Le feuilleton (III,1) : La semaine de 4 jours
Paru dans La lettre le vendredi 07 novembre 2025.
Voici un nouvel épisode de notre feuilleton consacré aux "années Blanquer". Après "la maternelle à 3 ans" (ici, ici, ici), après la prise du pouvoir par ceux qui prétendent incarner la science (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici), la semaine de 4 jours. Et pour comprendre la vigueur du débat, nous remontons à ses origines.
Le jeudi 27 sept 2007, au 20 heures de TF1, Xavier Darcos, ministre de l'Education nationale, annonce la semaine de 4 jours. A l'époque, je suis directeur de la rédaction de l'AEF, et le ministre est, ce jour-là, à Bordeaux. Une journaliste suit son déplacement. Nicolas Sarkozy est, si je me souviens bien, à Strasbourg pour parler éducation devant des cadres de l'UMP, et notre correspondant en Alsace nous prévient qu'il a lâché l'information, ils vont pouvoir faire la grasse matinée le samedi. Au même moment, la journaliste qui est dans le Sud-Ouest nous prévient que les visites prévues l'après-midi sont annulées et que X. Darcos rentre précipitamment à Paris.
J'imagine, mais c'est pure extrapolation de ma part, que le président a appelé le ministre à l'heure du déjeuner pour l'informer de la situation qu'il avait créée et lui demander de présenter cette décision le soir même. X. Darcos lui a sans doute objecté que rien n'était ficelé au plan technique, puisqu'il fallait faire passer la semaine des élèves de 26 à 24 heures, mais maintenir à 27 celle des enseignants... J'imagine que N. Sarkozy lui a dit de se débrouiller.
Cette décision, largement improvisée, vient pourtant de loin. Selon un rapport de deux inspecteurs généraux de 2002, "c’est le début de la décennie 1980 qui marque une réelle prise de conscience des problèmes de gestion des rythmes de vie et des rythmes scolaires des enfants". En 2000, 26 % des écoles fonctionnent sur une semaine de 4 jours et prennent quelques jours sur les vacances d'été et de Toussaint pour compenser les 18 journées que représentent l'abandon du samedi matin.
Ajoutons tout de suite que le mouvement est général, dans d'autres pays, notamment aux Etats-unis, la tentation est grande de rogner sur la semaine de classe dans le 1er degré. Les mises en garde ne manquent pas pourtant. L'inspection générale fait état d'une étude montre que les enseignants fonctionnant sur 4 jours ont tendance à privilégier l’enseignement du français et de mathématiques au détriment des autres disciplines, que l'absentéisme est important durant les jours récupérés, que, "dans près de 90% des cas, l’aménagement de la semaine n’a pas été accompagné de la moindre réflexion sur le temps ainsi libéré", que "la semaine de quatre jours revient le plus souvent à réduire de douze jours le temps scolaire", mais que "toute tentative d’abandon de la semaine de quatre jours se confronte à une vive opposition des enseignants et des parents" (le rapport ici).
C'est sans-doute ce qui explique que, très ironiquement, un François Testu, chronobiologiste, s'exclame au mois de mars 2009 "Merci Darcos, merci Sarkozy, grâce à vous, la question des rythmes de l'enfant est posée!". Quelques écoles font de la résistance et restent à 4,5 jours.
Xavier Darcos cède la place à Luc Chatel qui est conscient de la difficulté et qui tente de créer les conditions d'un retour en arrière. Son DGESCO, Jean-Michel Blanquer, dit d'ailleurs que la semaine de 4 jours a été pensée dans l'intérêt des adultes, pas des enfants.
Le 7 juin 2010, le ministre installe un "comité de pilotage de la conférence nationale sur les rythmes scolaires".
Juillet 2011. Luc Chatel annonce une réforme globale des rythmes scolaires pour la rentrée 2013 après que la Conférence nationale lui a rendu son rapport. Il retient trois principes, "le volume horaire annuel de l’élève devra être mieux réparti sur l’ensemble de l’année", l’accompagnement personnalisé sera généralisé, et il faudra "trouver un meilleur équilibre entre le temps de l’enfant, le temps de l’école et le temps de la famille"
Novembre 2011. L'appel de Bobigny est publié, de nombreux syndicats (dont le SNUIPP-FSU), mouvements d'éducation populaire et élus disent sur quels principes ils souhaitent que s'appuie une autre politique pour le système scolaire. Parmi divers éléments figure le retour à la semaine de 4,5 jours.
Mars 2012. Dans une interview au site "VousNousIls", Nicolas Sarkozy déclare : "Nous avons rendu le samedi matin aux familles (...) mais nous aurions sûrement dû être plus attentifs à la façon dont les écoles s'organisaient : la plupart ont opté pour la semaine des 4 jours, qui n'est pas optimale pour les enfants. Je crois qu'il aurait fallu que l'Etat encourage davantage la semaine de 4,5 jours et donc les cours le mercredi matin."
Juillet 2012. "L’ensemble des partenaires signataires de l’Appel de Bobigny réaffirme leur accord sur ces propositions et vous demande de les prendre en compte dans la future loi d’orientation et de programmation pluriannuelle pour l’éducation", écrit en leur nom Yves Fournel au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à qui le président du "Réseau français des villes éducatrices" rappelle qu'il l'a signé "en tant que maire de Nantes". La réforme des rythmes scolaire doit s’inscrire "dans une réflexion large sur l’amélioration des temps scolaires, périscolaires, des temps familiaux et de loisir" et elle suppose "un cadre national" pour les PEL (projets éducatifs locaux) ainsi que la "contractualisation avec la CNAF du soutien financier aux collectivités".
Décembre 2012. Le projet de loi "de refondation" est présenté au CSE (Conseil supérieur de l'éducation). Le SNUIPP s'abstient, ce qui provoque, selon les "informations ouvrières", une "véritable levée de boucliers" et 58 syndicats départementaux demandent à leurs représentants de voter contre le projet de décret qui doit être présenté début janvier au CSE et qui rétablit la semaine de 4,5 jours.
Le décret est publié le 26 janvier (ici). Commence alors une longue bataille qui oppose le ministère, une large partie des enseignants, de nombreux parents et un certain nombre d'élus, sur fond de difficultés de mise en oeuvre. La suite la semaine prochaine, si l'actualité nous en laisse le loisir...

