Gratuité et coût de la scolarité : le CNAL à l'offensive
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 26 juin 2019.
La gratuité est "un des principes fondateurs" de l'école, "la condition sine qua non" de l'égalité, estime le CNAL. Le Comité national d'action laïque organisait, hier 25 juin, un colloque sur ce thème et son président, Eddy Khaldi, annonce sa volonté de "revisiter" les propositions de la charte de 1997. Jean-Paul Delahaye, qui représente la Ligue de l'enseignement, dénonce un scandale qui se perpétue. Il se souvient de l'humiliation qu'il a connue lorsque, fils d'une femme de ménage, il n'a pu participer, dans les années 60, à un voyage scolaire et qu'il est resté dans l'établissement, mais il évoque un collège qui, il y a de cela quelques années, a réservé une classe aux élèves dont les parents pourraient financer les sorties scolaires !
Mathilde Philip-Gay (maître de conférences en droit public, Lyon-3) rappelle d'ailleurs que la gratuité de l'enseignement public est un principe constitutionnel qui s'applique au-delà de l'enseignement obligatoire, donc à l'école maternelle ou au-delà de 16 ans, comme aux enseignements optionnels sur temps scolaire, mais pas aux activités facultatives (par exemple celles qui nécessitent un accord parental parce que hors temps scolaire, même si aucun enfant ne peut en être exclu), ni aux manuels, aux photos de classe...
Un tabou
Et, fait remarquer Stéphane Crochet (SE-UNSA), c'est "un tabou", une question rarement abordée dans la salle des maîtres. Et pourtant, "combien de fois mettons-nous certains élèves en difficulté ?", surtout dans les écoles où l'on rencontre le moins ces difficultés sociales, et où l'on peut oublier qu'elles existent. Les enseignants ne sont pas formés à cette réflexion qui est à la fois juridique, éthique et politique. Virginie Lanlo (représentant l'AMF et adjointe à Meudon) confirme, la difficulté sociale existe aussi dans des communes privilégiées et demande, de la part des élus, une approche au cas par cas, qui aide sans humilier. Christine Mendiboure, assistante sociale, rappelle qu'un élève de la voie professionnelle n'entre pas sur un chantier s'il n'a pas les chaussures adéquates, coûteuses.
Audrey Chanonat (SNPDEN) explique qu'au collège, l'équipe de direction et les enseignants connaissent assez bien les élèves de 5ème, 4ème, 3ème, mais mal ceux de 6ème, dont les dossiers arrivent après la campagne des bourses, et sont dépourvus de données sociales, après la contestation de "base élèves". Les fournitures scolaires posent question et Stéphanie Anfray (FCPE) fait remarquer qu'elle est parfois deux fois plus longue, et plus coûteuse, pour les élèves de SEGPA, souvent de milieux défavorisés, que pour les autres collégiens. Elle milite pour une adaptation de l'allocation de rentrée scolaire à l'âge et à la filière des élèves.
Mais c'est surtout la question des transports scolaires qui mobilise les intervenants. Martine Duval représente l'ANATEEP, l'association nationale pour les transports éducatifs de l'enseignement public, créée par le CNAL et qui promeut, non plus forcément la gratuité, mais un prix symbolique, pour éviter des inscriptions de commodités, pour le jour où les parents ne peuvent pas amener les enfants au collège, une fréquentation irrégulière qui désorganise le service.
Le rôle des intercommunalités
Lorsque les transports scolaires étaient du ressort des départements, quelque 30 % d'entre eux avaient opté pour la gratuité, mais les données du problème ont changé avec la loi NOTRe qui en a confié la responsabilité aux régions et aux intercommunalités. Ces dernières assurent actuellement le transport de plus d'élèves (1,876 million) que les régions (1,4 million), elles font valoir que leurs titres de transport servent aussi le mercredi ou le dimanche, et se refusent à différencier transports éducatifs et transports urbains. L'ANATEEP a voté, le 19 mai, une résolution demandant la gratuité d'un aller-retour quotidien, "une contribution citoyenne de responsabilisation correspondant à 5 % du coût total annuel du transport d'un élève est acceptable" (ici).
Quant au CNAL, il lancé l'enquête auprès des directeurs d'école et des personnels de direction et il a reçu 1 022 réponses. Dans le 1er degré, 52% des professionnels indiquent que les familles sont sollicitées pour acheter des fournitures scolaires de base, pour un coût moyen de 25€, une proportion qui monte à 93 % dans le second degré, pour un coût moyen de 135€, et ils sont plus de 8 sur 10 à estimer que cela met certaines familles en difficulté. Dans le 1er degré, 42 % indiquent que les familles sont sollicitées pour les sorties scolaires et que cela en met en difficulté certaines, un taux qui monte à 82 % dans le 2nd degré. Pour les voyages scolaires, 92 % des personnels de direction indiquent que les familles sont sollicitées, le tarif n'est modulable que pour 27 % des répondants qui précisent majoritairement (59 %) que certains élèves sont donc exclus des voyages scolaires. Il faut aussi compter avec la photo de classe (5 à 15€), avec la cantine dont les tarifs sont souvent fixes, aux environs de 3,60 par repas... A noter aussi que dans le 2nd degré, 58 % des répondants indiquent que toutes les familles n'ont pas recours aux bourses auxquelles elles ont droit, souvent faute d'un accompagnement, surtout lorsque les dossiers sont numérisés.
Le CNAL avait également demandé à l'IFOP une enquête sur le coût de l'école et sur sa perception. Sur les 600 parents interrogés, 59 % approuvent l'idée que le service public d’éducation est totalement gratuit pour les familles, mais ils ne sont qu'une minorité (47 %) à estimer que la gratuité est gage de qualité, même si une courte majorité estime que les dispositifs de soutien scolaire gratuits sont plus efficaces que ceux qui sont payants.
Une accumulation d'activités
Ils ne sont que 38 % à savoir que le montant maximal des bourses de collèges est de 453€/an (ils avaient le choix entre 4 réponses) et une grosse minorité estime que c'est suffisant, voire trop ! Ils connaissent mieux le montant de l'allocation de rentrée scolaire et n'ont que rarement conscience du coût pour la collectivité d'un élève en classe préparatoire aux grandes écoles (15 760€), qu'ils sous-estiment souvent. Ils ont une vision un peu plus précise du coût d'un étudiant à la faculté (10 330€).
Près de 6 familles sur 10 répondent que leur enfant pratique un sport en club (pour un coût moyen de 240€), moitié moins dans une association sportive scolaire (pour un coût moitié moindre) et ils sont convaincus (69 %) que cela contribue à sa réussite scolaire. Les taux de participation à des cours de langues en dehors de l'école (pour 124 € en moyenne), ou à des séjours linguistiques (565 €) sont bien plus faibles (10 et 9 %), mais avec un fort sentiment d'utilité (91 %). Les activités culturelles sont plus fréquentes, en club, association ou conservatoire (19 %, 215€) ou à l'école mais hors heures de cours (16 %, 111€). Plus de la moitié des parents (53 %) ont inscrits leur enfant à la bibliothèque ou à la médiathèque (10€).
Et les poursuites d'études
En ce qui concerne le soutien scolaire, 21 % des familles disent que leur enfant en bénéficie dans le cadre scolaire ("devoirs faits", soutien, 39€), 10 % hors de l'école (151€) et ils sont 85 % à juger cela utile. Ils sont près de 8 sur 10 à déclarer que leur enfant a un accès personnel à Internet (194€). Enfin, ils sont 9 sur 10 à envisager des études supérieures pour leur enfant et 4 sur 10 épargnent dans cette perspective (725€), car ils s'attendent à devoir débourser plus de 7 000€/an pour financer ces études.