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La morale laïque : une démarche philosophique et politique (V. Peillon)

Paru dans Scolaire le mercredi 19 juin 2013.
Mots clés : morale laïque, Peillon, philosophie

"Formé par une génération de philosophes engagés, je souhaite que les producteurs de savoir (historiens, philosophes, etc) redeviennent des acteurs éminents de l’Education nationale". Parfois critiqué par ses pairs pour sa démarche "de professeur de philosophie" et son manque de sens politique, Vincent Peillon a profité de la "Fête de la philo" pour revendiquer la pertinence de son parcours.

A l’occasion d’une table ronde sur "l’enseignement de la morale civique", lundi 17 juin, le ministre a salué l’exigence de pensée des philosophes et réaffirmé leur complémentarité avec les acteurs politiques traditionnels. "Il ne faut pas déprécier les philosophes ni mépriser les politiques : la question de l’articulation de la morale et de la vie politique est essentielle à toute démocratie" a-t-il affirmé, en référence à l’un des sujets de l’épreuve de philosophie du baccalauréat, "peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ?" (lire ToutEduc ici).

Exercice de la raison

Interrogé par les journalistes, le ministre a proposé des pistes de réfléxion sur ce sujet. Elles dessinent les contours de "l'enseignement moral et civique" qui devrait apparaître dans les programmes à la rentrée 2015 (lire ToutEduc ici). "La morale est avant tout politique : les valeurs morales sont d’abord définies par notre rapport avec ceux qui nous entourent", a affirmé ce spécialiste de Merleau-Ponty. "Mais il faut aussi savoir penser en-dehors de son temps, s’extraire du règne de l’opinion pour déterminer des vérités plus fondamentales", a-t-il nuancé.

L'enseignement moral aura-t-il pour objectif d’enseigner ces "vérités" aux élèves ? Non, a répondu Vincent Peillon, qui s'était déjà défendu de vouloir enseigner une "morale d'Etat" (lire ToutEduc ici). Loin de tout catéchisme, cet enseignement devrait plutôt encourager la réflexion des élèves. "Nous devons faire comprendre aux élèves qu’exercer sa raison peut procurer le plus grand plaisir et permettre de mieux construire sa vie."

De la même manière qu'il avait salué les valeurs de l'économie sociale et solidaire le 13 juin dernier (lire ToutEduc ici), le ministre de l'Education Nationale a rappelé que les termes "d’éducation civique" sont des mots lourds de sens : ils "véhiculent des valeurs et des moyens de concevoir l’enseignement".

Une morale de procédure, pas de principes

"Education civique", "enseignement moral", "morale laïque", "morale partagée" voire "éthique publique"… au-delà de son contenu, la terminologie même du futur enseignement de la morale à l’école prête à débat. Si les mots ont du sens, de quoi cette indétermination est-elle le nom ? s’est interrogé Alain Renaut, professeur de philosophie politique, au cours de la table ronde à laquelle partitipait V. Peillon. Nos hésitations terminologiques refléteraient d’une fragilisation des repères communs. "Les normes partagées sont désormais perçues comme répressives, incompatiles avec la sensibilité individualiste." Des repères plus communautaires se sont substitués aux principes communs. En particulier, "les balises religieuses ont acquis une nouvelle forme de présence". Pour favoriser la communication entre ces différents groupes, il est important de réaffirmer l’existence de valeurs communes. "C’est à l’Ecole de faire en sorte que les sociétés pluralistes demeurent des espaces de coexistence pacifique".

Il est donc logique que la laïcité ait joué "un rôle de cadrage" dans le projet de Vincent Peillon. Pour autant, A. Renaut met en garde contre "une vision confuse de la laïcité" qui voudrait appliquer aux citoyens le principe de neutralité imposé aux institutions. La "morale laïque" ne peut pas prétendre enseigner aux élèves des principes de vie déterminés a priori, faute de quoi elle risque de "neutraliser l’espace public". Le philosophe rejoint sur ce point la position de Pierre Bergounioux, l'un des rédacteurs du rapport sur l'enseignement de la morale laïque remis à Vincent Peillon (lire ToutEduc ici).

Selon Alain Renaut, à qui V. Peillon a admis "devoir beaucoup", l’apprentissage de la laïcité est un "apprentissage de la diversité religieuse, dans les limites d’un Etat laïque". La morale, elle, "doit se concevoir comme une méthode où l’on apprend à construire des raisons communes à travers des études de cas". Dans une démocratie, la morale commune correspond à une morale de procédures et non de principes. "La morale laïque ne peut pas avoir d’autre forme que celle-ci."

Réhabiliter l'art oratoire

"Il s’agit d’entrer dans la morale de manière à la fois proche et distanciée", confirme Pierre-Henri Tavaillot, président du Collège de philosophie. Cet ancien membre du Conseil national des programmes propose deux types d’exercices concrets pour "concilier l’esprit libéral de notre éducation, fondée sur le respect des conceptions individuelles du Bien, et la volonté de faire lien". Une "réflexion sur les lieux de mémoire" permettrait de montrer aux élèves que certains événements font partie de notre identité, tout en conservant un recul critique à leur égard.

P.-H. Travoillot suggère aussi de réhabiliter l’enseignement de l’art oratoire. Les joutes verbales incitent les élèves à défendre des positions qu’ils ne partagent pas forcément. Cette disputatio correspondrait à l’esprit de la laïcité, qui "demande de sortir de ses convictions, quitte à y revenir ensuite".

Ces réflexions seront sans doute discutées au sein du Conseil supérieur des programmes, chargé de définir le contenu de la morale laïque. "Je souhaite que les réflexions sur la morale laïque se poursuivent", a réaffirmé V. Peillon, qui s’est félicité des débats que sa proposition a provoqués. Cette "réflexion" devra cependant aboutir rapidement si le ministre veut que l’enseignement de la morale intègre les programmes scolaires dès la rentrée 2015, comme il le souhaite.

NB. L'association Education & devenir a récemment consacré une journée de réfléxion à la question de la morale laïque (lire ToutEduc ici).

Raphaël Groulez

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