En Seine-Saint-Denis, les jeunes sont “fortement exposés aux publicités des entreprises de paris sportifs“ (étude PARIJEUNES)
Paru dans Périscolaire le mercredi 19 juin 2024.
“Régulièrement on reçoit des mails (..). Si on dépose 10 euros on a 10 euros de freebets. Tout le temps on reçoit ça. Ça nous incite tout le temps“, témoigne ce livreur de 22 ans concernant les offres de paris gratuits destinées à les inciter à jouer toujours plus.
Comme lui, 42 jeunes de Seine-Saint Denis ont été interrogés par le sociologue Thomas Amadieu (ESSCA Ecole de Management) sur leur pratique des paris sportifs, dans le cadre d'une étude commandée par le Département pour en prévenir les risques. Ce volet qualitatif est complété par un sondage réalisé auprès de 1 949 jeunes de 13 à 25 ans habitant dans le département situé au nord de la capitale.
Addiction et sociabilité
Selon les premiers résultats de cette enquête, qui sera entièrement publiée en septembre prochain, les jeux d’argent sont amplement répandus chez les jeunes Séquano-Dyonisiens : 32,2 % d'entre eux ont déja joué ou parié de l’argent.
L'enquête révèle surtout la jeunesse des néo-parieurs, dont l'âge moyen d’initiation aux jeux d’argent est de 14,9 ans, avec même 40 % des parieurs qui ont commencé à 13 ans ou moins. Ces jeux d’argent sont pour beaucoup “un élément important de la sociabilité“, 1 parieur sur 4 estimant “important de jouer pour faire partie d’un groupe d’amis“, tandis que près de 46 % des jeunes parieurs partagent du contenu en lien avec les jeux d’argent sur les réseaux sociaux. Concernant plus particulièrement les paris sportifs, on compte 1 jeune sur 10 qui s’y adonne, une proportion qui varie fortement selon le genre, 19 % chez les jeunes hommes contre seulement 2 % chez les jeunes femmes.
En interrogeant les modes de socialisation aux paris sportifs, Thomas Amadieu constate notamment “la facilité avec laquelle les jeunes adolescents parviennent à parier en dépit de l’interdit légal, en se rendant dans des bureaux de tabac qui ne contrôlent pas l’identité ou en demandant à des adultes de parier à leur place.“
De plus, les jeunes de 13 à 25 ans qui habitent dans le 93 “sont fortement exposés aux publicités des entreprises de paris sportifs“, 82 % d'entre eux ayant vu ou entendu une publicité pour les jeux d’argent au cours des derniers mois, une proportion qui grimpe à 84 % chez les 13-17 ans. Les publicités sur internet, à la télévision et dans les espaces publics sont les plus fréquemment mentionnées. Un risque pour les personnes “addicts“, comme l'explique ce lycéen de 18 ans : “en vrai t’es jeune, t’as pas vraiment ce recul, t’as l’impression que ça arrive seulement aux autres“. D'ailleurs 22 % des mineurs sondés ont eu envie de jouer après avoir vu une publicité pour les jeux d'argent.
Motivations
Les motivations les plus souvent mentionnées par les jeunes parieurs sont d’abord financières : 93 % jouent pour “gagner de l’argent rapidement“. Il s'agit ensuite de “tenter (s)a chance“ (86 %), du “plaisir des émotions fortes“ (77 %), ou de l'excitation “de regarder un match sur lequel on a parié“ (67 %).
Bien que l'envie de tenter sa chance aux paris provient entre autres de leurs pairs, chez certains jeunes interrogés “persuadés“ que les paris sportifs permettent de gagner de l'argent facilement, “montrer que l’on gagne au jeu permet d’afficher une distance vis-à-vis de l’addiction“, analyse le sociologue. Malgré des difficultés, “de nombreux jeunes cherchent à garder ou regagner le contrôle sur leur consommation de paris“ avec pour limite à ne pas franchir d’emprunter à des amis.
Quand le jeu rapporte, l’argent gagné “est marqué symboliquement, utilisé pour des dépenses moins essentielles“ : “J’aime pas dépenser sur du sérieux quand je gagne. Si je gagne je me fais plaisir. Alors que si j’ai mérité, je dépense sérieux. Par exemple… je sais pas si je peux dire… avec l’argent du jeu je vais faire des sorties, des tables de chicha, des ballons, des puffs…“, estime ce lycéen de 17 ans.
Conséquences
Le problème se situe dans les conséquences de ces paris à répétition. En effet, 3 parieurs sur 4 ont une pratique de jeu pouvant être considérée comme “problématique“ et environ le même pourcentage (76 %) ont déjà parié pour regagner l’argent perdu. Le jeu a également causé des dommages pour 21 % des joueurs, majoritairement emprunter de l’argent et faire des dettes. Les paris sportifs ont aussi causé des problèmes de santé, y compris du stress ou de l’angoisse pour 42 % des parieurs.
Selon l'enquête près d’1 parieur sur 4 reconnait perdre au jeu plus de 100 euros par semaine en moyenne. Un argent qui, perdu par l’accumulation de petites mises, “est invisibilisé“ tandis que la prise de conscience des pertes “ne survient parfois qu’après des années“.
Le département de Seine-Saint-Denis a décidé de relancer sa campagne de prévention. Interviewée lors de la restitution des résultats, Zaïnaba Saïd Anzum, conseillère départementale en charge des sports, demande à l’État une véritable politique de prévention, à savoir “que les paris en ligne rentrent dans la liste des addictions au même titre que l’alcool et les stupéfiants, que les publicités soient beaucoup plus limitées“. Elle souhaite que ces opérateurs soient aussi “davantage taxés“, leurs bénéfices étant estimés à 1,4 milliard d’euros rien qu’en 2023.
Les informations sur la campagne ici