Quel est le projet du Gouvernement pour les ado ? (congrès des psychologues - orientation, interview exclusive)
Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 23 septembre 2019.
Les psychologues de l’éducation nationale - spécialité EDO (éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle, les anciens COP, conseillers d'orientation psychologues) sont inquiets. Ils étaient en congrès à Bayonne du 17 au 20 septembre. La présidente de l'APSYEN répond à nos questions.
ToutEduc : Le ministre de l'Education nationale vous a adressé un message vidéo (voir ToutEduc ici). Comment a-t-il été reçu ?
Sylvie Amici : Les quelque 400 psychologues EDO qui participaient à nos journées d'études ont apprécié le geste. Jean-Michel Blanquer n'avait eu aucune parole publique à leur endroit jusque là, alors qu'ils assistent au démantèlement de l'ONISEP, que ferment les CIO et qu'ils sont sollicités par les équipes enseignantes, les chefs d'établissement et les familles dans un contexte de réformes et d'interrogations. Ils étaient donc satisfaits en même temps qu'ils étaient quelque peu décontenancés par le contenu du message.
ToutEduc : Il y annonce des décisions à venir qui vous amèneront à être plus proches des élèves, dans les établissements...
Sylvie Amici : En effet, et il n'a pas dit un mot des CIO dans lesquels sont accueillis des publics scolarisés comme non scolarisés, du public comme du privé, les enfants du voyage, les jeunes mineurs étrangers y compris ceux non accompagnés. Nous avons l'expérience dans le Val d’Oise de locaux du centre d'information et d'orientation qui n'étaient plus aux normes, et dont les personnels ont été installés provisoirement au lycée. L'établissement n'a très vite plus supporté les va-et-vient de ces jeunes. S'il n'y a plus de CIO, qui va les accueillir ? Que devient le service public de proximité ? Peut-être le Gouvernement a-t-il une réponse à ces questions. Qu'il le dise.
ToutEduc : Avez-vous une idée du nombre de CIO fermés ?
Sylvie Amici : C'est très difficile à chiffrer. Prenez l'exemple de Tours. Officiellement, le centre d'information et d'orientation du centre ville n'a pas fermé, mais, dans les faits, les personnels ont été regroupés sur le site du CIO de Joué-lès-Tours, prévu pour accueillir dix conseillers, et qui se retrouve avec trente, et deux structures ! Certains ferment, d'autres changent de statut, ou de localisation... Or nous avons besoin de ces centres, c'est à l'extérieur des établissements qu'on peut rencontrer les "invisibles", les élèves qui décrochent et ceux qui seraient susceptibles d'être scolarisés, ceux qui sont dans les marges, ou qui ne sont pas dans un parcours rectiligne, ce qui peut arriver à chaque adolescent, à chaque famille, à un moment. Notre association va d'ailleurs porter le débat devant le Défenseur des Droits et la médiatrice de l'Education nationale. Des enfants de moins de 16 ans sont concernés, sans qu'on sache qui est supposé s'en occuper, si nous ne sommes plus sur le terrain.
ToutEduc : Vos interrogations portent-elles également sur le fond ?
Sylvie Amici : Oui. Le ministre commence par un "plan large" sur les psychologues de l'Education nationale, mais sans qu'on voie bien s'il parle du travail de nos collègues dans le 1er degré, ou du nôtre dans le second degré. Et surtout, en ce qui nous concerne, il distingue le travail sur le bien-être psychologique du jeune et le conseil en orientation, une distinction qui figure déjà dans le "rapport Charvet" entre le suivi psychologique des élèves et l'aide à l'élaboration de leur choix d'avenir. Or les deux approches ne peuvent pas être déconnectées, cette partition des rôles n'a pas de sens.
ToutEduc : Vous êtes donc dans l'attente des décisions annoncées, avec un désaccord potentiel sur la conception du travail des psychologues EDO...
Sylvie Amici : Nous nous interrogeons plus largement sur les intentions du Gouvernement. Il a annoncé, dès son installation, la priorité au 1er degré, ce que nous comprenons. Mais quel est son projet politique à l'égard des adolescents ? Pour l'instant, en ce qui nous concerne, nous sommes dans le flou et nous ne voyons par ailleurs, comme projets tangibles, que la création de centres éducatifs fermés et la première phase du SNU (Service national universel) qui est prévue pour des jeunes de 16 ans, dès la sortie du collège.
ToutEduc : Comment se porte votre association ?
Sylvie Amici : Très bien. Nous avons pu faire entrer des jeunes collègues au Conseil d'administration, dont l'auteur d’un travail de recherche sur le poids des stéréotypes dans le conseil en orientation, un rôle que les enseignants vont être amenés à jouer de plus en plus, sans formation spécifique. Ce n'est qu'un exemple, nous avons la force de la réflexion sur notre métier, et nous avons une structure solide, y compris financièrement, qui saura défendre notre métier et nos services et les droits des usagers.
A noter que le congrès 2020 aura lieu à Arles du 22 au 25 septembre avec pour thème l’accueil des jeunes arrivant de l’étranger et des familles itinérantes. L'assocation prépare son 90éme anniversaire en 2021.
Propos recueillis par P. Bouchard, relus par S. Amici