Une synthèse dérangeante des utopies pour l'Ecole (Regards croisés sur l'économie)
Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 04 mars 2013.
"Il était de bon ton de dire que tout se jouait dès le plus jeune âge et que la priorité devait être donnée à l'école primaire, voire aux politiques en direction de la petite enfance. On se rend compte aujourd'hui que ce n'est que partiellement vrai." Eric Maurin (EHESS) signe l'introduction d'un ensemble de synthèses des recherches en économie de l'éducation, cette notion étant prise au sens large, et cette formule conclusive en donne le ton, surtout quand il ajoute que "de nombreuses compétences non cognitives (...) continuent à s'acquérir à l'adolescence et sont essentielles pour conjurer l'échec scolaire". C'est ainsi que Stanislas Dehaene (Collège de France) s'agace de voir que "les classes s'orientent de plus en plus vers le virtuel, alors qu'il faudrait au contraire qu'elles évoluent vers plus de tangible". Pour ce spécialiste de la psychologie cognitive, pour apprendre à lire et à écrire, "il ne suffit pas d'apprendre à taper sur un clavier. L'essentiel dans les petites classes est d'entraîner l'attention exécutive, par exemple en entraînant les enfants à marcher sur une ligne ou à porter un verre d'eau sur un plateau."
Souvent dérangeantes, les contributions montrent notamment "qu'il n'y a pas eu de véritables perdants à la démocratisation de l'enseignement scolaire" (Antoine Prost, Paris-I). Philippe Zamora (CREST) se demande "à quoi tient l'engouement des décideurs politiques pour l'apprentissage" alors qu'il "opère une sélection à l'entrée qui favorise précisément les jeunes qui sont déjà les plus performants dans le système éducatif classique". Corinne Prost s'interroge sur la pertinence des politiques d'éducation prioritaire, alors que les enseignants "préfèrent les établissements dont les élèves proviennent en grande partie de milieux favorisés". Peut-on accroître la mixité sociale à l'Ecole ? Claude Lelièvre (Paris-V) raconte d'ailleurs comment Lionel Jospin a renoncé à créer "un corps spécifique de professeurs de collège". Gabrielle Fack (Barcelone) et Julien Grenet (CNRS) voient toutes les limites des mécanismes de régulation du choix scolaire, mais aussi leur intérêt.
Marc Gurgand (CNRS) voudrait convaincre le monde enseignant "de l'importance des démarches d'évaluation rigoureuses", fondées notamment sur les "expériences contrôlées" par la présence d'un échantillon témoin, et il rappelle qu'il a démontré ainsi l'intérêt des "mallettes des parents", mais Robert Gary-Bobo (ENSAE) et Jean-Marc Robin (Sciences-Po) s'interrogent sur la possibilité même de constituer un tel échantillon. Nina Guyon (Sciences-Po) montre également la difficulté d'avoir des points de comparaison pertinents, mais n'en plaide pas moins pour la mixité sociale : "avoir plus de camarades d'un milieu favorisé a un effet plutôt faible sur les résultats scolaires des élèves [moins favorisés], mais améliore nettement leur comportement" tandis que les élèves favorisés "ne semblent pas affectés négativement par la présence d'élèves du bas de la distribution".
La parution de ce volume avait été l'occasion d'une soirée-débat organisée par Terra Nova (Voir ToutEduc ici)
"L'Ecole, une utopie à reconstruire", La Découverte (Regards croisés sur l'économie), 264 p., 16 €