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Classes de “rotation“, classes “itinérantes“, non-scolarisation : A Mayotte, le droit à l'éducation bafoué ?

Paru dans Scolaire le vendredi 15 avril 2022.

Le conseil d'Etat vient de rejetter l'appel de la commune de Tsingoni à Mayotte, condamnée par le tribunal administratif de Mamoudzou pour ne pas avoir scolarisé onze enfants (voir ToutEduc ici).

Pour rappel, le recteur avait soutenu que les refus d'inscription “résultent du manque de place en école maternelle dans cette commune, situation qui met en cause une compétence de la commune et non du rectorat“, et que “pour pallier ce manque de place en maternelle ‘classique‘, un dispositif pertinent de ‘classes itinérantes‘ a été mis en œuvre.“

Contactée par ToutEduc, Marjane Ghaem, l'avocate qui défend les 11 enfants de Tsingoni, dénonce pourtant une situation “en pleine opacité“ sur le nombre d'enfants non scolarisés, et sur ceux qui seraient intégrés dans ces classes itinérantes. Un chiffre de plusieurs milliers d'enfants non scolarisés, allant jusqu'à 8 000 ou 10 000 circule sans toutefois pouvoir être vérifié.

Classes itinérantes

Les classes itinérantes existeraient depuis 2 ou 3 ans. Elles consisteraient en un dispositif d’intégration progressive pour des enfants qui n’ont pas pu avoir de place effective à l’école, malgré leur inscription en mairie. Pourtant, l'instruction est obligatoire et a même été élargie aux enfants âgés de 3 ans par la loi “pour une école de la confiance“ de 2019. Rien qu'à Tsingoni, 3 nouvelles classes de ce type auraient vu le jour cette année.

De plus, Marjane Ghaem déplore qu'avec ce “dispositif dérogatoire“ au code de l'éducation, les enfants bénéficieraient seulement de 6 heures d'enseignement par semaine, en comptant même le temps du goûter. Mais “pourquoi retarder la scolarisation des enfants ? L'obligation scolaire, à Mayotte, on en fait un peu ce qu'on veut“, conclut-elle.

“C'est du bricolage du fait que les constructions ne suivent pas“, raconte un responsable syndical de l'île à propos du dispositif, et il calcule le nombre d'enfants en classes itinérantes à environ un millier (100 par école sur une dizaine d'établissements). Il explique qu'il y a “beaucoup d'enfants et pas assez de salles de classes“, dès lors tous les enfants ne peuvent pas être scolarisés même si la plupart sont inscrits. Les mairies priorisent la scolarisation par âge, et constituent des listes d'attente.

Carence des services publics

Ce constat, le défenseur des droits le formulait déjà dans un rapport datant de 2019, selon lequel les droits fondamentaux, dont celui à l'éducation sont à Mayotte “gravement entravés du fait de la carence des services publics“. Il déplorait “l'ineffectivité du droit à la scolarisation, en particulier à l’encontre des enfants de nationalité étrangère, hébergés chez des tiers ou qui résident dans des bidonvilles".

Déjà les associations rencontrées sur place évoquaient “des refus massifs d’inscription scolaire par les mairies, qui demandent à ce que les familles produisent de multiples pièces justificatives lors des demandes d’inscription“, au-delà des exigences légales.

Le vice-recteur de Mayotte aurait à ce moment-là comptabilisé 7 000 élèves scolarisés en CP, 4 524 élèves scolarisés à 3 ans (soit un taux de 48 %) pour un total de 52 000 élèves scolarisés au premier degré, tandis qu'à Mamoudzou et Koungou, “il manquerait 1300 places dans le premier degré“.

Le défenseur des droits rappelle que le maire “a l’obligation de faire respecter le droit à l’éducation de tous les enfants résidant sur le territoire de sa commune, en particulier s’agissant des plus vulnérables et des plus jeunes, eu égard à ce que représente l’éducation pour ces enfants“, et que son refus d’inscrire à l’école un enfant résidant sur sa commune et en âge d’être scolarisé “est constitutif d’une discrimination punie par la loi s’il est fondé sur un des critères prohibés, tels que l’origine, l’appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une nation, le lieu de résidence et la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique.“

Selon ce rapport enfin, “40% des écoles de l’île fonctionnent déjà sur la base d’un système de rotation, c’est-à-dire que les élèves sont susceptibles d’être divisés en deux groupes, l’un suivant les cours uniquement le matin et l’autre uniquement l’après-midi, ce qui constitue une atteinte au droit à l’éducation et une rupture d’égalité avec les élèves de métropole.“

Selon le syndicaliste précédemment évoqué, malgré tous ces dispositifs, classes itinérantes, classes de rotation, “il y a des enfants qui ne sont pas scolarisés“, résultat, “ça crée des tensions parce qu'une partie de la population estime que ses enfants doivent être scolarisés“. Il déplore, alors que le niveau de recrutement des enseignants a été réhaussé, et la qualité de la formation améliorée, que tout “est planté par le manque d'infrastructures“.

Lettre ouverte

En novembre 2021, une lettre ouverte commune de la Ligue des droits de l'homme (LDH), des assocations Fasti et Gisti est adressée à Jean-Michel Blanquer pour demander des solutions face aux “violations du droit à l’éducation“ constatées à Mayotte.

Y est expliqué que dans le département d'Outre-mer, des milliers d’enfants sont actuellement privés d’école, une situation pourtant “largement prévisible“ et qui “résulte de l’incurie des pouvoirs publics“ car les carences en personne et en salles “sont très anciennes, elles perdurent depuis longtemps et ne peuvent servir d’excuse“.

Les signataires de la lettre expliquent qu'en 2018, un “énième plan de rattrapage pluriannuel d’investissement d’un montant de 500 millions d’euros pour l’éducation avait été voté par le gouvernement“, dans lequel il était “question de réduire le nombre des classes fonctionnant en rotation et de développer la restauration scolaire“. Cependant, “trois ans plus tard, force est de constater l’écart entre la programmation des ouvertures de classe dans le premier degré et celles réellement ouvertes“ alors que sur la période 2014-2018, pour 286 salles neuves programmées 67 seulement auraient été construites, “soit un taux de réalisation de 23 %.“

Si pour la rentrée scolaire 2021-2022, environ 10 000 enfants âgés de 3 ans étaient attendus pour rejoindre les bancs d’une école maternelle, ainsi que “10 000 de plus à la rentrée suivante“, les services de l’Etat “sont parfaitement en mesure de connaître longtemps à l’avance les besoins du territoire et ne sauraient se retrancher derrière le manque d’informations transmises par les communes pour aujourd’hui justifier le déploiement d’un dispositif dérogatoire dit de classes itinérantes, lequel accueille depuis plusieurs mois des centaines d’enfants soumis à l’instruction obligatoire.“

Pour les trois organismes, les décisions des maires d’accueillir des enfants soumis à l’obligation scolaire au sein d’une école itinérante “devront être sanctionnées en ce qu’elles entraînent une rupture du principe d’égalité et porte atteinte au droit fondamental à l’instruction.“

En réponse à cette lettre, le directeur de cabinet de Jean-Michel Blanquer a détaillé des mesures (pour le 1er degré, 500 rénovations, 249 créations de salles et 41 refectoires étaient prévus sur la période 2019-2021) d'un “plan de construction volontariste“ qui vise à “scolariser l'ensemble des enfants mahorais de 3 à 6 ans et mettre fin au système de rotation des classes“.

La LDH a indiqué à ToutEduc demeurer “dans l’attente d’une réponse effective“ quant à ces annonces. Contacté, le rectorat de Mayotte indique qu'il ne peut actuellement répondre aux questions de ToutEduc en raison de la période de réserve due à la période électorale.

Le rapport du défenseur des droits ici, la lettre ouverte de la LDH ici

 

 

 

 

 

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