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Accueil de la petite enfance : il ne s'agit plus de garder, mais d'investir dans leur éducation (colloque Terra Nova)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le mercredi 14 février 2018.

Pour Brigitte Bourguignon, il est temps d' "investir dans la petite enfance", et la réflexion doit porter également sur la scolarisation des enfants de 2 et 3 ans, peut-être même 4 ans. La députée (LREM), présidente de la commission des affaires sociales, s'exprimait en clôture du colloque organisé par Terra Nova à l'Assemblée nationale, hier 13 février, à l'occasion de la publication de son rapport "Investissons dans la petite enfance, l'égalité des chances se joue avant la maternelle". 

Florent de Bodman, responsable du programme "Parler Bambin", et co-auteur du rapport avec Marc Gurgand (Ecole d'économie de Paris), Romain Dugravier (pédopsychiatre), Clément de Chaisemartin (économiste, université de Santa-Barbara, Californie), met l'accent sur l'importance de cet investissement puisque les expérimentations menées aux USA ont prouvé qu'un dollar investi permet d'en éviter trois de dépenses sociales par la suite. Mais en France, les crèches sont "peu ouvertes aux familles modestes" : "un enfant né dans une famille pauvre à 5 % de chances d'être accueilli en crèche, contre 22 % pour les enfants des familles aisées." Terra Nova fait dix recommandations, notamment créer 40 000 places de crèches dans les départements ruraux et les quartiers politique de la ville qui bénéficieraient d'une aide supplémentaire de façon à "garantir aux communes qui les financent un reste-à-charge quasi-nul", "obliger les communes à une transparence complète sur les critères d’attribution des places en crèches" et "donner plus de poids aux critères sociaux", "faire progresser la qualité pédagogique en crèche", "valoriser les crèches comme un lieu de soutien aux parents", "développer le rôle de soutien aux parents des PMI", "encourager la collaboration entre les professionnels de périnatalité" (dans le prolongement du rapport Giampino), développer les recherches-actions centrées sur "ce qui fonctionne bien" dans le domaine de la petite enfance.

Un accueil "universel" ?

Olivier Noblecourt prend bien soin de souligner que la réflexion sur "la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes", qu'il conduit en tant que délégué interministériel, est "en cours". Il évoque deux inflexions stratégiques, la priorité donnée aux enfants et aux jeunes dans la lutte contre la reproduction des inégalités et l'accent mis sur la prévention via l'investissement social. A titre personnel et sans préjuger des conclusions qui seront publiées à la mi-mars, il évoque quatre objectifs : tout faire pour donner aux différents modes d'accueil de la petite enfance un "caractère universel", ce qui devrait être inscrit dans la prochaine COG (convention d'objectifs et de gestion) de la CNAF (la caisse nationale d'allocations familiales), l'utilisation de la PSU (prestation de service unique) et des contrats "enfance jeunesse" pour développer la mixité sociale dans les crèches, mettre l'accent sur la qualité, avec des référentiels inspirés du rapport Giampino (voir ToutEduc, "les crèches ne doivent pas ressembler aux écoles maternelles", ici) et en travaillant sur la continuité avec l'école maternelle, enfin "développer la logique de la preuve" de façon à "dégager des consensus" pour convaincre et éclairer les choix des professionnels.

Marie de Saint-Laurent, directrice du réseau de crèches associatives "Auteuil Petite enfance", souligne toutefois les grandes difficultés dans lesquelles se trouvent les personnels des crèches confrontés à des parents en situation de grande précarité matérielle, mais aussi parfois personnelle, du fait de leur toxicomanie ou de troubles psychiatriques. Elle cite une directrice : "les mairies nous envoient les familles à problèmes." Dès lors, leur métier n'est plus seulement l'accueil et les soins aux enfants, mais aussi le soutien à la parentalité. Interrogée par ToutEduc sur la capacité que peuvent avoir les assistantes maternelles d'effectuer ce même travail, la responsable du réseau reconnaît que "la qualité doit être partout", mais elle évoque surtout la difficulté pour les publics précarisés d'être "employeurs" d'assistantes maternelles. Olivier Noblecourt souligne la nécessité "d'élever le niveau de qualification" des assistantes maternelles, mais aussi la difficulté pour les collectivités d'investir dans la formation d'un public très "volatil", qui change facilement d'orientation professionnelle.

Les critères d'attribution

La discussion avec la salle met aussi en avant la difficulté pour les personnels des crèches d'accueillir des parents en difficulté, mais aussi pour ces parents de confier leurs enfants à une crèche, leur précarité ne leur donnant pas le sentiment de stabilité suffisant pour s'inscrire sur une liste d'attente là où les places sont rares, ou même de penser qu'ils y ont droit là où les structures peinent à se remplir, dans les quartiers en difficulté. L'essentiel des débats porte alors sur les critères d'attribution des places de crèches, souvent réservées aux parents qui travaillent tous les deux, ce qui élimine bien des familles, et au sentiment d'opacité qui prévaut souvent, alors qu'une place a un coût de 15 000€ par an, financé à 80 % par de l'argent public, et que la transparence s'impose.

Olivier Noblecourt, revenant sur son expérience d'élu à Grenoble, dit qu'il a réussi à avoir un pourcentage d'enfants accueillis de familles pauvres équivalent à celui de la population en difficulté dans la ville, mais il reconnaît qu'il lui a fallu trois ans pour y parvenir, devant convaincre les familles, mais aussi les structures d'accepter des accueils ponctuels. Il faut encore que les commissions d'attribution passent d'une logique d'accueil des enfants dont les parents travaillent à une logique d'investissement dans l'éducation des tout petits.

Coût pour les collectivités et "Parler bambin"

Les débats portent sur deux autres points. Le "reste à charge" pour les communes des places de crèches est lourd, et certaines se désengagent, rendent des places ou limitent les horaires; même si le phénomène est marginal, il inquiète plusieurs participants. Le contenu éducatif qui peut être proposé dans les crèches fait également question. Le représentant du syndicat des médecins de PMI mentionne l'étude publiée par le CREN (Centre de recherche en éducation de Nantes) et remettant en cause les bénéfices du programme "Parler bambin" et soulignant "l’écart entre la satisfaction des professionnelles impliquées et l’absence d’impact repérable sur le développement des compétences langagières des enfants qui en ont bénéficié". Olivier Noblecourt, qui en est un défenseur, reconnaît qu'il n'y a pas "de recette magique" et que les acquis de la science supposent leur appropriation par les professionnels.

Le rapport de Terra Nova ici

Le rapport sur Parler bambin ici

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