Faut-il se passer des notes pour garantir "le principe d'égalité de traitement entre les élèves"? (Pierre Merle)
Paru dans Scolaire le mardi 04 septembre 2012.
"Il semble logique de conserver les notes au lycée et dans les classes paliers comme la troisième, mais en élémentaire, on peut s'en passer totalement". Dans un entretien accordé au Monde week-end, le sociologue Pierre Merle défend la suppression des notes jusqu'en troisième afin de préserver "le principe d'égalité de traitement entre les élèves".
L'auteur de Notes, secrets d'une fabrication (PUF, 2007) soutient qu'il est illusoire de vouloir déterminer une note de manière impartiale. La notation "est une activité sociale comme une autre". Elle résulte d'une interaction entre deux acteurs, l'élève et le professeur, où entrent en jeu des stéréotypes. Ceux-ci introduisent des biais inévitables. "Des erreurs systématiques de notation liées au contexte scolaire et aux caractéristiques des élèves ont été révélées avec constance par des études", note P. Merle.
Les notes nourrissent les stéréotypes
A compétences égales, l'origine sociale, le sexe ou le passé scolaire des élèves continuent à les discriminer en renvoyant aux idées reçues du professeur. Il aura ainsi tendance à mieux noter un fils d'instituteur qu'un fils d'ouvrier, une fille qu'un garçon, un élève ponctuel qu'un retardataire chronique.
Les notes nourrissent les stéroptypes sur lesquelles elles reposent. "Considérer que des élèves sont meilleurs que d'autres favorise en partie leurs progrès", rappelle P. Merle.
Inversement, l'échelle de notes à la française contribue à enfermer certains élèves dans une spirale négative. La notation sur 20 points est une exception européenne qui a pour principale finalité de mieux "différencier les élèves, voire de les classer" selon l'auteur de La ségrégation scolaire (La Découverte, 2012). Les professeurs n'hésitent pas à mettre des notes très faibles, ce qui peut favoriser le décrochage des élèves les moins bien notés. "L'élève qui a 3 sur 20 sait parfaitement que les chances de se rattraper sont infimes".
Certains professeurs ont conscience des effets négatifs de telles notes et s'interdisent de descendre en-desssous d'un certain seuil. Le système de notation actuel met ainsi les enseignants devant un dilemme éthique : doivent-ils préserver l'égalité de traitement entre les élèves et échelonner les notes en fonction des performances réelles de chacun, quitte à en décourager certains ? Ou bien faut-il avoir recours à des "notes thérapeutiques" pour certains élèves, ce qui revient à "délaisser le principe de l'égalité de traitement au profit d'un intérêt supérieur: préserver la scolarité des plus faibles" ?
Réticences et confusions
Pour Pierre Merle, la suppression de la notation à certains moments clés de la scolarité permettrait d'éviter ce type de cas de conscience. Il est favorable à la mise en place de nouveaux systèmes d'évaluation dans le primaire, sur le modèle des pays scandinaves: "en Finlande, on ne note pas avant le collège, et la seule note octroyée en-dessous de la moyenne est 4 sur 10."
Une telle proposition n'est pas neuve; elle se heurte à la réticence de l'opinion publique, qui reste fortement attachée au système actuel. Selon un sondage publié par Metro lundi 3 septembre, 80% des Français sont contre la suppression des notes à l'école (voir ToutEduc Les Français attachés aux notes sur 20 (sondage IFOP pour Metro))
Selon Pierre Merle, la question de la notation fait débat car elle est souvent confondue avec la notion d'évaluation. Les parents pensent que les notes sont le seul repère dont ils disposent pour suivre l'évolution de leur enfant. "Ils oublient - ou ignorent- que la notation est très subjective, qu'elle n'est pas essentielle au processus d'apprentissage". Elle n'implique pas non plus de garantir l'autorité de l'eneignant, très contestée aujourd'hui alors "qu'on note en France plus qu'ailleurs".
Un faux débat?
Les professeurs eux-mêmes ne sont plus hostiles à une évolution du système d'évaluation. 39 % d'entre eux réclament l'abandon des notes à l'école, d'après une enquête du syndicat enseignant SE-UNSA.
Le ministre de l'Education, V. Peillon, n'est pas favorable à cette suppression. Le 28 août, il a soutenu l'idée d'une "évolution" de la notation, afin que la note aboutisse à "un encouragement plutôt qu'un découragement".
Une telle évolution implique de lutter contre la "constante macabre" identifiée par André Antibi: pour éviter d'être accusés de "laxisme", les enseignants évitent de donner une note élevée à l'ensemble des élèves. En juin dernier, Bruno Julliard, conseiller de Vincent Peillon, avait reconnu l'importance de ce phénomène en se rendant à un colloque organisé par le Mouvement contre la constante macabre (voir ToutEduc Constante macabre : la question n'est pas "notes ou pas notes"). La question de la notation, ou de sa suppression, avait alors été considérée comme un "faux débat".
Pierre Merle soutient que les enseignants peuvent améliorer leurs pratiques d'évaluation sans renoncer totalement à la notation, qu'il est "difficile de supprimer au lycée et au baccalauréat". Ils peuvent ainsi "préférer la note encourageante à la note vraie" et "privilégier autant que possible le conseil personnalisé plutôt que la note". Leur formation devrait aussi leur permettre de développer "une connaissance effective des recherches sur la notation". Ce projet pourrait voir le jour dans les futures "écoles supérieures de professorat et d'éducation" prévues par V. Peillon.
L'article du Monde n'est pas disponible en ligne. Pierre Merle soutenait cependant des positions similaires dans un entretien daté de mai 2011, disponible ici.
Raphaël Groulez