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Réforme territoriale : "il va y avoir un surcoût lié à des structures que l'on crée pour assurer de la cohérence" (Marie-Christine Steckel-Assouère, interview)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture, Justice, Orientation le lundi 10 août 2015.

MCF membre du groupe de recherche GRALEMarie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences en droit public à l'université de Limoges, est membre du Groupement de recherche sur l'administration locale en Europe (GRALE) de l'université Paris 1-Panthéon Sorbonne, réseau rattaché au CNRS et au sein duquel elle préside, depuis 2012, la commission sur la réforme territoriale. Elle analyse pour ToutEduc les principales décisions prises en conseil des ministres le 31 juillet dernier dans le cadre de la réforme territoriale (lire ici et ici), notamment celles relatives à la nouvelle organisation des académies qui prendront effet à compter du 1er janvier 2016.

ToutEduc : Quel regard portez-vous sur les principales décisions qui ont été prises pour l'éducation nationale, notamment celles de conserver les académies dans leurs configurations actuelles et leurs recteurs, soit 26, tout en nommant un recteur par région ?

Marie-Christine Steckel-Assouère : Il y a un enjeu affiché derrière cette réforme, celui d'avoir une administration publique plus efficace, plus efficience et plus économe. Si les objectifs sont d'être plus efficace et de faire des économies, on se demande où ces dernières vont se faire à court terme. Il y aura 13 recteurs pour chapeauter les régions mais le gouvernement ne fait que regrouper les 26 académies et maintient les responsables. Il n'y a pas de fusion-absorption, donc pas d'économies. À l'exception près que, parmi ces recteurs, un dans chaque académie aura un dédoublement fonctionnel en ayant en plus de son rôle de recteur régional, celui de recteur d'académie. Il aura plus de pouvoirs et celui, très important, d'élaborer un projet interacadémique.

Ce qui saute aussi aux yeux quand on étudie les nouvelles cartes d'académies, c'est que dans quatre cas, la capitale de l'académie ne correspondra pas à celle du chef-lieu : Montpellier sera celle de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées alors que le chef-lieu sera Toulouse, la capitale académique de Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne sera Nancy-Metz alors que Strasbourg est le chef-lieu de région, Besançon sera la capitale académique et Dijon le chef-lieu en Bourgogne-Franche-Comté, et Caen sera capitale académique en Normandie alors que Rouen est désignée comme chef-lieu. Pourquoi ces découplages ? En tout cas pas pour que l'action publique soit plus cohérente et plus efficace.

ToutEduc : De mauvaises décisions selon vous ?

M-C. S-A : Pour maintenir un aménagement équilibré du territoire, c'est peut-être une bonne décision. Si l'on décide par exemple de tout mettre à Toulouse, cela aura des répercussions en termes d'attractivité préjudiciables à Montpellier, en termes de mobilité et donc d'un point de vue économique. Et je pense que l'Éducation nationale a voulu montrer son autonomie par rapport aux autres directions ministérielles. Si c'est une étape transitoire pour acquérir de nouvelles habitudes, cela peut être une bonne chose. Mais le problème c'est qu'en France le transitoire dure souvent... C'est la même chose au niveau des collectivités territoriales puisque la plupart des directions sont maintenues. On crée des structures qui se superposent. Un ajout de couches qui va coûter plus cher qu'autre chose.

ToutEduc : Pas d'économies mais donc des surcoûts ? Par exemple en créant un comité régional académique qui devra réunir tous les recteurs de la région ?

M-C. S-A : Oui, il va y avoir un surcoût lié à des structures que l'on crée pour assurer de la cohérence. On complexifie le système. S'il est vrai qu'il y aura moins d'interlocuteurs [entre services de l'État et services des collectivités, NDLR] puisqu'il y aura 13 recteurs pour représenter 26 académies, on maintient quand même 26 responsables. Ce qui revient à dire que l'on crée juste des chefs au-dessus, des "grands superviseurs". Surcoût parce que l'on peut imaginer que l'on va créer une indemnité plus importante pour ces recteurs régionaux. Parce qu'ils auront aussi certainement besoin de davantage de personnels pour les aider dans leurs missions. Les comités qui vont être mis en place sont également de nouvelles structures qui vont coûter cher car elles vont impliquer davantage de réunions et de déplacements, des frais qui n'existaient pas auparavant. Et dans les grandes régions, les distances sont importantes. Que gagne-t-on si on maintient à l'identique et si on crée en plus d'autres structures ? Il y aura aussi des coûts liés à la formation des personnels si l'État veut spécialiser par métiers ses directions régionales, pour éviter d'imposer à ces derniers une mobilité.

ToutEduc : Comment expliquez-vous ces décisions ?

M-C. S-A : Pour moi, cette réforme des administrations est nécessaire. La France est en retard sur nombre de pays de l'Union européenne. La plupart des pays ont mis en place ce que l'on appelle le "new public management", la nouvelle gestion publique qui repose sur le tryptique "efficacité-efficience-économies". La France a commencé à mettre en œuvre cette logique qui se rapproche des règles de management de l'entreprise privée mais elle se révèle contradictoire avec les règles de services de proximité et d'égal accès aux services publics. Derrière cette situation, il y a aussi des hommes et des femmes qui exercent des métiers et pour qui se posera la question de la mobilité s'il y a fusion des académies. Le rapport de l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la recherche, ici) d'avril 2015 évaluait à plus de 10 000 le nombre d'agents qui seraient concernés par cette mobilité si cette fusion avait lieu. Et si on les fait se déplacer, il y aura aussi des répercussions économiques. En tant qu'usager soucieux d'un aménagement du territoire équilibré, ces solutions permettent de concilier tout cela. Mais en tant qu'universitaire, je trouve que ces décisions ne sont pas cohérentes avec l'objectif affiché de faire des économies d'échelle. Le gouvernement fait face aussi à une grosse contrainte, l'échéance des élections régionales en fin d'année alors que l'Éducation nationale contient un électorat de gauche important. Et on a certainement peur des résistances. Mais si on avait voulu être plus efficace, il aurait fallu fusionner.

ToutEduc : Comment aurait-on pu privilégier un aménagement équilibré du territoire et maintenir du service de proximité en fusionnant ?

M-C. S.A : Plutôt que maintenir des services avec un "grand chef", on aurait pu par exemple décider que les chefs d'établissements aient plus de pouvoir. Je pense néanmoins que c'est un choix transitoire. Mais le risque est que ce transitoire dure !

ToutEduc : Que pensez-vous par ailleurs de la volonté de l'État de spécialiser par métiers les futures directions régionales de l'État ?

M-C. S-A : Je pense que c'est une réforme souhaitable même si cela va être long et compliqué. Nous sommes loin de l'époque où l'on gardait toute sa vie le même métier. Humainement, les perspectives sont intéressantes. Permettre à des gens de changer de métier va être enrichissant pour les personnels.

ToutEduc : Quels sont les travaux en cours ou à venir du GRALE qui permettront d'avancer encore sur ces questions ?

M-C. S-A : L'avantage du réseau est qu'il regroupe des universitaires aux disciplines très diverses, des juristes, des politistes, des économistes, etc., ce qui permet de poser un regard complet sur ces questions. De plus, nous nous appuyons beaucoup sur des recherches de terrain, ce qui ne limite pas nos travaux à une vision que l'on pourrait qualifier de théoricienne, et on anticipe souvent sur les réformes. Là nous avons un gros projet qui va démarrer en septembre pour analyser les répercussions de la réforme sur les services déconcentrés. Et les 4 et 5 décembre 2015, nous organisons un colloque à l'université de Limoges, avec l'Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques (OMIJ) et l'Assemblée des communautés de France (AdCF), sur le thème "Recomposition territoriale : la décentralisation entre enjeux et obstacles" (ici).

Propos recueillis par Camille Pons

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