Le feuilleton (IV,1) : Les dédoublements, une mesure coûteuse pour des effets, modestes, connus d'emblée
Paru dans La lettre le vendredi 05 décembre 2025.
Nous entamons aujourd'hui la 4ème saison de notre feuilleton consacré aux "années Blanquer". Celle-ci porte sur les dédoublements des classes de grande section, de CP et de CE1 en éducation prioritaire.
A peine installé "rue de Grenelle", Jean-Michel Blanquer annonce quatre mesures "qui seront appliquées à partir de la rentrée 2017", le dédoublement des classes de CP en REP+, la liberté donnée aux communes de revenir à 4 jours, la fin des classes bilangues en 6ème, le dispositif "devoirs faits". C'est la première de ces mesures qui fait l'objet de la 4ème saison de notre feuilleton, "les années Blanquer".
La question des effectifs est sensible. Les syndicats et les parents d'élèves dénoncent systématiquement le nombre des élèves par classe, un discours auquel sont attentifs les politiques de gauche mais aussi d'une partie de la droite qui a en tête le modèle du préceptorat, de la transmission verticale du savoir, sans interventions des pairs. En 2003, Luc Ferry lance l'expérimentation des "CP à 10". La DEPP est chargée de l'évaluation et celle-ci est menée par une équipe exceptionnellement importante, une douzaine de personnes, moitié personnels du service statistique, moitié universitaires. Elle conclut à l'absence d'effets, non sans prendre quelques précautions sur d'éventuels biais.
Ce résultat vient conforter ce que dit la littérature internationale, la réduction de la taille des classes a un effet minime (de l'ordre au mieux de 20 % d'un écart-type) sur la réussite des élèves.
En 2006, Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire démontrent que la réduction de la taille des classes a un effet bénéfique sur la réussite scolaire dans les écoles, un effet moins important dans les collèges et à peu près nul au lycée : Au primaire, "une réduction de taille de classes d’un élève conduit à une progression du score équivalent à environ 2,5-3% d’un écart-type (ici)." Les deux économistes n'indiquent toutefois pas si cette progression est linéaire ou si elle connaît des limites. L'effet est-il de même ampleur quand on passe de 18 à 17 élèves que lorsque l'on passe de 25 à 24 élèves ? Si on réduit la taille des classes de 24 à 12, l'effet sera-t-il, mécaniquement, de 2,5 à 3 % X 12, soit de 30 à 36 % d'un écart-type ? On sait que l'étude a exploité des données de 1995 et 1997, donc sans informations émanant d'effectifs très réduits, et que les auteurs se sont gardés de toute extrapolation.
Ces débats de spécialistes n'empêchent pas Nicolas Sarkozy de ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, et pour l'administration de l'Education nationale, la note de la DEPP sert de caution à sa politique. Jean-Michel Blanquer ne manque d'ailleurs pas de l'invoquer : inutile de chercher à diminuer les effectifs puisqu'il n'y a aucun bénéfice à en attendre.
Mais les syndicats ne désarment pas. C'est aussi le cas des chercheurs en sciences de l'éducation, du moins de ceux qui mettent l'accent sur l'enseignement explicite (voir à ce sujet notre feuilleton, ici). Et en 2011, Pascal Bressoux et Laurent Lima (U. de Grenoble-Alpes) publient "La place de l’évaluation dans les politiques éducatives : le cas de la taille des classes à l’école primaire en France". Ils connaissent bien le sujet puisqu'ils ont fait partie de l'équipe qui a évalué les "CP à 10" : Pour en résumer en quelques mots le propos, on n'a pas pris en compte un biais important, l'ancienneté des enseignants. Très souvent, ce CP à effectif réduit, supposé plus facile à conduire a été confié à celui/celle qui avait le moins d'expérience. Or, statistiquement, l'ancienneté de l'enseignant a un effet positif sur les apprentissages. Bressoux et Lima refont les calculs en prenant en compte ce biais et estiment que l'effet, au lieu d'être nul, serait de l'ordre de 20 % d'un écart-type si ces classes étaient confiées à des maîtres expérimentés.
La gauche arrive au pouvoir et dès 2012 instaure le PDMQDC, le "plus de maîtres que de classes". Dans une école élémentaire qui compterait 5 classes, une à chaque niveau, un.e sixième enseignant.e serait nommée et il/elle viendrait en appui à ses collègues, une matinée au CP quand est prévu d'introduire une notion délicate, une après-midi au CM2 pour une séance d'EPS qui nécessite une attention particulière. Comme on le verra, cette politique n'a jamais été évaluée. Il semble que sa mise en place ait posé, ici ou là, des difficultés. La présence de ce "surnuméraire" oblige "l'équipe pédagogique" à débattre de ce qui fait problème, puis pour chacun d'accepter le regard d'un tiers dans sa classe, ce qui va à rebours des habitudes, voire de la culture professionnelle dominante. J'imagine, mais je n'en ai aucune trace, que le ministre et son entourage en sont parfaitement conscients. Ils n'en attendent pas un bénéfice immédiat en termes de niveau des élèves, mais en amenant les enseignant.e.s à discuter pédagogie, ils les obligent à évoluer, à se remettre en cause, à aller chercher les résultats de la recherche pour affiner leurs méthodes ou avoir des arguments à opposer à un.e collègue, autant de formation continue informelle qui aurait à terme un effet très important sur les apprentissages.
Que s'est-il passé au début de l'année 2017, quelques mois avant la présidentielle ? Je sais qu'ont été réunis autour de Jean-Michel Blanquer au moins quatre membres du futur CSEN, le conseil scientifique de l'Education nationale. Pascal Bressoux et Marc Gurgand plaident pour une réduction massive des effectifs au CP et CE1, Stanislas Dehaene et Franck Ramus font valoir que c'est une mesure extrêmement coûteuse pour des effets limités. Est-ce Emmanuel Macron qui a tranché et qui a choisi, de manière parfaitement arbitaire, le chiffre de 12 élèves par classe de CP et de CE1 pour les écoles en éducation prioritaire ?
Nous verrons la semaine prochaine comment cette mesure, qui mobilise des moyens considérables pour l'Education nationale et pour les collectivités, s'est imposée sans que soit pris aucun décret, ni arrêté, pas même une note de service.
Pour mémoire, notre première "saison" portait sur "la maternelle à 3 ans" (ici, ici, ici), la deuxième sur "la prise du pouvoir par ceux qui prétendent incarner la science" (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici), la troisième sur "la semaine de 4 jours" (ici, ici, ici)

