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Comment lutter contre la pauvreté à l'école (Table ronde - Assemblée nationale)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Justice, Orientation le jeudi 08 février 2018.

En France, 6e puissance mondiale, 1 enfant sur 10 vit dans une situation de grande pauvreté, 3 millions vivent dans une famille sous le seuil de pauvreté, dont 1,2 million dans la grande pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 500 euros par mois, 7,7 % des enfants sont concernés par le phénomène de sous-alimentation, 48 % des décrocheurs sont des enfants d'ouvriers contre seulement 5 % des enfants de cadres, 84 % des jeunes en SEGPA, 76 % de ceux en ULIS, 58 % des élèves en lycées professionnels sont issus de milieux défavorisés, une personne qui vit durablement en situation de grande pauvreté a 25 ans d'espérance de vie de moins que les autres... Tels sont quelques-uns des constats qui ont été égrenés à l'occasion d'une table ronde consacrée au thème de la pauvreté à l'école, organisée par les commissions des affaires culturelles et de l'éducation et des affaires sociales, hier mercredi 7 février 2018. Cette table ronde visait, face à cette situation "insupportable" et alors que "les enseignants et équipes éducatives sont en première ligne pour l'affronter", à imaginer des "solutions concrètes et des actions partagées" pour permettre à ces enfants de réussir à l'école, expliquait en introduction le député et président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Bruno Studer (LREM).

La plupart des recommandations faites à cette occasion, instaurer une gratuité de la cantine, interdire l'expulsion des familles dont les enfants sont scolarisés, en finir avec la multiplicité des documents à fournir pour s'inscrire à l'école ou accéder à des prestations, développer des soins gratuits pour les enfants, faire que les fonds sociaux ne soient plus une variable d'ajustement... s'inscrivent dans les deux grandes actions que l'un des trois "grands témoins" de cette table ronde, Jean-Paul Delahaye, estime nécessaire de mener pour lutter contre cette pauvreté et permettre réellement "l'égalité des chances" : l'auteur du rapport "Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous" demande que soient menées des actions sociales et de santé, mais aussi qu'on travaille à une organisation pédagogique qui ne soit "pas essentiellement concentrée sur le tri et la sélection des meilleurs".

A la maternelle jusqu'à l'âge de 8 ans

Plusieurs idées ont été avancées d'abord pour pallier le problème de la médecine scolaire. "À l'entrée à la maternelle, j'ai eu une visite médicale scolaire, à l'entrée au primaire, j'ai eu une visite médicale scolaire, à l'entrée au collège, j'ai eu une visite médicale scolaire", a martelé Véronique Decker, invitée aussi en tant que "grand témoin", au titre de sa longue expérience en zone défavorisée, 18 ans dans la même école qu'elle dirige actuellement, en Seine-Saint-Denis, à Bobigny. Quartier qui ne compte aujourd'hui qu'un demi poste de médecin scolaire qui couvre 3 lycées, 4 collèges de 600 élèves chacun et 28 écoles. Alors qu' "évidemment il n'y a plus de visites médicales sauf en cas d'urgence", il faut, selon elle, proposer "des soins gratuits" à ces enfants. Or, par exemple, aucun dentiste libéral ne veut les prendre, alors que nombre d'entre eux sont "édentés", et ce, avant l'âge de 6 ans du fait du "syndrome du bonbon". À Bobigny, a-t-elle encore indiqué, un enfant doit attendre deux ans pour être pris en charge par un orthophoniste. De même, plus de 100 enfants sont actuellement en attente d'une place en IME (Institut médico-éducatif) et certains restent à la maternelle jusqu'à l'âge de 8 ans.

Celle qui s'est présentée comme "juste experte d'un territoire" a également pointé du doigt des aberrations administratives qui expliquent aujourd'hui, selon elle, cette "grande précarité structurante". En tête d'entre elles, le fait que "tout le système français repose sur le lieu d'habitation". Pour voir une assistante sociale, il faut une adresse, pour demander une bourse au collège, il faut avoir fait une déclaration d'impôt - difficile "d'expliquer cela à une mère qui mendie" -, les mairies refusent l'inscription d'enfants dans les écoles si certains papiers jugés "essentiels" ne peuvent être présentés... Elle cite le cas de deux fillettes qui n'ont pu être scolariée qu'au bout d'un an de démarches : une enfant récupérée par sa grand-mère en août 2016 et qui n'est à nouveau scolarisée que depuis le 8 janvier 2018, après que la mairie a refusé le document temporaire du juge des affaires familiales et exigé un jugement d'affectation de garde, et celui d'une autre, venue de l'étranger en février 2017 pour être opérée d'un pied bot et accueillie par son oncle, scolarisée également un an après parce que celui-ci ne disposait pas des documents "nécessaires" exigées par les mairies.

Une bourse de deux euros par jour

Jean-Paul Delahaye invite de son côté les députés "à veiller comme le lait sur le feu" à ce que les fonds sociaux ne soient plus une "variable d'ajustement budgétaire". Ces derniers, a-t-il rappelé, étaient passés de 72 à 32 millions d'euros entre 2001 et 2011, et ce, "dans l'indifférence générale". Il souligne le "progrès significatif" opéré, dès l'ancienne mandature, avec l'augmentation, à la suite de son rapport, de 25 % du montant des bourses au collège, qu'il juge encore insuffisante. De l'ordre de 450 euros par an pour la tranche maximale, elle n'était que de 360 euros par an en 2015, "soit environ 2 euros par jour (sur 180 jours d'école), ce qui ne permettait même pas de se payer la cantine".

Enfin, pour faire face au problème du non-recours aux prestations sociales qui concernent, selon une députée, plus de 35 % des personnes éligibles, Marie Aleth Grard, vice présidente d'ATD Quart Monde et membre du CESE, estime nécessaire de penser ces aides "avec les personnes à qui elles sont destinées" et encourage à ce titre à aller regarder un dossier de RSA, afin de constater son caractère "trop intrusif". Jean-Paul Delahaye a rappelé aussi, concernant les demandes de bourses au collège, qu'un travail avait été engagé, depuis son rapport, sous le précédent ministère notamment pour simplifier les dossiers et reculer la date des dépôts. Son souhait ? "Qu'il n'y ait plus de date du tout". 

Légiférer pour rendre possible la gratuité de la restauration scolaire partout en France

Beaucoup ont aussi souligné les problèmes de malnutrition et insisté sur l'idée d'instaurer la gratuité de la restauration scolaire afin d'en faire "un droit pour tous". Selon un député, en 2017, plus de 3 millions de personnes ont bénéficié de l'aide alimentaire, soit une augmentation de 25 % par rapport à 2008. Une autre, Annie Vidal (LREM), souligne la fréquentation moindre des cantines en REP+, des coûts oscillant entre 6 et 10 euros par repas et une participation demandée aux parents comprise entre 40 et 60 %.

Un député indique qu'une proposition de loi va être déposée en vue d'instaurer un "principe de progressivité du coût partout" et "la gratuité au moins pour les familles de la première tranche", donc celles qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Oui pour des normes nationales d'encadrement des coûts pour les cantines et l'instauration de la gratuité, répond Véronique Decker, mais à condition d'établir des normes d'encadrement. Dans la même logique, des députés ont évoqué l'idée de systématiser un petit-déjeuner dans tous les établissements.

Interdire l'expulsion des familles dont les enfants sont inscrits à l'école ?

A été également soulignée la problématique du logement. Rien qu'en Île-de-France, 15 000 enfants seraient hébergés en centres d'hébergements d'urgence et en hôtels sociaux (ce qui pose aussi des problèmes de transports, en termes de distance et de coûts pour les familles) : 50 % ont moins de trois ans, 11 % ne sont pas scolarisés. Marie-George Buffet (GDR) plaide pour une loi qui interdirait l'expulsion de familles dont les enfants sont inscrits à l'école. Selon la première, il y aurait eu 24 000 expulsions en 2016, un "chiffre record", expulsions qui vont à nouveau "recommencer".

En matière d'actions à mener au niveau de l'organisation pédagogique à l'école, Marie Aleth Grard a rappelé l'une des préconisations qui avait été faite dans l'avis du CESE dont elle était rapporteure, "Une école de la réussite pour tous" : renforcer la scolarisation des 2 ans. Véronique Decker souligne les bons résultats qui avaient été observés dans sa commune alors qu'en 1999, 38 % des enfants de moins de 3 ans étaient scolarisés à Bobigny, en majorité les plus défavorisés, "les autres allant en crèche". L'étude des résultats au CE2 avait montré "une égalité de résultats entre les scolarisés à moins de 3 ans et ceux qui étaient allés en crèche" et, en revanche, "un vrai différentiel avec ceux qui n'avaient faits ni l'un ni l'autre". Elle est irritée à l'idée d'une énième expérimentation sur le sujet alors que celles-ci se font et se refont au fur et à mesure que les rapport sont "enterrés".

Travailler à rapprocher enseignants et parents pour résoudre les "conflits de loyauté"

Autre recommandation également faite il y a deux ans par le CESE et réitérée par Marie Aleth Grard, former les enseignants "à la connaissance des différents milieux sociaux" pour faire face à une "évolution majeure : ces derniers n'habitent plus dans le quartier où ils enseignent". Formations qui permettraient de faciliter les échanges avec les parents et un travail pour permettre aux parents de parler "à égale dignité" avec les enseignants. Cela permettrait aussi de résoudre les "conflits de loyauté" auxquels sont confrontés ces enfants : "la peur de trahir leur famille", alors qu'ils entendent des langages différents à l'école et chez eux et font face à des habitudes différentes, les "empêche de rentrer dans les apprentissages", constate en effet la représentante d'ATD Quart Monde.

Enfin, pour contourner les stratégies d'évitement et favoriser la mixité sociale, dont Jean-Paul Delahaye estime qu'elle ne nuit pas, au vu des études menées sur cette question, à ceux qui réussissent, George Pau-Langevin suggère de son côté de prendre exemple sur des initiatives telles que le développement d'écoles-orchestres ou encore celle instaurée par un établissement en Bretagne où toute la pédagogie est faite en anglais, modèles qui peuvent "inciter les familles 'bobos' à inscrire leurs enfants" dans ces établissements.

Les trois invités se sont accordés par ailleurs pour saluer les mesures "CP dédoublés" et "devoirs faits". En revanche, pour Jean-Paul Delahaye, enlever une matinée de classe peut, selon lui, contribuer à réduire l'ensemble des efforts à néant.

Camille Pons

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