Rapport Charvet : une conception limitée et conservatrice de l'orientation selon Jean Guichard
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 24 septembre 2019.
"Le rapport Charvet" privilégie "une orientation uniquement conçue du point de vue de l’école", où "le passé et le présent scolaires sont les déterminants fondamentaux de la direction que le jeune - perçu uniquement comme un élève (ou un décrocheur) –, doit donner à son existence", estime Jean Guichard. L'ancien directeur de l’INETOP (Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle - CNAM)en publie une analyse critique sur le site de l'APSYEN, l'association des psychologues de l'Education nationale spécialisés "orientation". Pour le chercheur, il s'agit d'un "écrit institutionnel, rédigé par des cadres de l’institution, ne se référant quasiment pas à des travaux externes. Et surtout pas aux analyses universitaires rigoureuses relatives au rôle de l’organisation scolaire française dans la situation sociale catastrophique dans laquelle se trouvent un grand nombre de jeunes à la sortie de l’école."
Il rappelle et résume les principales préconisations du rapport qui entend "définir les principes d’une pédagogie de l’information et de l’orientation confiées principalement , à un nouvel acteur : le professeur ou conseiller principal d’éducation". Celui-ci serait habilité "à guider les parcours d’orientation", du fait de sa capacité à conduire une "veille documentaire sur les métiers et les formations (...)" et de sa connaissance "des profils et tendances du marché du travail", "des questions de diversité et d’égalité des chances", "de l’environnement économique", "des établissements de formation".
Des antennes des CIO dans les lycées
Parallèlement les bibliothèques de lycées "têtes de réseau" accueillent des antennes du CIO départemental et les psy-En y sont affectés. Mais "comment aider un jeune à considérer sa situation scolaire en la situant parmi ses autres expériences (non scolaires, ndlr), alors que le dialogue de conseil se déroule au sein même d’un établissement scolaire ?" Tout le rapport va "dans le sens d’un renforcement du poids de la performance scolaire (...) dans l’orientation-sélection des élèves", donc "dans le sens d’une reproduction à l’identique des hiérarchies sociales".
L'orientation se trouve alors réduite à des "procédures de sélection-répartition des élèves dans les diverses formations formant le système scolaire" alors que, pour l'auteur, le terme orientation "désigne fondamentalement l’action de donner une direction – un sens –, à son existence( en anglais: a life designing), ainsi que le fait d’être accompagné dans l’activité de réflexion qu’implique cette orientation". Et, ajoute-t-il, c'est le rôle des psychologues du conseil en orientation qui refusent "de voir les jeunes qui s’adressent à eux seulement comme des élèves", mais "les invitent à considérer l’école du point de vue des potentialités de vie active future que l’ensemble de leurs expériences peut les conduire à esquisser".
Un projet abandonné en 1968
Jean Guichard estime d'ailleurs que ce rapport ne fait que reprendre "en les actualisant", les mesures du "Plan Laurent" qui fut abandonné "à la suite des révoltes des jeunes en mai 1968". Georges Pompidou, alors Premier Ministre souhaitait "que disparaissent ces 'esprits faux' qu’étaient à ses yeux les conseillers d’orientation et que l’orientation soit le fait des professeurs" dans une école "dont l’organisation vise fondamentalement à sélectionner une élite scolaire et sociale", les autres ayant vocation à devenir "des producteurs et des consommateurs".
Comment aller vers "une autre école dont la finalité première serait le développement optimal des talents de chacun", qui privilégie "le développement des qualifications, des compétences, des formes d’intelligence ou de créativité, des savoirs et savoir-faire de tous", comme tend à le faire l’école finlandaise: "une école élémentaire polyvalente où, pendant neuf années, les jeunes fréquentent le même groupe classe (de moins de 20 élèves) avant d’entrer dans une école secondaire générale ou professionnelle où une grande latitude est donnée à chacun de composer son propre menu de formations", ce qui rendrait possible une "approche orientante", "c’est-à-dire une réflexion des élèves sur le sens de leurs apprentissages scolaires en relation avec leur future vie active" tandis que "le système scolaire français repose sur une valorisation différentielle des disciplines" : "Dans ce contexte, l’éducation à l’orientation peut très vite devenir un dispositif (qui s'adresse) à ceux qui sont orientés (ou pourraient l’être) vers des formations ne correspondant pas à leurs souhaits."
Mais alors, "quelles institutions proposeront un accompagnement à l’orientation adapté aux enjeux du monde d’aujourd’hui (...), aidant les demandeurs à trouver leur réponses à la question: par quelle vie active puis-je contribuer au développement d’une économie durable, équitable et humaine?"
Le site de l'APSYEN ici