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Comment Najat Vallaud-Belkacem envisage-t-elle de gérer la compétence "orientation" en Auvergne-Rhône-Alpes (interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 28 mai 2021.

A quelques semaines des élections régionales, ToutEduc continue un tour de France des régions qui exercent leur nouvelle compétence en matière d’information sur l’orientation. Après la "liste Muselier" en PACA (ici), et la liste EELV en Auvergne-Rhône-Alpes (ici), l'ancienne ministre de l'Education nationale, candidate en Auvergne-Rhône Alpes, Najat Vallaud Belkacem

ToutEduc : La loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel" prévoyait le transfert aux régions de l’information sur l’orientation. L’auriez-vous votée ? Les Régions ont-elles les moyens de faire, à leur niveau, le travail de documentation que faisait l’Onisep ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je n’aurais pas voté cette loi, mais pas en raison de ce point précis. Moi, je crois que les Régions devraient exercer une compétence claire, entière et assumée sur l’accès à l’emploi. Il y a un continuum qui va de la première année de lycée jusqu’à l’accès effectif au premier emploi qui devrait être pris en charge de manière cohérente, lisible, efficace. L’orientation fait partie des facteurs clés de la réussite dans ce parcours vers l’emploi. Les régions ont d’un côté perdu la main sur l'apprentissage tout en gardant la formation professionnelle alors que d’un autre côté leur rôle dans le domaine de l'orientation a été renforcé. Le gouvernement a finalement déshabillé Paul pour habiller Pierre. Or, on le sait, la question de l’orientation qui est fondamentale dans la vie de chacun et en particulier pour les plus jeunes doit être appréhendée dans sa globalité et de manière transversale. En multipliant les ordonnateurs on perd forcement en efficacité. De la même manière, le texte précise que l’État conserve la définition de LA politique nationale de l’orientation mais que les régions peuvent organiser des actions d’information sur les métiers et les formations.

Donc pour dissiper ces confusions, je suis convaincue que la meilleure manière d’aborder cette compétence est de le faire dans une démarche partenariale en réunissant et en faisant travailler conjointement tous les acteurs concernés : Éducation nationale, Rectorat, Onisep, Région, etc. Cette compétence qui est donc aujourd’hui partagée avec l’État impose une réelle coopération autour d’objectifs partagés. En tant qu’ancienne ministre de l’Éducation Nationale, je connais bien l’important travail mis en place au sein de ce ministère par les services d’orientation et l’ensemble des personnels. C’est pourquoi j’appelle à la mise en place d’une réelle stratégie concertée avec l’État dans le domaine de l'orientation et du décrochage : il ne s'agit pas de batailles de périmètres mais de mobiliser les forces de chacun État-Région au service de l'accompagnement des parcours, de l’accès à l’information "médiée" et fiable, notamment pour les familles et les élèves qui en sont le plus éloignés et de construire des solutions réalistes État-Régions dans le cadre défini. La région Rhône-Alpes, quand la fusion avec l’Auvergne n’avait pas encore été réalisée, avait d’ailleurs été précurseur sur ces sujets.

Je n’oublie pas une chose très importante: il nous faudra impliquer davantage les parents, ils ne peuvent rester absents de ce moment essentiel de la vie, qui signe la fin de l’enfance, l'entrée dans la vie adulte, l’autonomie.

ToutEduc :  Quelle analyse faites-vous de la mise en œuvre par les régions et par l’Éducation nationale de ce transfert ? Notamment dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ?

Najat Vallaud-Belkacem : Malheureusement en Auvergne-Rhône-Alpes, comme pour la formation professionnelle pour laquelle Laurent Wauquiez a privé la Région de plus d’un milliard d’euros, la compétence en matière d’orientation a été totalement abandonnée par la collectivité. Au moment où la majorité s’en est saisie, soit 4 ans après son arrivée au pouvoir, elle a résumé l’orientation à une simple logique libérale, comptable, d’adéquation entre l’offre et la demande. Si bien que la liberté de choisir, de s’orienter, promise dans la loi de 2018 est devenue sur notre territoire une logique de manque à combler, de trou à boucher. Or, l’orientation ce n’est pas cela. C’est bien accompagner des individus dans leurs choix professionnels selon leurs aspirations, leurs envies, leurs objectifs. Avec Laurent Wauquiez s’orienter est devenu orienter. C’est là toute la différence et surtout tout le problème.

Cette compétence si fondamentale doit donc être largement réinvestie et surtout réorientée sur notre territoire avec des objectifs clairs, une vision, des moyens et une méthode collaborative forte entre tous les acteurs concernés. C’est le sens de ma proposition de création d'une agence de la relance par l’emploi: un guichet unique dans lequel tous les partenaires sont impliqués, et qui concentrent tous les moyens d’agir.

ToutEduc : Si vous êtes élue à la présidence de la Région, quelle serait votre politique en la matière ? La loi permet, notamment aux collectivités, de faire entrer dans les établissements scolaires, lors des heures consacrées à l’orientation, des représentants des métiers. Selon quels critères et pour quoi faire ?

Najat Vallaud-Belkacem : Lorsque j’étais ministre de l’Education nationale, j’ai beaucoup oeuvré pour que les collèges, les lycées, les universités soient davantage en lien avec le monde professionnel. Ce lien entre l’école et la société est à mes yeux très important. L’orientation est un enjeu majeur qui détermine l’avenir, la poursuite professionnelle de chacun. Nous devons garantir à tous les jeunes mais aussi aux publics à la recherche d’un emploi ou à ceux qui souhaitent se réorienter une égalité et une facilité d’accès à ce service public. Dès lors, je souhaite sur notre territoire refonder une véritable politique publique de l’orientation qui accompagnera chacun des bénéficiaires. C’est un droit que nous devons à tous nos habitants et cela sur tous nos territoires. Pour mener à bien ce service public régional de l’orientation, nous allons créer des Maisons de l’Orientation qui mailleront le territoire et qui permettront un accompagnement personnalisé pour tous les bénéficiaires grâce à des orientateurs-trices spécialisés. Il faut absolument traiter la problématique de l’orientation avec des hommes et des femmes dont c’est le métier.

Ces maisons travailleront en lien avec les missions locales, les lycées, les collèges, l’Éducation nationale, le rectorat, les organismes de formations professionnelles, etc. Tous ensemble pour offrir un avenir et des perspectives aux jeunes et aux personnes à la recherche d’un emploi ou en reconversion à la hauteur de leurs ambitions et de leurs souhaits. Nous accompagnerons les bacheliers et leurs parents sur Parcoursup. Nous lancerons un plan de soutien scolaire public en lien avec l’Éducation nationale et les associations d’éducation populaire sur les temps périscolaires dans tous nos lycées, et dans les maisons de l’orientation et les missions locales tous les mercredis et samedis pour accompagner et soutenir la réussite scolaire de tous nos jeunes. Enfin, nous développerons en lien avec l’Éducation nationale, le rectorat et les établissements concernés, collèges et lycées, les "Journées des métiers" sur tous nos territoires en faisant intervenir dans les classes des professionnels qui viendront expliquer leur métier directement aux jeunes. L’orientation ne peut pas se faire que face à des fiches métiers, les jeunes ont besoin de représentation pour se projeter dans un futur métier. L’orientation est aussi une question humaine, une question de rencontres.

ToutEduc : A qui ce choix, et plus largement, la définition de la stratégie d’un établissement en matière d’orientation, reviennent-ils ? A la Région ? Au rectorat ? Au CIO ? A l’équipe enseignante ?

Najat Vallaud-Belkacem : Là aussi, mon expérience de ministre compte: je crois beaucoup à l’efficacité des équipes pédagogiques dans les établissements. C’est le bon échelon pour décider de beaucoup de choses. La question n’est pas de savoir qui fait quoi et dans quel périmètre mais plutôt comment articuler les compétences et les expertises de chacun pour mener une politique forte en matière d’accès à l’orientation. Toutefois, il faut un régisseur général pour permettre justement à tous ces ordonnateurs de travailler ensemble. Et je pense que la région peut l’être notamment par son agilité, ses compétences mais aussi les liens qu’elle entretient avec les institutions du territoire. Aussi, je préconise que nous mettions en place au début du mandat une concertation extraordinaire avec l’ensemble des acteurs concernés afin de définir à la fois nos objectifs et nos actions pour les 6 années du mandat.

ToutEduc : Comment voyez-vous l’articulation entre la Région et l’Onisep ?

Najat Vallaud-Belkacem : L’Onisep dispose d’une expertise et d’une base de données unique en Europe et irremplaçable. Les personnels qui ont été maintenus dans les DRONISEP continuent à assurer cette mission extrêmement importante. Nous devons absolument nous appuyer sur le travail de l’Onisep et développer les connexions avec eux.

ToutEduc : Cette loi suppose que la recherche d’une adéquation « marché de l'emploi - offre de formations - orientation » est possible, voire souhaitable. Qu’en pensez-vous ?

Najat Vallaud-Belkacem : En région Auvergne-Rhône-Alpes, on estime que près de 500 000 postes (emplois fixes et saisonniers) sont non pourvus à cause d’un manque de main d’œuvre qualifiée. Un chiffre qui s’explique en grande partie parce que Laurent Wauquiez a complètement délaissé voire même détruit la compétence formation professionnelle sur notre territoire. C’est pourquoi je veux créer 500 000 places en formation professionnelle sur le prochain mandat.

Miser sur la formation professionnelle c’est à la fois assurer une main d’œuvre compétente à nos entreprises mais c’est aussi permettre à 80% des personnes qualifiées d’obtenir un CDI. Dès lors, je pense effectivement que dans un certain nombre de secteurs en tension comme les métiers du numérique, du lien, de la santé, de l’agriculture, de la transition environnementale, ou du BTP, il nous faut mener une politique forte en termes de formation professionnelle pour permettre à nos entreprises de recruter des employés qualifiés.

C’est d’ailleurs l’un de nos objectifs dans la caution 1er emploi dont le but est de garantir un accès au premier emploi aux 18-30 ans du territoire. Dans ce dispositif, nous appelons à travailler avec l’ensemble des acteurs concernés, les CCI, le MEDEF, la CPME, les branches professionnelles, les syndicats, pôle emploi, les missions locales, les professionnels de l’insertion, les collectivités locales, pour faire coïncider offre et demande mais aussi pour proposer et financer aux jeunes une formation en lien avec les secteurs en demande.

Toutefois, la question de l’orientation ne doit pas être exclusivement appréhendée autour de cette adéquation entre marché de l’emploi/formation/orientation sinon on tomberait dans une logique purement libérale et de trou à remplir où le choix, l’aspiration n’auraient plus leur place. Les métiers et les secteurs qui ont souvent injustement d’une mauvaise réputation doivent être soutenus par la Région pour changer les mentalités, je pense à l’industrie notamment, mais ce sont aussi les jeunes, avec leur vision du monde, leurs valeurs, leurs désirs, qui décideront de ce que seront les entreprises et les métiers de demain. Faisons-leur confiance. Il faut donc que nos politiques en matière d’orientation et de formation professionnelle ouvrent le champ des possibles et cela ne passera que par une égalité et une facilité d’accès à l’information pour toutes et tous. Notre grand défi est là : garantir à tous nos habitants cet accès.

Propos recueillis par écrit par Rabah Aït Oufella et Pascal Bouchard

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