Scolaire » Recherches et publications

Après les attentats de Charlie Hebdo, les enseignants "ne capitulent pas" (livre)

Paru dans Scolaire le samedi 22 août 2015.

M.S. Lamoureux est "prof de français" en banlieue. Pas "professeur(e)". Même si le titre qui lui confère sa légitimité est important à ses yeux, c'est la réalité de ses émotions quotidiennes qui souvent la submergent, depuis le premier jour de sa première classe, mais plus encore le 11 janvier. "Je n'ai pas entendu un seul de mes élèves se réjouir que des meurtres aient été commis. Je les ai vus bafoués dans leurs convictions parce que des gens avaient trahi leurs idéaux en se prétendant leurs frères. Je les ai vus inquiets et en souffrance parce que les adultes ne répondent pas aux questions qu'ils se posent : quelles sont les valeurs à suivre ? Qui dois-je croire ? Ai-je encore le droit d'être heureux ?"

Elle tente depuis plus de vingt ans d'y répondre avec ce qu'elle porte en elle, l'amour de la littérature, et le sens qu'elle donne à son métier, "faire le truchement" entre "la centaine d'ados qu'on (lui) confie tous les ans" et ses "potes" à elle, Montaigne, Aristote, La Boétie, Molière, Voltaire, Hogo, Desnos, Prévert ou Camus, mais aussi Schmitt, Pennac, Daoud, Abd Al Malik...

Ne pas capituler face à la "rhinocérite"

Les attentats de janvier et les réactions qu'ils ont suscitées, dans ses classes comme chez les politiques et les journalistes ont déclenché chez elle la rage d'écrire et de décrire son quotidien, quand, "de ruses en détours, (elle) fini(t) quand même par leur faire lire quelques beaux textes", quand le cours dont elle a longuement élaboré la construction "vient de se casser la figure" parce qu'une élève l'interpelle sur une question d'actualité, ou quand elle fait un grand geste maladroit qui expédie ses lunettes au loin, se trouve ridicule et qu'une élève lui dise qu'il est "chouette" d'avoir une prof à ce point passionnée... Ce sont aussi ses rapports avec l'administration, parfois mesquine ou stupide, et parfois généreuse et intelligente. L'auteure nous dit aussi son ambivalence face à la ministre, son sentiment qu'elle "a pris la mesure de la tâche à accomplir" après les attentats, mais qu'elle a maladroitement commencé "par un constat d'échec" de l'Ecole. En revanche le document sur les "pistes pédagogiques" qui a suivi est "bref, efficace, pratique". Elle émaille son texte de remarques générales sur la pédagogie, elle voit d'ailleurs dans Le Cercle des poètes disparus le récit d' "une grave erreur pédagogique" qui conduit au suicide d'un adolescent. Car pour elle, ce sont manifestement les élèves qui sont "au centre", et les anecdotes sont toujours là pour illustrer leur humanité, leurs qualités, et les bonheurs que l'enseignement procure, même et surtout avec des classes faibles. Ils donnent leur sens au titre de son livre. Comme le héros de Ionesco face à la "rhinocérite", elle "ne capitule pas", elle ne renonce pas à leur apprendre "la nécessité de vivre ensemble" et "l'intelligence du choix de la laïcité" avec l'aide de Voltaire et de quelques autres.

C'est sans doute parce que ce livre porte l'idée que la transmission de savoirs, en l'occurrence des textes littéraires, est indissociable de la personne qui les porte que M.S Lamoureux est "prof" plus que "professeur(e)". Elle est aussi un(e) écrivain(e) qui peut se permettre de bousculer la langue pour dire sa rage, comme le feraient les jeunes qu'elle veut toucher au plus profond.

"Je ne capitule pas", Don Quichotte éditions (Le Seuil), 320 p., 18,90 €

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →