La pédagogie Freinet, un sujet d'actualité (France-Culture)
Paru dans Scolaire le mardi 08 janvier 2013.
Les débats sur la refondation de l'Ecole vont-ils remettre au goût du jour la pédagogie Freinet ? C'est ce que laissait penser l'émission La Fabrique de l'histoire, qui revenait ce 8 janvier sur le parcours de Célestin Freinet et les caractéristiques de sa pédagogie "en 1958". Si l'émission se concentrait sur cette époque, plusieurs engagements de Freinet restent d'actualité et pourraient s'intégrer aux débats actuels sur la refondation du système scolaire et ses rapports avec son environnement.
Pour Freinet, "l'intelligence ne saurait être séparée de la vie et du travail". Lors d'une "causerie" donnée en 1958, il regrette que l'école "ne se préoccupe pas de savoir à quoi les apprentissages vont servir" et s'attache plutôt "à développer l'intelligence en dehors de la société, en dehors de la vie". La promotion d'une intelligence purement "intellectuelle" est doublement pénalisante pour les élèves, selon Freinet. Sur le plan économique, les élèves sont inadaptés au monde de l'entreprise. Elle "n'a pas préparé les élèves intelligents à entrer dans le monde de la production" alors même que "les chefs d'industrie rétablissent la primauté de l'intelligence" sur les tâches répétitives.
En favorisant seulement les travaux intellectuels, l'école échoue aussi sur le plan culturel. "L'enfant ne se rend même pas compte que ce qu'on lui enseigne puisse lui servir en dehors de l'école, pour sa propre culture ou son futur métier." Cette forme d'éducation serait donc "la négation complète de la culture", qui se doit d'être "intégrée à la vie".
Ne pas couper l'enfant en tranches
En multipliant les terrains d'investigation sans se limiter à la salle de classe (une balade en forêt, le démontage d'une pile peuvent ainsi devenir la source d'expériences intéressantes), la pédagogie Freinet s'engage aussi sur la question de l'articulation des temps scolaire et périscolaire, pour prendre la terminologie actuelle. Diversifier les moyens d'aborder une discipline revient à donner à chaque élève les moyens de réussir ce qu'on lui demande. Les activités non scolaires permettent ainsi de mettre en place une "préparation polyvalente" susceptible de prendre en considération "l'affectivité" de tous. "L'individu n'est pas que connaissances, que tâches, mais il est aussi et toujours une personne sensible", affirme Freinet.
"Freinet affirme qu'on ne peut pas couper l'enfant en tranches", confirme le pédagogue Philippe Meirieu, interrogé par France-Culture. "C'est une personne une et indivisible. Il n'y a pas d'un côté le cognitif, et de l'autre le corps." L'unité de l'élève est l'un des chevaux de bataille des associations d'éducation popuaire et des mouvements de jeunesse, qui affirment que les activités scolaires et périscolaires doivent êtres pensées dans le même mouvvement. "Si on coupe un arbre en tranches, et qu'on remet les tranches les unes sur les autres, on n'a plus d'arbre, seulement du bois", reprend Michel Barré, ancien instituteur du mouvement Freinet.
Selon Philippe Meirieu, en 1958, "il y avait une certaine porosité entre la sphère de l'école et la sphère des loisirs". Depuis, selon l''auteur d'Ecole : demandez le programme ! (ESF Editeurs), "si on avait davantage appliqué la pédagogie Freinet, on aurait pu transformer la démocratisation de l'accès en démocratisation de la réussite."
Corps enseignant
Autre aspect de l'action de Célestin Freinet mis en avant dans cette émission, sa participation à la création du "corps enseignant" en permettant aux professeurs de mettre en commun leurs expériences . "Avant, les instituteurs travaillaient seuls", explique-t-il . "On échouait, parce qu'on ne mettait pas en commun les échecs et les réussites." La mise en place de "coopératives d'enseignants" a permis de lever les méfiances et de "verser dans le creuset coopératif toutes les recherches, toutes les trouvailles, les échecs et les réussites". Selon P. Meirieu, l'enseignant est ainsi devenu un professionnel solidaire qui mutualise ses recherches. Il pouvait être considéré comme "un inventeur, un intellectuel".
Freinet souhaitait aussi transformer le rapport de l'enseignant à ses élèves. Avec lui, on bascule "d'une pédagogie de la motivation à une pédagogie de la mobilisation", comme le formule P. Meirieu. Plutôt que des cours magistraux et des exercices mécaniques, il défend une classe où le maître "n'est qu'un assistant du travail des élèves". Il leur donne avant tout des choses à faire, "et fait de ces tâches, de ce travail, une composante essentielle". Cette philosophie de l'éducation n'entre-t-elle pas en résonance avec la "révolution copernicienne" que le numérique viendrait introduire dans les classes ?
Vous pouvez écouter l''émission La Fabrique de l'histoire L'histoire de l'éducation : 4 émissions sur France Culture).
Raphaël Groulez