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Élèves à besoins éducatifs particuliers : et si le principe de personnalisation avait un effet d'assignation à l'inverse de ce que prône l'école inclusive ? (INJEP - CNAM)

Paru dans Scolaire le jeudi 03 juin 2021.

Que recouvre précisément la notion d'élève à besoins éducatifs particuliers ? Élève en situation de handicap ? Élève "inadapté" à l'institution scolaire ? Comment se déterminent les conditions d'éligibilité à ces besoins éducatifs, sont-ils déterminés par les élèves ou par l'école qui se réinvente en même temps que sa fonction sociale à l'heure où les pouvoirs publics l'enjoignent à se montrer plus inclusive ? Telles sont les questions qui étaient posées à l'occasion de la réalisation du dossier du n°87 de la revue Agora débats/jeunesses consacré à l'institutionnalisation de la notion d' "élève à besoin éducatifs particuliers". Après sa parution en mars, l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) a organisé, en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), une conférence-débat le mardi 25 mai autour des coordinateurs du numéro et d'experts de ces questions. De ces travaux et de ce débat ressort notamment la "difficulté à qualifier précisément cette notion (…) notamment au regard de ce qui caractérise leurs besoins, leurs profils, leurs caractéristiques", résume Serge Ebersold (CNAM). Des travaux qui font également remonter des "disparités entre ces élèves dits à besoins éducatifs particuliers [et] qui affectent leur conditions d'éligibilité" (dues aussi à des procédures d'identification disparates) et qui identifient un effet qui "va à l'inverse de ce que promeut l'école inclusive" : le principe de personnalisation que l'on pose sur ces élèves à besoins éducatifs particuliers aurait "un effet d'assignation au lieu de relativiser ces catégorisations".

En effet, explique le chercheur, parce que cette notion renvoie à la logique de personnalisation pédagogique, elle est aussi devenue un besoin adossé à une politique de promotion de l'excellence scolaire. Or, constate le chercheur, les méthodes qui sous-tendent cette personnalisation pédagogique "peuvent les exposer à des difficultés scolaires et mener à les catégoriser comme tel".

Pourquoi perdure un distinguo entre élève handicapé et élève à besoins éducatifs particuliers ?

Une mobilisation également à des fins élitistes, autour de la notion de talent, peut contribuer à renforcer les disparités sociales. Ainsi, alors que dans des établissements on va vendre "la personnalisation au service des talents", "préceptorat qui oblige les élèves à travailler plus" et, pour l'enseignant, à "être plus proche de la figure du tutorat", à l'inverse, dans les milieux populaires, la mobilisation de cette notion "relève moins de la gestion des talents que de la gestion des problèmes, des difficultés".

Autre observation saillante : même si Daniel Frandji (Lyon 1), spécialiste de la lutte contre les inégalités sociales, observe que cette notion est devenue une "métacatégorie" qui permet d'englober "une pluralité de difficultés scolaires qu'on ne pensait pas auparavant ensemble", Serge Ebersold regrette de son côté que perdure le distinguo élève handicapé / élève à besoins éducatifs particuliers. Pour lui, la difficulté à mobiliser en France cette notion pour les élèves souffrant de handicap tient "largement au poids que le secteur médico-social" a encore toujours sur ces élèves porteurs de déficiences. Or, ces "confusions" sont "une des sources des violences faites aux élèves, aux familles et aux professeurs".

Les enseignants mobilisent de plus en plus ces catégorisations pour "demander de l'aide"

Les travaux et le débat ont aussi mis en exergue les difficultés rencontrées par les enseignants et le paradoxe de certaines de leurs postures face à cette notion. Daniel Frandji observe ainsi que les enseignants, qui sont mis en difficulté face aux injonctions normatives, "redéfinissent aussi cette catégorie". Avec parfois des paradoxes relevés dans la contribution de la sociologue Rachel Gasparini (Lyon 1), qui s'est intéressée aux troubles du comportement. Celle-ci observe ainsi une mobilisation très forte de cette notion par les enseignants, alors qu'ils la critiquent beaucoup. Cette tendance pourrait s'expliquer de trois manières, selon elle : par "le symptôme de la médicalisation du champ scolaire" ; parce que ça peut être aussi un moyen de "déléguer la prise en charge du sale boulot" ; enfin, parler de troubles du comportement leur permettrait une "reconnaissance officielle des difficultés" qu'ils rencontrent. Ainsi, ils s'appuieraient sur cette catégorisation pour "demander de l'aide". Or, cette tendance "contribue à produire de la difficulté".

Concernant toujours la posture des enseignants, Serge Ebersold estime de son côté que certaines résistances peuvent être imputables à la redéfinition du rôle de l'élève et de l'enseignant à qui l'on demande de se distancier de l'instructeur au profit de l'enseignant ressources", opérée par la circulaire de la rentrée 2005 (qui a traduit les éléments de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005). Le chercheur, qui a comparé les circulaires entre 1989 et 2011, juge celle de Jospin, de 1989 et qui s'inspire de la Convention Internationale relative aux droits de l'enfant, "plus structurante" que celle de 2005, parce qu'elle "s'accompagne d'une prégnance moindre des questions de pédagogies et didactiques au profit de questions stratégiques".

Camille Pons

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