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Josette Théophile : l'Education nationale doit s'appuyer sur les enseignants

Paru dans Scolaire le mercredi 14 mars 2012.

"Dès qu'on veut changer quelque chose [dans le fonctionnement de l'Education nationale], on a des effets collatéraux, systémiques, qu'il faut gérer, et on vous objecte toujours de n'avoir pas pris les choses dans le bon ordre. Par exemple, on ne peut pas toucher au rôle du chef d'établissement sans toucher au rôle de l'inspection." Josette Théophile, directrice générale des ressources humaines du ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative a reçu ToutEduc après le boycott du CTM (comité technique ministériel) qui devait examiner le texte sur "l'appréciation de la valeur professionnelle" des enseignants.

Josette Théophile : Quand Luc Chatel a estimé que la question des ressources humaines était imparfaitement traitée et m'a demandé de venir, j'ai d'abord eu un moment d'étonnement, avant de considérer qu'il y avait là un challenge à relever. La gestion collective des emplois, des carrières et des mutations était parfaitement assurée, mais la formation des enseignants relevait d’ailleurs, la mobilité se limitait aux mutations, et personne ne faisait de veille sociale..

ToutEduc : Le ministre a effectivement, dès le départ, mis l'accent sur l'absence de gestion des ressources humaines de ce ministère, et proposé aux enseignants un "pacte de carrière". Pouvez-vous en préciser le sens, avant d'en venir à l'évaluation des enseignants ?

Josette Théophile : Nous avons ouvert 5 chantiers. La revalorisation des rémunérations s'est traduite par une amélioration des débuts de carrière et du salaire à l’entrée dans le métier. Pour la formation, nous avons mis en place le DIF [droit individuel à la formation, ndlr], revu les plans académiques de formation et, dans les établissements Eclair, mis en place des plans de formation individualisés et des formations intermétiers, pour être au plus près des besoins du terrain. En matière de santé au travail, le constat était pour le moins accablant. Les règles de base n'étaient pas respectées. Nous n'avions que 70 médecins de prévention, nous en avons recruté 30, et nous voudrions arriver à 150. Nous avons testé dans 6 départements un bilan de prévention à 50 ans. Les gens sont venus, et dans 10 % des cas, des examens complémentaires ont été prescrits. Mais ils ont surtout voulu parler de leur travail. Pour ceux qui ont envie de bouger, nous avons mis en place un "réseau mobilité" dans chaque académie, et instauré des entretiens à deux ans et à 15-20 ans, pour lesquels les chefs d'établissement sont formés et disposent d'un site et de ressources en ligne.

ToutEduc : Est-ce suffisant ? Le plan "secondes carrières" ne semble pas très bien fonctionner...

Josette Théophile : La demande pour quitter l'Education n'est pas si forte que ça. La plupart des enseignants veulent rester dans l'enseignement, et nous avons de nombreuses possibilités pour les y aider, à condition de gérer individuellement leurs dossiers. Il faut que les mouvements des directeurs des services départementaux tiennent mieux compte de leurs souhaits. Plus la hiérarchie sera sensible au soin pris à ses propres dossiers, et moins elle aura peur du "volume", plus elle sera ouverte à la recherche de solutions individuelles. D'autre part, les enseignants s'emparent eux-mêmes des possibilités qui leur sont ouvertes par les nouvelles dispositions législatives introduites notamment par la loi sur la mobilité et les parcours professionnels d'août 2009. Ainsi l'an dernier, 350 enseignants du premier degré sont passés dans le second en profitant de ces textes, alors que nous n'avions fait aucune publicité sur le sujet. C’est 9 fois plus que l’année précédente.

ToutEduc : Venons-en à l'évaluation des personnels, qui suscite tant d'oppositions...

Josette Théophile : Encore un mot sur la mobilité. Quand j'ai demandé aux CMC [conseillers mobilité carrière, ndlr] où étaient les blocages, ils en ont notamment identifié un, l'absence d'interlocuteur unique. C'est ainsi qu'un très beau projet de départ à l'étranger avait été construit avec un enseignant qui s'est vu empêché de partir au dernier moment par un autre service, parce qu'il était dans une discipline déficitaire. Il faut un interlocuteur unique qui rassemble toutes les informations, et ça ne peut être que l'encadrement de proximité. Nous devons sortir d'une taylorisation excessive  et construire un cadre propice au dialogue.

ToutEduc : Comment ce projet, sur le détail duquel il est inutile de revenir (voir ToutEduc Evaluation des enseignants : le projet du ministère prévoit une entrée en vigueur étalée sur 3 ans), a-t-il été conduit ?

Josette Théophile : Il a d'abord été bien accueilli. Pratiquement toutes les organisations étaient d'accord, il fallait changer le système. Mais elles attendaient des propositions. Nous avons alors lancé une concertation directe avec les personnels, avec une plateforme sur laquelle se sont inscrits 6 000 enseignants, qui ont décrit l'écart entre ce qu'ils font et ce qui est évalué lors d'une inspection. Notamment le travail hors de la classe n'est pas pris en compte. Ils ont souligné l'intérêt d'un regard croisé de l'inspection et du chef d'établissement. Enfin, ô surprise, ils n'étaient que 5 % à estimer que tout le monde doit avancer à l'ancienneté, comme le demande aujourd'hui le Sgen-CFDT et un tiers d'entre eux voulait que seul le mérite soit pris en compte, donc que certains ne progressent pas du tout. Le 5 juin 2011, le ministre à présidé une réunion, au cours de laquelle les syndicats ont dénié l'importance attachée au mérite par les enseignants eux-mêmes, alors qu'ils savent très bien que nous ne pouvons pas supprimer les règles d'avancement, et surtout ils nous ont demandé d'attendre pour entrer dans la négociation les résultats des élections professionnelles, donc la fin octobre. Des calendriers infernaux se mettent alors en place.

ToutEduc : Et rien ne se passe comme prévu...

Josette Théophile : En effet, le 15 novembre, le Café pédagogique publie des textes non validés. S'y ajoute une opération de désinformation sur un prétendu "gel" des promotions. L'un après l'autre, tous les syndicats se rallient à la proposition du Snes, un préavis de grève est déposé. Et ensuite s'ouvre la campagne présidentielle. Il me semble d'ailleurs que les syndicats confondent leur rôle avec celui des partis politiques. Seul le SGEN a essayé de négocier.

ToutEduc : Au-delà de l'enchaînement malencontreux que vous venez de décrire, comment comprenez-vous l'émotion que provoque ce projet ?

Josette Théophile : Il est clair que nous sommes dans une relation qui n'est pas une relation de confiance. De plus, dès qu'on veut changer quelque chose, on a des effets collatéraux, systémiques, qu'il faut gérer. Il faut aussi que nous formions les chefs d'établissement, que nous les sélectionnions sur leur capacité à entraîner les personnels dans un projet, à animer leur équipe. La culture de la négociation n’est pas encore vraiment partagée..

ToutEduc : On a souvent l'impression que la conception qu'a le ministère du projet, c'est qu'il doit être celui du chef d'établissement, qui pourrait d'ailleurs être le simple relais de l'autorité académique, et non pas celui des personnels, débattu au Conseil d'administration. Le choix de faire partie de faire partie du réseau Eclair n'a pas été laissé aux équipes...

Josette Théophile : Ils coïncident finalement en grande partie avec la liste des établissements RAR [réseaux ambition réussite, ndlr]... Mais non, nous voulons nous appuyer sur les enseignants. L'Education nationale est la seule organisation qui dispose d'autant de cadres A, dont elle sollicite peu la capacité d’initiative et à qui elle a du mal à faire confiance.. Le fonctionnement de cette maison est tel qu'on ne s'appuie pas sur eux. Dans Eclair précisément, ils sont mis en responsabilité et nous les invitons à innover. C'est aussi le sens de l'auto-évaluation. Il faut aussi développer l'action plus collective.

ToutEduc : Mais pourquoi vouloir à tout prix faire passer ce texte au CTM, sans attendre qu'un nouveau gouvernement se mette en place ?

Josette Théophile : Le Secrétariat Général du Gouvernement a demandé de prioriser les textes qui devaient être étudiés par le Conseil d'Etat avant la fin de la mandature. Quelle que soit la majorité qui sortira des urnes, tous les textes qui ne lui auront pas été adressés avant la démission du gouvernement seront réputés inexistants. Et vous savez que le circuit est long, puisqu'ils doivent d'abord passer devant le conseil supérieur de la fonction publique, avec d'autres syndicats comme interlocuteurs. Mais de toute façon, la question de l'appréciation de la valeur professionnelle des enseignants et du dialogue de proximité restera posée, les syndicats en conviennent Et je suis convaincue qu’une majorité d’enseignants l’attendent.

Entretien relu par Josette Théophile, à la demande de ToutEduc.

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