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Education : les administrations contraintes à la transparence par le Défenseur des droits (une analyse juridique d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le lundi 24 août 2015.

Le retard scolaire de la Seine-Saint-Denis constitue un thème classique dans la littérature consacrée à l’Education nationale. Sans prétendre à l’exclusivité, on rappellera par exemple le rapport rendu par le recteur Fortier aux deux ministres de l'époque, Claude Allègre et Ségolène Royale, en 1998, sur les conditions de la réussite scolaire en Seine-Saint-Denis. Il avait provoqué la mise en œuvre d’un "plan pour la réussite scolaire" dans ce département, se traduisant par une dotation spécifique d’un milliard de francs étalée sur quatre ans, et par l’attribution de 3 000 postes supplémentaires. En procédant à une évaluation de l’enseignement dans l’académie de Créteil, un rapport conjoint de l’IGEN et de l’IGAENR soulignait, en 2003, que cela avait permis au département de "rattraper largement son retard", en particulier sur les autres départements de l’académie, mais en 2005, un rapport présenté au Sénat avait mis en évidence les insuffisances d’une approche réalisée en termes trop quantitatifs et rappelé que "l’accroissement des moyens, par attribution de postes, ne peut pas être la solution unique face aux difficultés rencontrées par les élèves".

Devant la persistance et l’aggravation des difficultés, le maire de Saint Denis, rejoint dans son action par des parents d’élèves réunis au sein du collectif du "Ministère des bonnets d’ânes", a eu recours à une démarche de type nouveau, en saisissant le Défenseur des droits, institution créée par la révision constitutionnelle de 2008, appelée à se substituer en particulier à l’ancien Médiateur de la République et chargée, entre autres, de veiller au respect des droits et libertés par les administrations de l’Etat. Les réclamants soulignaient en particulier que les défauts constatés dans le fonctionnement du service public de l’éducation en Seine-Saint--Denis – insuffisance de postes, difficultés à pourvoir ceux-ci-, surreprésentation des enseignants peu expérimentés, fort taux de rotation annuel des enseignants souhaitant quitter l’académie, classes surchargées et faible taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans - portaient atteinte au droit à l’éducation des enfants qui y résident et ne garantissaient pas les exigences du principe d’égalité devant ce droit.

Une démarche d'une ampleur nouvelle

Démarche de type nouveau, car totalement irréductible aux formes de recours traditionnelles utilisées devant les tribunaux. Il n’est pas rare que ceux-ci soient saisis par des parents dénonçant des dysfonctionnements du service : constatation de lacunes dans le taux de couverture des enseignements obligatoires, irrégularités ou défaillances dans la continuité des enseignements, difficulté à obtenir la scolarisation d’un enfant handicapé … Dans de nombreux cas, les juridictions administratives ont fait prévaloir une obligation de résultat et été amenées à mettre en œuvre la responsabilité de l’administration en raison de ces vices de fonctionnement. Mais, dans ces hypothèses, les parents requérants dénonçaient un fait précis, qui les touchait individuellement. On est ici dans une démarche d’une autre ampleur : il s’agissait de dénoncer une situation d’ensemble, concernant une zone géographique large. L’examen du problème posé ne suppose pas simplement la résolution, plus ou moins efficace, d’une situation ponctuelle. L’analyse menée par le Défenseur ne se limite pas à l’examen de la situation individuelle de tel ou tel réclamant ; elle implique quelque part l’appréciation d’une situation d’ensemble, voire d’une politique globale, dont on recherche l’inflexion. D’ailleurs, la démarche des réclamants a été, peu ou prou, concomitante de l’annonce par le ministère d’un plan triennal d’action "9 mesures pour les écoles de Seine-Saint-Denis", dont le Défenseur ne pouvait pas ignorer l’existence dans son rapport.

Les conditions de la saisine du défenseur sont donc originales ; la portée de son rapport mérite aussi quelque attention. Dans son rapport, qui ne constitue vraisemblablement qu’une première étape, le Défenseur ne tranche pas la question qui lui est  posée, même s’il conclut clairement à plusieurs reprises à l’existence de dysfonctionnements et souligne, en particulier dans sa note récapitulative, que "l’ensemble des éléments collectés à ce stade, malgré leur insuffisance, confirment les carences dénoncées par les requérants". Il ne fait pas l’impasse sur les responsabilités incombant aux politiques passées : suppressions de postes et diminution des recrutements de professeurs intervenues avant 2012, incohérence de la politique de recrutement des maîtres contractuels, qui reposaient sur la négation de l’existence même du métier d’enseignant, les offres d’emploi "ne comportant que peu, voire pas, d’exigences en matière de qualifications … ce qui est contraire à l’exigence de qualité de service offert aux usagers ". Et il conclut, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, que "l’argument tiré de la situation socio-économique de la commune et du département concerné, connue de longue date, ne peut être considéré comme justifiant valablement l’insuffisance et la dégradation de la qualité du service observée".

Aucune information précise

Pour l’heure, cependant, il se borne surtout à faire usage des pouvoirs étendus d’investigation que lui accorde la loi. Il relève, à plusieurs reprises, l’insuffisance ou l’imprécision des éléments que le ministère apporte à ses demandes d’information. Aucune information précise n’étant apportée quant aux modalités de prise en charge des classes et aux profils des enseignants recrutés, il demande à nouveau que ces éléments précis lui soient communiqués. Il dénonce le caractère incomplet des informations concernant les procédures de recrutement des enseignants contractuels et réclame à être tenu informé de celles qui sont mises en place, de leurs conditions et de l’état d’avancement des recrutements de contractuels, y compris par la communication de leur CV. Il regrette que seule une partie des données permettant de procéder à une comparaison entre la situation prévalant au niveau de la ville de Saint Denis, du département de la Seine-Saint-Denis, de l’académie de Créteil et de la moyenne nationale lui ait été fournie et demande à nouveau que ces éléments lui soient communiqués.

Ces exigences sont très loin d’être négligeables ; elles impliquent l’obligation pour l’administration de préparer la rentrée dans les zones concernées sous une surveillance étroite de l’extérieur et de donner à son fonctionnement concret une publicité inhabituelle. Les fonctionnaires du rectorat et de l’inspection académique devront en permanence garder à l’esprit qu’on peut leur demander de rendre des comptes en temps réel sur toutes les mesures qu’ils prennent. A ce titre, cet exemple est révélateur d’un des apports essentiels de l’institution du Défenseur : sa contribution à la publicité et à la transparence de l’action administrative.

Une remise en cause du fonctionnement de l'administration

Il reste à attendre le rapport que le Défenseur ne manquera pas de rendre après la rentrée scolaire, l’appréciation qu’il portera sur l’efficacité des dispositifs mis en place au regard de l’objectif de qualité du service et la nature des recommandations que la loi lui permet d’adresser à l’administration : exercice de pouvoirs tout à fait irréductibles à ceux de la juridiction, dans la mesure où il ne s’agira pas ici, comme on l’a déjà souligné, de trouver simplement des solutions à des questions particulières, mais d’engager des politiques de réforme à caractère structural remettant profondément en cause le fonctionnement de l’administration.

André Legrand

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