L'Intelligence artificielle, un simple outil qui oblige à repenser la pédagogie (Cahiers pédagogiques)
Paru dans Scolaire le mardi 21 mai 2024.
"Développe un scénario pédagogique pour enseigner les équations du 1er degré à des élèves de 4ème avec des niveaux de compétences variés, en incluant des ressources multimédia." Cet exemple de "prompt", une requête adressée à une intelligence artificielle générative, pourrait illustrer le dossier du dernier numéro des Cahiers pédagogiques, consacré au thème "Intelligence artificielle et pédagogie". L'IAG ne remplace pas l'enseignant, elle assure des tâches fastidieuses et chronophages, y compris des tâches administratives, par exemple préparer l'ensemble des autorisations pour une sortie scolaire. Mais le sujet est mieux compris outre-Atlantique.
Julie Higounet, qui a coordonné ce dossier avec Jean-Michel Zakhartchouk, connaît bien les établissements scolaires nord-américains puisqu'elle a accompagné plusieurs lycées de la Mission laïque française. Elle a constaté qu'ils sont tous en réseaux, et lorsque l'épidémie de COVID les a obligés à chercher des solutions alternatives à la salle de classe, ils ont partagé leurs expériences. Dans ce contexte, l'arrivée de l'IA n'a pas été perçue comme un choc, alors qu'en France, l'un des pays les plus réfractaires, beaucoup d'enseignants "voient l'IAG comme un non-sens" et moins leur culture pédagogique est forte, moins ils comprennent ce qu'ils peuvent en attendre. La France est d'ailleurs aussi un des pays où la formation continue des enseignants est la plus faible.
Et de fait, l'IAG oblige à changer de perspective. Comme le souligne Delphine Le Serre (dirigeante du fonds EdHu2050, au Québec), "l'accent doit être mis sur les compétences humaines qui différencient l'être humain de la machine : l'esprit critique, l'intuition, la perception sensorielle, l'intelligence socio-émotionnelle, la créativité, l'imagination". Nicolas Valadeau et William Michel, référents numériques pour le 1er degré, soulignent d'ailleurs que "ChatGPT donne ses réponses toujours de manière courtoise, en s'excusant quand il commet une erreur. Cela peut être un bon modèle pour les élèves parfois habitués au langage 'hard' des réseaux sociaux." Mais eux aussi insistent sur le côté "outil pour gagner du temps et en efficacité" de l'IA qui "permet d'automatiser des parcours personnalisés", ce qui représente "une plus value majeure pour les enseignants" et pour les élèves puisqu'elle multiplie les "feedbacks" et contribue ainsi "au développement de leur autonomie".
Mais l'IAG oblige aussi à changer de manière de faire : "Si on s'obstine à dispenser un savoir et à déporter sur le temps hors classe, (par exemple) une activité d'écriture, on prend le risque que celle-ci soit faite par une IA (...). Pour ce faire, on a souvent proposé d'adopter le modèle de la classe inversée, l'exposé des connaissances à la maison et le travail d'écriture en classe", rapporte Yann Houry (lycée français de Hong Kong) qui ajoute : "L'irruption de ChatGPT a montré que toute évaluation scolaire portant sur la régurgitation de connaissances pouvait être expédiée en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Nous n'avons pas le choix et il nous faut passer à autre chose."
A noter dans ce numéro un très joli texte écrit pas les élèves de 6ème de Mara Goyet qui se confrontent au "chatbot" de la SNCF, lequel ne voit pas quelle est la gare de départ qui me permet d'arriver à la station Avenir et qui, quand on lui parle d'amour vous envoie à "Saint-Amour"...
Les Cahiers pédagogiques n° 593, 12 €.