Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Entre ombre et lumière, l'hommage prudent de F. Hollande à J. Ferry

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le vendredi 18 mai 2012.

"Je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j’en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j’ai d’intelligence, tout ce que j’ai d’âme, de cœur, de puissance physique et morale, c’est le problème de l’éducation du peuple." Cette phrase aurait pu être prononcée par François Hollande au cours de la campagne présidentielle; elle provient d’une conférence de Jules Ferry, à qui le nouveau président de la République a choisi de rendre hommage, mardi 15 mai. En faisant de l’éducation sa "priorité", de la jeunesse son "engagement" et de l’école comme "lieu d'intégration de tous les enfants" le mot d’ordre de son premier discours en tant que chef de l’Etat, F. Hollande s’est inscrit dans la continuité de l’homme qui défendait le principe "de l’égalité en éducation " dès 1870.

Pour autant, Jules Ferry est paradoxalement resté dans l'ombre de l'intervention de F. Hollande. Au-delà de l’homme, il a préféré "célébrer les lois" auxquelles Ferry a laissé son nom : celle de 1881 sur "la gratuité de l’école primaire", celle de 1882 "qui impose un enseignement laïque dans les établissements publics" .

Ses "premiers mots de président de la République" n’ont pas été pour une figure du passé, mais en direction des acteurs présents, "pour tous ceux qui ont fait le choix d'élever les consciences", les "professeurs des écoles, professeurs du secondaire, universitaires, chercheurs, mais aussi tous les agents, des plus modestes aux plus prestigieux". Cette expression de "confiance" a été saluée par l’assistance, sous les yeux de trois anciens ministres de l’Education –Jack Lang, Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement- et de leur successeur dans le nouveau gouvernement, Vincent Peillon (voir Touteduc P-Y Duwoye et J-P Delahaye au cabinet de Vincent Peillon).

Hommage ou programme?

Le chef de l’Etat s'est appuyé sur l’esprit des "lois Ferry" pour définir l'orientation de son propre quinquennat. Son action se fondera sur le socle de la "maison républicaine" bâtie par Jules Ferry, "égalité, mixité sociale, laïcité, apprentissage de la citoyenneté". Le terme "d’égalité" est revenu à de nombreuses reprises dans son discours, même si F. Hollande semble davantage guidé par un principe d’équité : son action ciblera "en priorité les écoles des quartiers populaires et certaines zones rurales aujourd’hui reléguées". Il a ainsi associé les deux domaines sur lesquels il demande à être jugé, la jeunesse et la justice : "l'école c'est la justice et la justice c'est la mixité sociale, c'est d'accueillir des enfants d'où qu'ils viennent".

S’il s’est rapproché des principes de Jules Ferry pour "redonner à l’école la volonté d'être conforme à son Histoire", F. Hollande en a surtout profité pour se démarquer de son prédécesseur, N. Sarkozy. Il a défini une "nouvelle hiérarchie de valeurs", où "la science, la volonté d’apprendre et de transmettre seront plus respectées que l’argent". Il a réaffirmé l’importance de "l’aide de l’Etat" pour apporter à l’école "les réformes et la considération de la nation" dont elle a aujourd’hui "besoin". S’appuyant sur un discours de Jules Ferry, il a enfin rappelé "la nécessité d’une bonne formation pour ceux qui sont chargés de dispenser l’enseignement". F. Hollande a ainsi "réitéré" ses engagements, la création de "60 000 postes dans l’éducation nationale" et "le rétablissement de la formation professionnelle des enseignants".

Scepticisme de C. Taubira

Même s’il a salué la mémoire du "législateur Jules Ferry", F. Hollande n’a pas manqué de condamner "sa défense de la colonisation", qu’il a qualifiée de "faute morale et politique". Il a pu distinguer "le bâtisseur de l’école de la République" du défenseur de la colonisation en rappelant que "toute grandeur a ses faiblesses" . Christiane Taubira, nouvelle ministre de la Justice, reste perplexe devant une telle séparation: "Souvent, à propos de personnages célèbres ayant bénéfiquement œuvré en terre métropolitaine et férocement sévi en empire colonial, on suggère qu’ils abritèrent des parts d’ombre et de lumière. Rendons-leur intelligence et cohérence : c’est un même corpus philosophique qui inspire leurs actions", écrit l’ancienne députée de la 1ère circonscription de la Guyane sur son blog.

Selon elle, le profil contrasté des hommes controversés doit être étudié dans son ensemble : les actions menées en politique intérieure et en politique étrangère ne peuvent être comprises séparément. "Il faut scruter ces hommes avec un regard critique, non seulement pour leurs actions contre les peuples colonisés, mais aussi à l’égard du peuple français dans ses antagonismes de classes".

Les commentateurs ont souvent illustré l’idéologie "ambigüe" de J. Ferry en citant son "Discours sur les fondements de la politique coloniale" (1885), où il donne aux "races supérieures" le "devoir" d’éduquer les "races inférieures". Pour saisir la "cohérence" de l’ensemble de la politique menée par J. Ferry, il faudrait rapprocher ce discours d’un passage de sa conférence défendant le principe "de l’égalité dans l’éducation", dont F. Hollande a pu s’inspirer mardi 15 mai. En 1870, J. Ferry expliquait que la progression de la démocratie passerait par la "suppression des distinctions de classe". Cette évolution ne serait possible qu'à condition d'éduquer "ceux que l'on appelait autrefois inférieurs".

"Ce que j’appelle le commandement démocratique ne consiste plus dans la distinction de l’inférieur et du supérieur ; il n’y a ni inférieur ni supérieur ; il y a deux hommes égaux qui contractent ensemble, et alors dans le maître et dans le serviteur, vous n’apercevrez plus que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leurs devoirs, et, par conséquent, chacun leur dignité. La condition pour que ces mœurs égales s’établissent, c’est qu’une certaine éducation soit donnée à celui qu’on appelait autrefois un inférieur, à celui qu’on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité […]"

On pourrait ainsi lire dans "le devoir d’éduquer les races inférieures" un prolongement de la nécessité d’éduquer les classes "autrefois appelées inférieures". Insister sur le principe d’égalité cher au Ferry de 1870 reviendrait à nuancer le "racisme" dont on qualifie souvent son discours de 1885. A l’inverse, rappeler que la hiérarchie qu'il établit entre les races peut être un miroir de sa conception "des antagonismes entre les classes" ferait entrer "la part d’ombre" de Ferry dans la lumière de son "œuvre scolaire".
 

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →