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Enseignement agricole : les maisons familiales rurales bridées dans leur développement (P. Gues)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 03 mars 2016.

Les "Maisons familiales rurales" utilisent, demain 4 mars, leur stand au Salon de l'agriculture, pour promouvoir l'appel à la Commission européenne à rédiger un "Livre blanc de la Ruralité" (voir ici). Patrick Gues, représentant de ce mouvement fondé sur l'alternance, répond aux questions de ToutEduc.

ToutEduc : Pourquoi vos établissements scolaires sont-ils partie prenante de ce mouvement ?

Patrick Gues : Au niveau européen, les territoires ruraux rassemblent 50 à 60 % de la population sur 80 % de l'espace. Nous souhaiterions que la Commission européenne se préoccupe de cet espace car les disparités économiques et sociales entre la ville et les campagnes se creusent. Pour les Maisons familiales rurales, le développement d’un territoire et l’éducation sont étroitement imbriqués. Nous revendiquons le droit, pour les jeunes, de poursuivre leur formation dans leur milieu de vie. Qui pourra me justifier la nécessité d’aller dans une grande métropole pour se former ? Qui ? Avec quels arguments ? Les MFR sont un des éléments de la réponse à cette question, à côté des autres établissements de formation. De plus, comme pour tous les établissements agricoles, la loi nous confie une mission d'animation des territoires. Encore faut-il nous en donner les moyens ! Les MFR constituent des centres de ressources, y compris au plan culturel et social, et nous participons pleinement au développement local.

ToutEduc : Vous revendiquez ce droit pour les jeunes, qui n'ont pas tous envie d'être agriculteurs ...

Patrick Gues : Vous avez raison, et nos formations conduisent à bien d'autres métiers. Nous pouvons d'ailleurs regretter une certaine frilosité du ministère de l'Agriculture lorsqu'il s'agit d'ouvrir des formations à l'artisanat, au commerce ou aux services à la personne en milieu rural. Or les besoins sont importants : dans l’agro-équipement, on recense par exemple 5 000 offres d'emploi chaque année qui ne sont pas toutes pourvues. Si on compte les exploitations agricoles et les entreprises annexes, on embauche chaque année 50 000 salariés permanents dans le secteur de la production agricole. C'est agaçant de ne pas pouvoir répondre à cette demande dans le contexte de chômage généralisé qui traverse notre société ! J'ajoute que le besoin de formation est d'autant plus important que nous sommes en période de crise. C’est aujourd’hui qu’il faut mettre, excusez mon expression triviale, le "paquet" sur l’enseignement agricole ! Et aurais-je envie de dire aux pouvoirs publics : Laissez-nous faire !

Nous sommes aujourd’hui corsetés dans des décisions administratives d’un autre âge ! Savez-vous que depuis deux ans, les MFR ont eu l’autorisation d’ouvrir un seul BTSA sur toute la France… Cela frise le ridicule ! Nous pourrions presque en rire s’il ne s’agissait de l’avenir de milliers de jeunes ! Savez-vous que les agriculteurs de moins de 40 ans ont quasiment tous au moins un diplôme de niveau IV et beaucoup ont un bac+2 ou +3... Mieux que la même classe d’âge de l’ensemble des jeunes Français. Il est d'autant plus important d'ouvrir nos formations que 20 à 30 % de ceux qui s'installent ne sont pas enfants d'agriculteurs. On assiste à un retournement d’une tendance historique, l'exode rural est derrière nous, les gens quittent les villes maintenant. Le métier d’agriculteur est un métier choisi et non subi, comme par le passé.

ToutEduc : Le CNEAP (l'enseignement agricole privé, voir ToutEduc ici) demande l'ouverture de classes de 5ème dans leur lycée. Avez-vous la même demande ?

Patrick Gues : La demande du CNEAP est particulièrement pertinente. Les 4e et 3e de l’enseignement agricole sont une chance pour le système éducatif français. Ces classes-là ont toujours été intégrées dans le dispositif national du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Nous devons renforcer ces classes pour aider de nombreux adolescents qui ne se sentent pas à l’aise dans le collège traditionnel à réussir leurs études. Mettons les moyens où il faut, là où c’est essentiel, et non pas dans des dispositifs ultérieurs de repêchage des décrocheurs, coûteux pour la Nation et inefficaces pour la plupart. Aux niveau des MFR, nous sommes confrontés à une autre difficulté. Nous pratiquons, vous le savez, une pédagogie par alternance avec des stages dès la classe de 4e. Du fait d'une interprétation abusive de la réglementation européenne sur le travail des jeunes, nous n'avons pas le droit d'envoyer en stage, même s'ils sont sont parfaitement encadrés et que ces stages ne constituent en aucune façon une forme de travail, un jeune qui n'a pas 14 ans dans l'année civile. Il est vraiment curieux qu’un temps de stage d’observation ou d’initiation soit considéré comme du travail ! L’école marxiste du travail, pourtant déjà, considérait ce temps comme de la formation… Notre société française a du progrès à faire pour reconnaitre les temps d’éducation non formelle et informelle comme des vrais temps de formation. La problématique est pourtant simple : du fait de la réduction du nombre des redoublements, de nombreux jeunes qui frappent à nos portes pour entrer en 4ème ont encore 13 ans et nous ne pouvons pas les accueillir. Nous sommes donc obligés de les renvoyer dans leurs collèges où ils vont redoubler (et bien souvent décrocher) ! Les familles ne comprennent et sont désespérées. Est-ce raisonnable ? Nous souhaiterions que la représentation nationale s’empare de ce sujet. Il en va, entre autre, de l’avenir de 150 000 décrocheurs en France et de tous les jeunes motivés qui ont déjà fait le choix d’un métier dès le collège.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus et complétés par P. Gues

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