Comment les "intermédiaires de l'emploi" accompagnent les jeunes “invisibles“ ou issus de QPV (INJEP)
Paru dans Orientation le lundi 10 juin 2024.
“Les aptitudes révélées par le travail de plateforme sont constitutives des savoir-être et savoir-faire requis pour accéder à l’emploi, ce qui contredit la présomption d’inemployabilité qui fonde l’intervention des professionnel.les et, plus largement, les représentations dominantes sur les jeunes des quartiers populaires face à l’emploi“.
Manque de qualification et de compétences de la part des jeunes, ou stéréotypes et préjugés nourrissant les pratiques discriminatoires des recruteurs ? Dans un rapport sur l'ubérisation dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), qui touche en particulier des “minorités racisées (..), main-d’œuvre corvéable et à bas coût“, en grande majorité des hommes et de “façon significative“ des jeunes de moins de 25 ans (surtout en ce qui concerne les livreurs), l'INJEP analyse comment le phénomène touche les professionnel.les de l’entrepreneuriat (réseaux associatifs et institutionnels tels que la Banque publique d’investissement ou l’Association pour le droit à l’initiative économique), et ceux de l’insertion (acteurs historiques comme les missions locales).
Compétences
L'ubérisation, reposant à la fois sur de l'entrepreunariat et une forme de salariat, apparaît comme “indéfinissable“ pour les deux types d'acteurs, c'est pourquoi leurs modèles d’intervention “perdent en partie leur opérationnalité“. Ceux-ci sont “amené.es à reconnaître l’importance des compétences que les jeunes mobilisent dans ces emplois“ (compétences sociales dans le lien au client, gestionnaires par la création et la gestion d’entreprise, techniques liées à la conduite, à l’entretien des véhicules ou à l’usage d’applications digitales).
Et si plupart “n’excluent pas la possibilité d’une corrélation entre barrières discriminatoires et pratiques entrepreneuriales“, ils soulignent avant tout la “position d’ignorance“ dans laquelle ils se trouvent car “le silence qui entoure les discriminations (silence des potentielles victimes autant que des auteurs) constitue un obstacle à la mise en œuvre d’un accompagnement adéquat“.
Est cité l'exemple de cette actrice de l'entrepreneuriat pour qui “les discriminations à l’adresse ou de la couleur de peau, on en entend parler à propos des entrepreneurs, mais j’ai pas forcément eu de personnes qui m’ont dit ça de manière ouverte.“
Ils tendent dès lors à remettre l'accompagnement des jeunesà un hypothétique parcours ‘post-plateforme‘, où leurs catégories d’intervention redeviendraient opérationnelles, et dans lequel les jeunes valoriseraient les compétences acquises par leur expérience sur les plateformes pour évoluer vers d’autres horizons professionnels.“
Représentations
Un autre rapport de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire s'appuie cette fois sur l'évaluation d'un dispositif d’accompagnement vers l'emploi (ateliers et accompagnement individualisé social de 15 mois) dans les Hauts-de-France pour caractériser les représentations des jeunes de la part des différents acteurs qui y participent.
Est constaté que les représentations sur les jeunes “invisibles“ pris en charge par les intermédiaires de l’emploi dépendent des socialisations antérieures des "intermédiaires de l'emploi" et agissent comme des filtres qui influencent leurs pratiques de repérage/détection, de sélection et d’accompagnement“.
Une partie des professionnels, plus âgés (moyenne d’âge à 40 ans), d’origine sociale moyenne et supérieure ou, au contraire, la plus populaire de l’échantillon, présentent moins de stéréotypes négatifs envers les jeunes, tiennent un discours moins culpabilisant sur les jeunes et dénoncent l’exclusion de certains jeunes par des attitudes et pratiques discriminatoires. Ils affichent une vision réparatrice du dispositif et souhaitent “repérer les jeunes les moins dotés“.
D'autres professionnels, bien qu'issus de classes populaires stabilisées, diplômés dans les professions traditionnelles du travail social et ayant toujours travaillé dans ce domaine affichent une “attitude particulièrement défavorable“ concernant les jeunes accompagnés. Ils leur attribuent “une part de responsabilité dans un chômage qui dure“ : “Pour les jeunes, bah ils attendent le RSA, on va dire ça comme ça“, estime d'ailleurs ce coach de 49 ans, diplômé d'un master d'études en pratiques sociales avec 30 ans d’expérience.
D'autres, directement en contact avec les jeunes, peu formés et dans un contexte de justification permanente des résultats“, présentent des stéréotypes négatifs à l’égard des jeunes issus des classes défavorisées, une représentation qui “s'accompagne d'un souci permanent de contrôler leurs corps et apparences physiques, dans un objectif de transformation et de conformation aux attentes supposées des employeurs et aux idées qu’ils et elles se font des normes qui prévalent sur le marché du travail". Ils produisent “une violence symbolique en voulant transformer le jeune, sans pour autant questionner les facteurs contextuels comme les conditions d’emploi, de travail, et légitiment par ailleurs les discriminations à l’embauche". Ils valorisent davantage les jeunes issus des classes moyenne et supérieure, “notamment leur possession de diplôme, leur aisance orale, leur anticipation ou encore leur autocontrôle".
Certains savoir-être apparaissent aussi ethnicisés puisque "les jeunes ‘Afghans‘ ou ‘Soudanais‘ suscitent de la reconnaissance", mais ils sont dirigés vers des emplois sous-qualifiés, à l’inverse des jeunes appartenant au groupe social des ‘Tziganes de Roumanie‘. D'où l'hypothèse, même si ces représentations ne sont pas partagées uniformément par tous les professionnels, “d’un traitement différencié dans la proposition de profils aux employeurs, ce qui concourt à reproduire les inégalités en défaveur des jeunes les moins bien dotés.“