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"Apprendre à lire" : la réponse de Liliane Sprenger-Charolles au "4 pages" (Exclusif)

Paru dans Scolaire le lundi 01 juillet 2019.

Sollicitée par ToutEduc après la publication, par plusieurs syndicats et mouvements pédagogiques d'un violent réquisitoire contre la politique de Jean-Michel Blanquer en matière d'apprentissage de la lecture, Liliane Sprenger-Charolles, membre du CSEN, nous a adressé ce texte, que nous publions bien volontiers, assorti d'une interview qui en commente la portée (ici).

"De nombreuses informations présentées sur la lecture présentées dans "Apprendre à lire" (voir ToutEduc ici) sont erronées.

C’est le cas concernant le fait que les préconisations ministérielles tournent le dos à l’ensemble des acquis de la recherche (fin du §1). En effet, comment un ministère qui s’appuie sur les travaux sur l’apprentissage de la lecture-écriture des membres de son CS qui sont des spécialistes de ce domaine reconnus internationalement (en particulier, Stanislas Dehaene, Michel Fayol, Franck Ramus, Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler), pourrait-il être à ce point dans l’erreur ?

De plus et, surtout, le ministère ne défend absolument pas une conception de la lecture qui se limite "simplement" à "décoder ou à oraliser un texte le plus rapidement possible" (début du §1). Cette conception n’est, en tout cas, pas celle défendue par le CSEN (voir le document du CSEN sur les évaluations ici) ?. En témoigne les évaluations CP 2018 comparées à celles de 2017. En effet, si les premières étaient fortement centrées sur le code (sur 13 exercices, 3 portaient sur la compréhension), celles qui ont suivi ont corrigé ce travers. En effet, le nombre d’exercice n’a pas changé mais ceux consacrés à la compréhension du langage sont plus nombreux (5) et, de plus, ils demandent beaucoup plus de temps que ceux centrés sur le code. Il est toutefois à noter que seule la compréhension orale est évaluée en début de CP, pas la compréhension écrite, les élèves étant supposés ne pas avoir appris à lire à cette époque.

C’est également le cas concernant les évaluations PIRLS à propos desquelles il est écrit que "La plupart de nos élèves savent décoder mais ont du mal à comprendre un texte" (§2, p.2) et que "depuis 2001 les performances des élèves français dans la compréhension fine de textes ne cessent de diminuer" (sous le tableau de la page 2). Ne citer que cette partie de l’évaluation, sans préciser que seule la compréhension écrite de textes a été évaluée, pas la compréhension orale, ni les capacités de décodage, est grave. En effet (cf. tableau 1 ci- dessous), les scores des enfants français ont baissé dans tous les domaines, contrairement aux autres pays de l’UE, sauf les Pays-Bas. En outre, le pourcentage des faibles lecteurs est, en France, plus élevé que dans la moyenne des pays de l’UE (6% contre 4%).

Trois principales explications ressortent des réponses des enseignants à un questionnaire : d’une part, ils sont plus nombreux que dans les autres pays de l’UE à ne pas avoir reçu de formation continue (38% contre 22%) ; d’autre part, ils se sentent moins à l’aise face aux élèves en difficultés ; enfin, leurs pratiques pédagogiques sur la compréhension sont plus traditionnelles (cf. le tableau 2 ci-dessous).

Ces constats se retrouvent dans le rapport "Pratiques de classe, sentiment d’efficacité personnelle et besoins de formation : une photographie inédite du métier de professeur des écoles" (1). Les mêmes constats ressortent des travaux français issus de la sociologie (2). En effet, ces travaux mettent en relief une augmentation dans le temps des inégalités de performances dues à des facteurs sociaux. Quatre explications sont données par les sociologues : l’augmentation des exigences avec les niveaux scolaires, l’accentuation des différences en l’absence de dispositif spécifique, l’inadaptation de la formation des maitres ainsi que les changements trop fréquents et peu pertinents des programmes. Les sociologues soulignent aussi que l’augmentation des différences est parfois masquée par le non-recours à des épreuves standardisées : en effet, les établissements qui notent le plus sévèrement ont les meilleurs élèves alors que ceux qui notent le moins sévèrement ont les élèves les plus faibles.

C’est en réponse aux résultats des élèves français que le MEN, avec l’aide de son CS et de la DEPP, a mis en place le dispositif EvalAide

Le but de ces évaluations est de fournir des repères permettant de déterminer les acquis, progrès et besoins de chaque élève entre le début du CP et le milieu du CP puis entre le milieu du CP et le début du CE1 dans différents domaines du langage et des mathématiques afin de permettre de repérer rapidement ceux qui rencontrent des difficultés spécifiques pour pouvoir les aider, les aides précoces étant les plus bénéfiques.

Ce type de dispositif a fait ses preuves dans plusieurs pays (USA, Australie, Royaume Uni…), dans l’Etat de Floride (72% d’élèves de milieu défavorisés, 14% ayant l’anglais comme langue seconde) ainsi que dans des programmes internationaux destinés aux pays en voie de développement (Early Grade Reading Assessment). Par exemple, en 2012 le Royaume Uni a introduit le phonics check (lecture à haute voix de mots en temps limité) pour tous les élèves de 1ère primaire (notre CP, ndlr), ce qui permet l’identification de ceux en difficultés afin de les aider. Ces élèves sont revus un an plus tard et des exercices plus ciblés sont proposés à ceux qui ont encore des difficultés. De 2011 à 2016, une amélioration des résultats des élèves du RU a été observée à la fois sur cette épreuve et sur celles de l’évaluation internationale PIRLS (de 552 points à 559, soit une différence significative de 7 points alors que les scores des enfants français entre ces deux périodes ont baissé de 9 points, de 520 à 511).

Lire, apprendre à lire, décodage et compréhension : un bilan de plus de 30 ans de recherche

Que nous disent les recherches sur les relations entre, d’une part, compréhension écrite vs. compréhension orale et décodage en début d’apprentissage de la lecture et, d’autre part, décodage et capacités précoces d’analyse et de discrimination des sons du langage ? Ces recherches permettent-elles de justifier la nécessité d’évaluer et d’entrainer certaines capacités ? Sont-elles en phase avec le développement actuel des sciences cognitives de l’éducation et les travaux des fondateurs français des sciences de l’éducation ? (3).

L’apprentissage de la lecture dépend du système d’écriture

Pour comprendre les problèmes rencontrés par les enfants qui apprennent à lire en français, il faut savoir ce qu’implique cet apprentissage dans une écriture alphabétique. Toutes les écritures transcrivent des unités de la langue orale. Ce qui les différencie, c’est la taille et la nature des unités transcrites : mots ou morphèmes dans les écritures logographiques, syllabes dans les écritures syllabiques et phonèmes dans les écritures alphabétiques. Il y a beaucoup plus d’éléments à mémoriser dans les écritures qui codent des unités de large taille (mot ou morphème), cet apprentissage nécessitant, en conséquence, plusieurs années.

(voir la suite ici)

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