Le feuilleton (IV,2) : Les dédoublements, une mesure coûteuse pour des effets modestes
Paru dans La lettre le vendredi 12 décembre 2025.
Nous avons vu la semaine dernière (ici) comment s'était imposée l'idée de dédoubler les classes de CP alors que, quelques années plus tôt, l'administration était convaincue que les effectifs n'avaient aucun effet sur les apprentissages des élèves. Voici le second épisode de la 4ème "saison" de notre feuilleton consacré aux "années Blanquer".
Au mois de juin 2017, Jean-Michel Blanquer qui a annoncé les dédoublements dès son retour "rue de Grenelle" précise son propos. La mesure doit "s'appliquer aux CP de REP+ dès la rentrée 2017", les collectivités ayant besoin de temps "pour se mettre à jour", ce n'est donc qu'à la rentrée 2018 que la mesure serait étendue aux classes de CE1 de REP+ et aux CP de REP, et en 2019 au CE1 de REP.
Le ministre explique qu'il fonde sa politique sur les résultats d'une "étude de terrain incontestable" réalisée par Pascal Bressoux et Laurent Lima (Université de Grenoble), mais aussi sur le projet Star mené "il y a déjà longtemps aux Etats-Unis" et une autre, "plus récemment" au Danemark. L'étude danoise n'est jamais citée plus précisément, le projet Star a été abandonné et, comme nous l'avons vu dans le premier épisode, l'étude de Bressoux et Lima n'est pas une étude de terrain, elle conteste la méthodologie d'une étude de terrain.
Dédoubler les classes suppose de dédoubler les salles et c'est un casse-tête pour les communes qui n'ont que les mois d'été pour monter des cloisons, revoir la distribution des prises électriques, réorganiser les bâtiments... Curieusement, s'ils protestent contre les délais trop courts, et s'ils obtiennent la possibilité, en cas d'impossibilité technique, de mettre deux enseignant.e.s dans la même salle, je n'ai pas le souvenir qu'un seul ait dit qu'il refusait par principe un dispositif alors que rien ne les oblige à mettre en oeuvre la décision ministérielle. A part un vademecum, aucun texte officiel n'est publié.
Les syndicats ne sont pas davantage réticents. Lors de la conférence de presse de rentrée du SNUIPP, le 28 août, j'interroge sa secrétaire générale : "comment pouvez-vous accepter une réforme dont vous connaissez l'inefficacité ?" Réponse : "Bien sûr, mais comment refuser une mesure qui va au-delà de ce qu'on n'a jamais osé demander en termes de réduction des effectifs ?" La mesure est donc adoptée sans être contestée. Tout au plus certains élus, comme le maire de Toulouse, demande (inutilement bien sûr) à l'Etat de financer les aménagements des bâtiments. Les parents sont séduits par un raisonnement simple, s'ils ont deux fois moins d'élèves, les enseignant.e.s auront deux fois plus de temps à consacrer à leur enfant. Les scientifiques sont partagés, mais les prises de position pour ou contre interviendront tardivement, et plutôt discrètement. Le SNUIPP finira par critiquer ouvertement les dédoublements et demandera le retour du PDMQDC (plus de maîtres que de classes), mais plusieurs années plus tard. C'est, incontestablement un "bon coup" politique.
Au moins de juillet, deux chercheurs de l’Ecole d’économie de Paris (Julien Grenet et Marc Gurgand) et Adrien Bouguen de l’université de Mannheim estiment dans les Cahiers Français (La Documentation française) que "les expériences menées aux Etats-Unis, en Europe ou encore en Israël établissent un lien de causalité entre la réduction du nombre d’élèves par classe et l’amélioration des performances moyennes, et ce même avec des pratiques pédagogiques inchangées". En Suède, la diminution de la taille des classes à 12 élèves pendant deux années d’école élémentaire a augmenté de 5% en moyenne le salaire des élèves concernés, une fois parvenus à l'âge adulte. Il faudrait donc attendre une vingtaine d'années avant de risquer un bilan...
Le ministre est satisfait. "En deux mois, dont le mois d'août, on est arrivé à 85 % de CP dédoublés en REP+, 100 % si on compte les classes avec deux enseignants." Les dédoublements concernent quelque 2 500 classes de CP de REP+, un peu plus de 2 500 postes sont donc "redéployés". Dans les mois et les années qui suivent, à mesure que le dispositif touche davantage d'élèves et s'élargit aux CE1 et aux REP, le débat porte uniquement sur la question de savoir d'où viennent ces postes. Jean-Michel Blanquer affirme que les écoles rurales et les autres niveaux ne sont pas pénalisés par la mobilisation de professeur.e.s des écoles aux deux premiers niveaux. En mars 2018, le SNUIPP calcule pourtant que les 3 880 postes créés cette année-là ne permettront pas d' "assurer le dédoublement des CE1 de REP+ et des CP de REP" qui nécessite 5 442 postes.
Les postes sont donc pris sur le dispositif "Plus de maîtres que de classes", puisque ce sont plus de 1300 "postes d'enseignants surnuméraire" (1196 en éducation prioritaire et 130 hors EP) qui sont supprimés sur les 3 000 postes dédiés à la rentrée 2017. Ils seront finalement tous supprimés et Jean-Marc Huart le directeur général de l'enseignement scolaire reconnaît devant la presse que, contrairement à ce qui avait été promis, le PDMQDC est supprimé sans qu'une évaluation ait pu être conduite.
Voici une rapide chronologie du déploiement de la mesure
Octobre 2019 : le budget 2020 permettra d'étendre "progressivement" les dédoublements aux GS en éducation prioritaire, mais "sur un rythme plus lent" que celui adopté pour les CP et CE1, et "en tenant compte des possibilités des collectivités".
Octobre 2020 : Le "bleu" annonce, à propos des dédoublements en REP+ et en REP que "celui des classes de grande section de maternelle sera généralisé à la rentrée scolaire 2021".
A la rentrée 2020, selon une note d'information de la DEPP, les dédoublements n'ont pas pesé sur les effectifs des autres classes. Il n'en reste pas moins que, sur l’ensemble des écoles publiques et privées sous contrat, 36 % des classes accueillant des élèves de grande section, 17 % des classes accueillant des élèves de CP et 25 % des classes de CE1 comptent plus de 24 élèves.
Novembre 2021. Sont prévus au budget 2022 pour les dédoublements de "grandes sections" 402 postes supplémentaires en REP+ et 887 en REP.
Au mois de mars 2022, nos confrères/consoeurs des Echos indiquent qu'Emmanuel Macron devrait inscrire à son programme de candidat l'extension aux classes de CE2, CM1 et CM2 des écoles en éducation prioritaire des dédoublements actuellement mis en place au CP et CE1, et en cours en grande section.
A la rentrée 2024, on compte en moyenne 14,5 élèves dans les grandes sections de maternelle en éducation prioritaire (22,3 hors éducation prioritaire), 12,7 en CP en REP + et 12,8 élèves en REP (21 hors éducation prioritaire), 12,8 ou 13 élèves en CE1 (21,6 hors éducation prioritaire).
Nous nous demanderons la semaine prochaine si cette mesure a eu les effets attendus.
Pour mémoire, notre première "saison" portait sur "la maternelle à 3 ans" (ici, ici, ici), la deuxième sur "la prise du pouvoir par ceux qui prétendent incarner la science" (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici), la troisième sur "la semaine de 4 jours" (ici, ici, ici)

