Une méthode pour favoriser l'éducation à l'empathie, en passant par le corps (ouvrage)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 31 mai 2024.
“Des prises de rôle permettent de développer la prise de perspective d'autrui et passer progressivement d'une vision du monde à la 1ère personne à une vision à la 3ème personne“. Eduquer les élèves à l'empathie oui, mais par le corps. Omar Zanna, docteur en psychologie sociologie associé au laboratoire CREN, retrace dans son dernier ouvrage l'évolution de ses travaux de recherche autour de l'éducation à l'empathie.
Débutés il y a plus de 20 ans en prison autour d'entretiens avec des détenus mineurs, ces travaux visaient au départ à comprendre comment certains jeunes deviennent des délinquants violents.
Dans ce cadre, le chercheur constate que “l'expérience collective de la difficulté et/ou de la douleur générée par les exercices réalisés en commun, en plus de développer les subjectivités, de délier la langue et de faire parler, participe à s'ouvrir aux autres, à les considérer et au besoin à leur venir en aide“. Ainsi, poursuit-il, “tout se passe comme si les détenus ressentaient envers leurs camarades de galère de l'empathie, cette empathie dont ils ont, sans doute, manqué au moment des passages à l'acte qui les ont conduits derrière les barreaux“.
Il est donc question de restaurer l'empathie perdue de ces jeunes, pour les aider à éviter (une nouvelle fois) la prison, ce qui implique “d'être en mesure de se connecter aux autres mais également à soi“, et donc de savoir réguler ses émotions. Après ce travail de réparation (par exemple avec le scénario pédagogique du “jeu des mousquetaires“) qui consiste à “pratiquer ensemble“ pour créer les conditions de l'expérience collective des émotions et de l'excitation de l'empathie, l'auteur s'est employé à penser l'intervention en amont, c'est à dire à l'école.
Si l'empathie possède multiples définitions, si ses contours restent parfois flous, pour Omar Zanna la développer induit avant tout d'entrer en résonance, de “considérer autrui comme un autre soi-même“. Pour le comprendre, il retrace la progression affective chez un enfant, estimant que “le corps et les émotions qui le traversent et le rendent vivant permettent aux individus de prendre des décisions, et donc d'apprendre, d'une part, et de se connecter à autrui, d'autre part“.
Il ajoute qu'éduquer aux émotions par l'entremise de l'empathie, “en empruntant le chemin du corps, de l'expérience, s'inscrit résolument dans la mouvance des pédagogies actives qui prônent le ‘faire pour apprendre‘ en complément de ‘l'apprendre pour faire‘ des pédagogies traditionnelles.“ L'EPCAE (éducation par le corps à l'empathie) tient pour présupposé que “la compréhension des états mentaux et affectifs facilite, voire accélère l'accordage entre les individus et les savoirs scolaires“, et s'appuie sur trois composantes pédagogiques : observer les autres faire et faire à son tour (vicariance), pratiquer ensemble pour entrer en résonance émotionnelle et mettre des mots sur les émotions et en parler.
En guise d'illustration, le chercheur laisse la parole à la pratique de l'éducation aux émotions sur le terrain, via des expériences (physiques) mises en œuvre par des professeures : roue/chaise/cabane des émotions, travail sur des albums jeunesse, autour de l'EMC, visites au musée... Par ce biais, il s'agit de permettre aux élèves, “plutôt que de leur apprendre simplement à se respecter malgré leurs différences“, de partager leurs émotions et donc leurs ressemblances. Car “apprendre à ressentir, identifier ses propres émotions, les reconnaître, les verbaliser, discerner celles des autres pour mieux les comprendre c'est offrir aux élèves la possibilité d'entrer en résonance avec le monde social dans lequel ils évoluent“.
Eduquer par le corps à l'empathie, Omar Zanna, éditions Dunod, 144p., 21,9€