à la désinformation, la construction de “faits alternatifs”, la diffamation ou le vol de données personnelles pour “prendre le pouvoir” pour reprendre leurs mots.

Tout cela est contraire à l’intérêt des élèves et de leurs parents, c’est pourquoi nous avons publié un communiqué public. Il est de notre devoir de préserver le fonctionnement démocratique de la FCPE Paris et d’assurer le plus de transparence et de communication possible aussi bien auprès de nos adhérents que de nos partenaires.

ToutEduc : Ce n'est pas uniquement une question de personnes ?

Ghislaine Morvan-Dubois : Non, en effet, certains parents, y compris au sein de la FCPE Paris, auraient souhaité que Paris ne constitue qu'un seul secteur très hiérarchisé et seraient favorables à un système très élitiste , même si cette position est contraire à nos valeurs et aux positions que nous défendons tant au niveau parisien que national. Avec la nouvelle sectorisation, le choc risque d’être rude pour les collèges les plus favorisés, puisque manifestement, l'académie est favorable à donner un avantage aux établissements socialement mixtes...

Au-delà des questions techniques que posent ce nouvel Affelnet, on voit poindre un véritable débat de société entre équité et égalité. Doit-on faire de l’affectation en lycée un concours ou considérer que chaque collégien dispose d’un même droit à accéder à un lycée de façon équitable, quel que soit son quartier d’origine ? Baser l’affectation sur des critères de revenus ou de contexte familial va clairement dans le sens d’une plus grande équité.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus et complétés par G. Morvan-Dubois

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