Education nationale : comment se prennent (et ne se prennent pas) les décisions (ouvrage)
Paru dans Scolaire le mercredi 12 juin 2024.
Même quand les politiques publiques d'éducation "se fondent sur des intentions louables", leurs modalités de déploiement sont perçues avec un effet "tapis de bombes" constatent Frédérique Weixler (IGESR) et Bertrand Sécher (expert) dans un ouvrage consacré à "la construction de la décision en éducation". Ils ajoutent que l'organisation du système éducatif transforme "le discours politique et médiatique en prescriptions unitaires plutôt que dans une vision cohérente d'actions. Résultat, une administration (...) qui produit des directives pour une multitude d'objets, qu'il devient difficile ensuite de concevoir en cohérence pour les acteurs locaux comme peut-être parfois pour les prescripteurs eux-mêmes."
Le réquisitoire est en même temps implacable et nuancé dans la mesure où les auteurs distinguent sans cesse ce qui est de la responsabilité du politique, à divers niveaux, ce qui tient à la structure du système scolaire et ce que les acteurs ressentent. Si les reproches sont légions, les responsabilités ne sont-elles pas partagées ? "La récurrence de la controverse sur le collège unique illustre notre incapacité collective à appuyer nos arbitrages sur des études prenant en compte toutes les variables de cette équation complexe."
Et quelles sont les marges d'autonomie des divers niveaux du système, des rectorats, des enseignants, des élèves ? Que signifient des mots comme "management", "leadership" qui sont si souvent utilisés ? Les "instances participatives de concertation" jouent-elles leur rôle ? "Pour beaucoup de Français, le CNR (Conseil national de la refondation), aussi bien au niveau national que territorial, demeure un objet difficile à cerner." Si l'on en croit un rapport sénatorial, "les équipes éducatives auraient le sentiment que l'échelon national conserve le pouvoir de décision au travers des recteurs et que les avancées se dérouleraient à marche forcée, sans réelle réflexion autour de la notion d'innovation".
Reprenant un terme apparu récemment pour caractériser la société française, les auteurs parlent de "l'archipellisation structurelle" du système éducatif liée à sa gouvernance verticale : "Les temps d'échange et de construction se réduisent trop souvent à des évènements ponctuels de transmission verticale d'informations, de recommandations, voire de commandes" tandis que les partenaires de l'Ecole (collectivités, associations, etc..) apparaissent comme "un archipel qui conteste le continent".
La construction de la décision, pour reprendre le titre de l'ouvrage, supposerait pour être efficace, de "donner du temps aux acteurs pour que la concertation collective soutienne la décision", ce qui suppose "le courage d'un lâcher prise". D'ailleurs, "dans les établissements qui font réussir les élèves, beaucoup de temps est consacré aux relations (...). Chercher inlassablement à construire des décisions qui dépassent les intérêts divergents ne relève d'aucune naïveté, c'est le chemin des démocraties heureuses."
"La construction de la décision en éducation, Enjeux, mythes et défis", F. Weixler et B. Sécher, Berger-Levrault, 192 p., 19€