Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Afrique du Sud: la logique de l'apartheid gangrène toujours le système éducatif (Jonathan Jansen)

Paru dans Scolaire le mercredi 05 décembre 2012.

"Si nous ne freinons pas la chute de notre système scolaire, la démocratie sud-africaine implosera dans les 10 ou 15 années qui viennent." A l'occasion d'un discoursprononcé en mémoire de la députée progressiste anti-apartheid Hélène Suzman, Jonathan Jansens'est inquiété du recul actuel de la démocratie dans son pays. Selon le vice-président de l'Académie des sciences d'Afrique du Sud, la pauvreté grandissante et le climat de violence qui règnent actuellement dans certaines régions sont avant tout dues à "un système scolaire désastreux". Inégalitaire, il est à l'origine d'un "effritement des valeurs" qui "fragilise les fondations" de la société. Résoudre ce problème est donc "un enjeu pour la démocratie", selon le professeur en sciences de l'Education.

Héritage raciste

Selon un rapport récent du Forum Mondial de l'Economie, les écoles primaires sudafricaines souffrent de plusieurs difficultés: en termes d'enseignement, elles figurent à la 132e place d'un classement comportant 144 pays. Elles sont 115e en termes d'accessibilité démocratique. Selon J. Jansen, ces difficultés résultent de l'exclusion des élèves noirs du système scolaire. Malgré la fin du régime de l'apartheid, "rien n'a changé ces vingt dernières années" à cause de la combinaison "d'un héritage raciste" et de "lmauvaises décisions"

L'enseignement des mathématiques témoignerait de l'échec du système scolaire sud-africain. Nommé à la tête d'un comité ministériel chargé de l'évaluation des enseignants, Jonathan Jansen affirme que cette matière est mal enseignée car "les professeurs n'ont pas bénéficié d'une scolarité et d'une formation suffisantes". Les réformes entreprises ont été "désastreuses": le parcours scolaire des élèves, trop complexe, freine leur progression continue. L'apprentissage est réduit à "du gavage" en période d'examens. Plus grave, affirme le vice-président de l'Académie des sciences: faute de formation suffisante des enseignants, l' apprentissage des mathématiques est réduit à "la forme la moins exigeante de raisonnement", le "lexique mathématique" (literacy mathematics).

Cet enseignement, proche de la logique élémentaire, propose aux élèves de répondre à des questions concrètes assez éloignées du raisonnement scientifique. Ils doivent par exemple déterminer si l'assertion "En Afrique du Sud, Noël tombe le 25 décembre" est "certaine, probable ou impossible".

Abandon

Pour Jansen, cet enseignement témoigne d'un "abandon" de l'institution scolaire, qui a préféré "inventer un autre type de mathématiques" au lieu d'en améliorer l'apprentissage. Il permet de gonfler artificiellement les résultats des élèves, les établissements comme les responsables politiques étant placés "sous la pression des résultats, maintenant largement diffusés".

Les élèves maintenus à un faible niveau finissent par éprouver un véritable "rejet" pour les mathématiques classiques. Le nombre d'étudiants accédant à des études poussées en mathématiques s'est ainsi réduit de près de 33 % entre 2008 et 2011.

L'existence de deux "types" de mathématiques contribue à renforcer les inégalités sociales et raciales. Selon Jansen, les élèves de la classe moyennee, concentrés dans une minorité de bons établissements, bénéficient d'un enseignement "traditionnel". Le "lexique mathématique" est réservé aux "enfants pauvres, noirs la plupart du temps, qui vont dans les écoles les plus en marge".

Ségrégation mathématique

Pour l'auteur de Knowledge in the Blood (2009, Stanford University Press, pas encore traduit en français), "le gouvernement actuel suit une politique similaire à celle d'Henrik Verwoerd" qui a été l'architecte du "Bantu Education Act", c'est-à-dire l'apartheid dans les écoles publiques sud-africaines. Selon lui, les enfants noirs ne devaient pas recevoir une éducation "européenne" qui risquait de les "couper de leur communauté". J. Jansen accuse le gouvernement actuel de suivre une logique identifique en faisant preuve "d'anti-intellectualisme". "Tout comme Verwoerd, Motshekga (ministre de l'Education fondamentale depuis 2009) ne pense apparemment pas qu'un enfant noir soit assez intelligent pour faire des mathématiques, puisque l'écrasante majorité des élèves apprenant le 'lexique mathématique' sont noirs".

Dans un rapport récent, le réseau européen Eurydice rappelle à quel point l'apprentissage des matières scientifiques et technlogiques est "vital" pour l'économie d'un pays et le maintien de "la paix" dans certaines zones (lire ToutEduc Les pays de l'UE devraient mener des actions plus structurées pour favoriser l'acquisition des "compétences clés" (Eurydice)).

Au-delà de leur utilité pratique, les mathématiques familiarisent les élèves avec un mode de réfléxion qui les éduque à la citoyenneté, affirme J. Jansen. "C'est grâce aux mathématiques que nous apprenons dès le plus jeune âge des valeurs indispensables à la démocratie : imagination, concentration, recherche de solutions alternatives, patience, persévérence, discipline, logique, sens de la discipline." L'importance qu'un pays accorde à l'apprentissage des mathématiques est donc un bon indicateur de sa vitalité démocratique. "Les mathématiques sont devenus un critère pour évaluer le niveau d'éducation et de développement d'un pays".

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →